On a lu : Le Photographe (éd. Dupuis)

Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas accroché autant avec une bande-dessinée. Pas dans le sens « c’est topissime » (parce qu’il y en a eu plein) mais dans le sens « putain c’est une bande-dessinée à avoir lue avant de mourir ».

Le Photographe

Pour tout te dire, j’ai décidé de rattraper mon inculture des grands auteurs français. J’ai donc commencé par une orgie d’Etienne Davodeau dont Les Ignorants (éd. Futuropolis). Dans ce livre fort intéressant, Davodeau raconte son pacte passé avec un ami vigneron : celui-ci le cultive sur les étapes de son travail dans les vignes tandis que Davodeau le cultive parallèlement sur l’édition de bande-dessinée. Tout ça pendant un an. Il lui conseille donc des lectures fort bien avisées, dont Le Photographe qu’il présente comme un incontournable ouvrage entre photo-journalisme et bande-dessinée.

Il n’en aura pas fallu plus pour susciter ma curiosité. Le Photographe raconte une mission de Médecins Sans Frontières (MSF) entre le Pakistan et l’Afghanistan, pays en proie à la guerre, entre Moudjahidines afghans et les troupes soviétiques. Concrètement on suit le convoi humanitaire de MSF de leurs préparatifs à leur retour (sachant qu’un aller dure 1 mois dans les montagnes au lieu de quelques heures de route, non-praticable car surveillée par les Russes). Tout ce récit est vu à travers le regard et l’objectif de Didier Lefèvre, photographe fraîchement débarqué dans la région, chargé par MSF d’un reportage photo.

Le Photographe, t. 2, Dupuis

L’ouvrage alterne donc entre des cases épurées et contrastées dessinées par Emmanuel Guibert s’appuyant réalistement sur les photos en noir et blanc de Didier Lefèvre, le tout colorisé (simplement sans chichis) et mis en page par Frédéric Lemercier. Pas besoin d’en faire trop pour la narration dessinée, qui vient s’incruster justement et lier les clichés – parfois en rafales – du narrateur. Parfois il n’y a pas même pas de paysages ou de fonds aux dessins, mais on n’y fait peu attention, concentrés sur les dialogues très honnêtes des protagonistes. Et puis ces photos… Didier Lefèvre travaille sur argentique et le noir et blanc sublime cette population au regard profond, habités par la curiosité et la gravité. Il raconte ses frustrations de professionnel (la lumière trop forte, le bon moment, le point de vue, les dangers du travail sur des chemins abrupts…) mais aussi son point de vue de jeune premier, sur un parcours passant par des cols de 5 000 mètres, entre admiration pour les locaux et « Moudj’ » de l’expédition et effroi devant tant de brutalité de vie (blessures de guerre et soins aux habitants  précarité/générosité, peur constante…). On apprend en même temps que lui.

C’est franchement un récit incroyable, un photoreportage où chaque cliché et négatif est recontextualisé avec sens et intérêt. On lit ces photos, on se plonge dedans, pris dans cette mission humanitaire de tous les dangers, pourtant habituelle pendant ce conflit. On s’attache à toutes sortes de personnages, on les comprend tous. J’avais un peu peur du côté trop formel et rébarbatif du sujet. Pourtant, impossible de se déscotcher du récit lorsque la lecture commence. C’est très fait bien, très bien dosé entre scénarisation légère et carnet de voyage illustré. Une pure merveille, à lire sans attendre si ce n’est pas déjà fait.

photographe-3tomes

Le Photographe

Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert, Fréderic Lemercier

Dupuis, coll. « Aire Libre », 2003-2006