Monogrenade : “Je veux juste défendre la langue française”

Jean-Michel Pigeon, le chanteur (et compositeur) du groupe québécois Monogrenade était de passage à Paris il y a quelques jours pour la promotion de Composite, leur nouvel album, sorti le 1er septembre (Atmosphériques). On l’a rencontré pour une interview vrai/faux, car tu nous connais, à RockNfool on ne fait pas dans le conventionnel. Et puis bien sur, on a fini par discuter du Québec, évidemment.

Monogrenade

RockNfool : “Composite” votre nouvel album est meilleur que “Tantale”.

Monogrenade : VRAI. Du moins c’est ma perception. Quand on est dedans c’est un peu difficile de s’auto-juger. À force de faire quelque chose on s’améliore donc je trouve que les chansons sont meilleures. Après, je suis déjà dans le troisième album, fait que le troisième sera mon préféré également !

Les cordes ça a un côté rétro un peu kitsch.

FAUX (rires). Je ne trouve pas ça rétro, ni kitsch mais très actuel. Les cordes ce sont les plus beaux instruments, les plus organiques. C’est du bois qui vibre, ça ne se synthétise pas, ça ne se remplace pas. C’est vraiment beau. C’était un choix d’en mettre pas mal sur l’album, pour ça on a engagé le quatuor Mommies on the Run pour faire le gros des arrangements sur l’album. C’est quatre mamans super pros qui enregistrent avec tous les plus grands artistes de Montréal. Elles sont exceptionnelles, leurs arrangements sont beaux. Il y a des chansons qu’on arrange nous-même, pour d’autres où l’on n’a aucune idée, on aime mieux avoir un point de vue externe avant de charter la chanson. Elles sont aussi très parlables, par exemple quand on voit quelque chose qu’on aime moins on peut leur dire “on aimerait ça retirer des choses”, puis on s’ajuste.

Tout le monde devrait utiliser du synthé.

FAUX, parce que ça dépend des styles de musique. Mais… il y en a pour qui ça ne serait pas beau. Nous ça a été un peu un hasard, ce n’était pas voulu. En fait dans la vie je fais de la musique, j’ai un studio que j’ai acheté il y a un an et demi. Mon partner avec qui je me suis installé avait plein de synthés, on en avait un mur rempli. Quand je suis arrivé j’étais “waoh” puis je me suis amusé avec. Ce qui a fait qu’il y a du synthétiseur qui s’est retrouvé dans les chansons de l’album.

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Les parties instrumentales dans les chansons c’est risqué, on peut perdre les gens en route.

FAUX.

Logique !

(rires) Ça dépend encore du style de musique. Nous on ne fait pas de la musique à voix. La voix est plutôt traitée comme un instrument. Au contraire c’est l’fun, en show, les chansons sont parfois un peu plus longues, et les gens nous disent “c’est bon, pourquoi vous ne faîtes pas ça sur votre album” t’sais ! On commence souvent le show sur “Portale”, comme ça, ça part bien, vu que c’est de la musique…ni cérébrale ni festive. Je trouve que ça arrive vraiment à ouvrir l’oreille.

Chanter en français c’est vachement plus dur qu’en anglais.

VRAI. Ça demande plus de recherche, parce que la phonétique est plus difficile. On dirait que l’anglais ça coule tout seul, c’est international, on peut parler de n’importe quoi. Mes exemples c’est souvent la “lune” et “l’amour”. Dire “I love you” ça passe mieux que “je t’aime”. Pour être actuel en français, ça demande une recherche car le cliché littéraire arrive vraiment vite. Pour moi il y a juste une poignée d’artistes qui réussissent à le faire, comme Marie-Pierre Arthur, Jimmy Hunt et Jean-Louis Cormier de Karkwa. Je sais tout de suite quand ça me plaît ou pas, mais j’ai de la misère à t’expliquer pourquoi. Je pense que c’est aussi l’influence de l’anglo-saxon qui nous différencie des artistes français. En France, j’ai l’impression qu’il y a un comme un complexe de la vieille chanson française, les gens ne veulent plus entendre ça. Chez nous, c’est la même chose.

