On a vu : “AMY” d’Asif Kapadia

AMY

Ah, ce fameux “documentaire” d’Asif Kapadia sur Amy Winehouse. On en avait beaucoup entendu parler après Cannes. Mais il fallait qu’on aille le voir par nous-même pour juger des critiques et des commentaires moins partiaux. Ça commence par des rires, et le sourire d’une jeune fille joufflue, qui face à la caméra brandie par une amie se met à interpréter un Happy Birthday déjà bluffant. Une joie de vivre perceptible dans les images fournies par sa bande de copains et copines d’école. Ça se termine en août 2011 par des pleurs et de la douleur des proches, filmés en contre-plongée visiblement par un hélicoptère de tabloïds à la sortie d’une synagogue. Et ce sentiment d’injustice, comme une gifle en plein dans la figure lorsqu’on sort de la salle. Ça dérange.

Le documentaire d’Asif Kapadia se concentre sur ceux qui ont connu Amy de près, personnellement. Il se veut plutôt exhaustif, suivant chronologiquement son parcours professionnel, sa voix si particulière, sons sens inné du jazz, son humour, son premier manager ami de longue date, ses poèmes avec des coeurs sur les “i”, ses petits concerts intimes dans des halls d’Université, ses siestes cosy à l’arrière d’une 5 portes, ses histoires d’amour… à sa découverte par les milieux professionnels, labels, maison de disque, CEO, tourneur… Sans omettre parallèlement ce qui a été décisif dans sa trop courte vie : sa vie familiale et privée. Une maman inexistante, un papa absent puis complètement intéressé et mégalo, une grand-mère remplaçant la figure maternelle avec autorité décédée trop tôt d’un cancer aux poumons, des amies dépassées puis invisibles, un manager discrédité, un tourneur plus cupide que responsable… et bien sûr, un petit-ami, (puis mari), littéralement toxique. Un cercle de proches s’annihilant les uns les autres, aveuglés par la carrière fulgurante de leur jeune pouliche si robuste et solide… d’apparence. Et pourtant si faible psychologiquement.

Un background de grande faiblesse psychologique à ajouter à son histoire d’amour destructrice surmédiatisée alors que professionnellement toutes les portes s’ouvrent. Une enfance perturbée par l’absence du père, qui après une liaison quittera la mère d’Amy, véritable traumatisme pour la jeune fille qui commence dès lors à compenser par la weed et l’alcool. Une descente aux enfers rapide pour ce bout de femme en mal de vivre –  sujette très tôt à des troubles du comportement – jetée en pâture dans le grand bain du star system, sans aucun repère. Et derrière tout ça, ces voix qui témoignent calmement comme pour se décharger des remords accumulés au fil des ans : tous y passent – plus ou moins brièvement – de son garde du corps qui l’a retrouvée morte d’une crise cardiaque sur son lit, Tony Bennett, Peter Doherty, le boss d’Universal qui a fait signer une close spéciale de cure de désyntox’, à Blake (le mari) et Mitch (le père) avides de célébrité. On a l’impression de regarder un épisode de Faîtes entrer l’accusé.

Enfin il y a ce malaise : cette lucidité qu’a Amy Winehouse vis à vis de sa condition et que souligne presque malsainement Asif Kapadia, lorsqu’elle parle par exemple très librement de son problème freudien avec ce père absent et sadique qu’elle va tout de même admirer toute sa vie, ou ses addictions qu’elle sait mortelles et dont elle tentera de se sevrer à plusieurs reprises avec plus ou moins de succès… Des appels à l’aide d’une jeune femme dévorée par ses démons, mais si touchante et attachante, que l’on voit décrépir moralement et physiquement pendant 2h d’images médiatiques et personnelles, sur fond audio de témoignages variés (dont Amy) entrelacés de lyrics vidéos. Chacun raconte, aucun n’analyse vraiment. Un regard fripon qui va se vider de toute son âme, pour s’éteindre, ronger à petit feu par cette tendance auto-destructice. Et surtout… cette passivité intolérable, inconsciente ou intéressée de ses proches qui révolte. Jusqu’à l’anéantissement total de la joie d’être et de vivre, quand la musique n’a plus de saveur sans les drogues.

Bien sûr à la fin de la séance on se questionne sur le choix des voix-offs et des instants “décisifs” sélectionnés par le réalisateur comme salutaires dans la décadence de la jeune prodige. On se demande pourquoi la mère ne témoigne pas, pourquoi encore maintenant les versions des protagonistes qui ont assisté (et contribué) à l’effondrement d’Amy ne concordent toujours pas, pourquoi Blake et Amy se sont remis ensemble après Back to Black, pourquoi… Le réalisateur propose par de multiples sous-entendus sa version du pourquoi-du-comment du déclin de la diva. Même en sachant cela, AMY reste un film passionnant pour ceux ou celles qui ont apprécié écouter Amy Winehouse dès Frank ou sur le tas, et qui souhaitent en apprendre plus ou ceux qui veulent essayer de comprendre sans rester sur les versions véhiculées par les médias. Un documentaire bien mené, qui suit les courbes montantes et ascendantes de la chanteuse avec une certaine prudence, mais un documentaire à compléter par d’autres sources, moins personnelles, et donc moins biaisées.

AMY d’Asif Kapadia, dans toutes les salles depuis le 8 juillet.