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Ce qui est dommage avec le français c’est que tu ne peux pas le défendre sans avoir l’air de te battre. Le fait de vouloir conserver sa langue c’est beau, c’est noble, c’est normal. Les gens voient ça comme une offense, “t’es fleur bleue toi, t’es un combattant”, mais non, je veux juste défendre ma langue. Si on ne la défend pas, elle va disparaître : soit on se défend et on a l’air de fanatiques, soit on se laisse faire et on la perd, je trouve ça injuste. Ici [en France] c’est pas le même enjeu, c’est francophone, alors qu’à Montréal c’est bilingue, et le français se fait manger tranquillement. Ce que je trouve beau c’est la différence, que les chinois parlent chinois, les espagnols espagnol, si tout le monde parle anglais maintenant, il n’y a plus la beauté de la langue.

Justin Bieber et Arcade Fire font de “l’ombre” au reste de la scène canadienne.

Comme trop connus ? [silence] C’est dur à répondre. En fait je pense que ce n’est pas eux qui prennent toute la place… bon Justin quand même ouais (rires). Le problème n’est pas là, le problème c’est plus les diffuseurs. Au lieu de passer que du Justin Bieber, ils pourraient passer du Justin Bieber et un peu d’autres choses. On dirait qu’il n’y a plus de place pour la nouvelle musique. Il y a plein de nouveaux artistes émergents en ce moment, il se passe quelque chose, mais on ne leur laisse pas de place dans les radios, même si c’est vraiment bon. C’est pas de la faute du public qui prend ce qu’on lui balance. C’est comme si je te donnais juste à manger du McDonald’s ou du Subway, tu vas choisir entre les deux. Peut-être que si je t’offre un autre truc plus raffiné tu en prendrais, mais si je te l’offre pas tu ne le verras pas. C’est un peu la même chose, les gens n’ont pas accès à cette musique-là. Tu sais quand t’habites dans le fin fond de la France ou dans le fin fond de la Gaspésie, tout ce que tu entends c’est la radio. C’est un peu la mondialisation de la musique, on veut plaire à tout le monde et on ne va pas prendre de risques… Un petit peu de la faute à Arcade Fire ou a Justin Bieber en fait (rires) !

C’est difficile pour un groupe québécois de s’exporter en dehors de l’Amérique du nord.

VRAI, c’est sur, parce que c’est coûteux. Ça dépend des projets j’imagine, mais nous on commence, on est un band émergent de six personnes, et rentabiliser des tournées c’est plus difficile car vu qu’on n’est pas super connus on ne garantit pas les frais. Donc oui c’est plus difficile mais en même temps c’est l’fun. On a la chance d’avoir une équipe à Montréal qui s’appelle Bonsound, et ici Atmosphériques, ainsi qu’un bon tourneur, donc on a quand même beaucoup d’aides. Mais malgré cet aide aide-là il y a une réalité financière, autant pour les labels que pour les artistes.

Monogrenade

Monogrenade entre Paris et Montréal : les bons spots.

J’ai déménagé de Montréal pour aller en campagne. Je me lève, je m’en vais au studio toute la journée. Trois jours par semaine après mon shift de studio je m’en vais dans une petite place à Montréal qui s’appelle Le Verre Bouteille (2112 Avenue Mont-Royal, angle De Lorimier), c’est familiale, je connais le barmaid et il y a beaucoup de musiciens qui viennent là.

Pour Montréal sinon, moi je ne sors pas, fait que j’ai de la misère à te répondre. J’aime pas ça. Souvent les gens t’imaginent comme un mec cool qui fait plein d’affaires à l’extérieur. Je vis à la campagne et j’ai un chat (rires), j’aime regarder des films… Mais quand je suis à Paris, j’aime bien sortir, j’attends plus que les gens me donnent des places où aller.

Normalement quand on vient avec le groupe on va dans un bar qui s’appelle le 82 (Bistrot 82, 82 rue des Martyrs) à Montmartre, c’est un petit bar. On ne sait pas pourquoi on y allait tout le temps. J’aime beaucoup Montmartre, ça peut peut-être paraître un peu cliché, mais je trouve qu’il y a quelque chose de mythique et romantique.

La salle où on a joué le plus à Paris c’est le Divan du Monde, c’est une cool salle, il y a une bonne ambiance, c’est chaleureux, ce n’est pas trop grand, pas trop petit. Mais t’sais on n’en a pas fait des tonnes encore. Il paraît que la Flèche d’Or où l’on va jouer c’est très cool.

Monogrenade sera en concert le 4 novembre à la Flèche d’Or (avec Dear Criminals en première partie), le 5 à Lille, le 6 au Transbordeur (Lyon), le 8 à Rennes, et le 15 à l’Espace B (Massy).

Propos recueillis par Emma Shindo.