Nord : “J’aime bien les mots qui te tapent dans la tronche”

INTERVIEW – On avait été tout de suite séduits par le dernier EP de Nord, L’amour s’en va. Et puis, au Point Éphémère en mai dernier il n’y avait définitivement plus de doute : sur scène ou dans nos écouteurs, Nord nous prend aux tripes. Des textes sombres sur des arrangements rythmés, le résultat en est presque mystique. Derrière Nord se cache Xavier Feugrey, un normand bien connu du côté de Rouen. C’est là que nous l’avons rencontré, les cheveux certes mouillés par un lundi pluvieux, mais le visage illuminé par sa gentillesse.

Nord

Rocknfool : Tu as commencé à jouer de la guitare sur une guitare de droitier que tu prenais à l’envers puisque tu es gaucher. Est-ce que tu as gardé cette drôle d’habitude ?
Nord : J’avais quatorze ans, ma sœur avait ramené une guitare à la maison et oui c’est comme ça que j’ai commencé la musique. Je l’avais prise à l’envers parce que je n’y connaissais rien. Au bout d’un moment j’ai retourné les cordes parce que je n’arrivais pas à faire tout, il fallait mettre tous les accords à l’envers, c’était trop chiant. Je me suis dit qu’il valait mieux mettre les basses en haut. Et après j’ai acheté une guitare de gaucher.

Tu es autodidacte, comment s’est passé ta découverte de la musique ?
J’ai demandé plein de conseils et j’ai joué en groupe, c’est comme ça que j’ai appris la musique. J’étais en internat au lycée et j’ai eu la chance de rencontrer des musiciens, des gars super bons. Avec un pote on a commencé un groupe qui a duré dix ans, lui était bassiste-guitariste et il apprenait vachement vite, le genre de mec qui te dégoûte un peu parce qu’il est trop fort (rires). Après j’ai fait d’autres groupes, j’ai appris d’autres trucs. Et quand j’ai fait la fac de musicologie, j’ai pris quelques cours de piano. C’était bien aussi de changer d’instrument. Pour mes maquettes je fais un peu de basse. Mais maintenant je fais tout au synthé, je m’emmerde moins (rires). J’ai appris le solfège vraiment sur le tard, encore aujourd’hui j’en apprends encore.

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Tu jouais des reprises de Nirvana au début ?
Oui un peu, c’est ce qui me permettait d’apprendre des accords mais avant tout je faisais mes chansons. J’ai commencé en faisant des chansons mais sur un modèle. Nirvana c’était un peu mon modèle de base. Nirvana et Brassens. Je trouvais une sorte de complémentarité entre les deux. C’est ce côté hyper direct qui me plaît, je suis en train d’analyser le truc comme ça.

Le but c’était d’être chanteur plus que musicien ?
Oui c’est ça, le but c’était d’écrire ou d’être parolier. En ce moment j’ai du mal à écrire, je me prends carrément la tête. Mais le but c’était de chanter mes chansons et d’écrire.

Il y a des artistes pour lesquels tu aimerais écrire aujourd’hui ?
Oui pourquoi pas, mais c’est prétentieux de dire ça (rires). On m’a déjà demandé, mais je n’ai pas eu le temps là. Et je galère trop pour moi déjà. J’ai fait des essais mais je n’étais pas super convaincu.

Tu vis en Normandie. Est-ce que c’est une difficulté pour percer dans le monde de la musique qui est très centralisé sur Paris ?
Ça dépend de ce que tu veux faire, mais si tu veux rencontrer des labels c’est à Paris qu’il faut être je pense. Dans le créneau dans lequel je suis là, oui. Je vois vraiment la différence. J’ai fait de la musique pendant 10 ans avec des groupes, c’était de la chanson française, on a bien tourné mais on n’avait pas de réseau. Je ne connaissais personne à Paris. On tournait surtout en Normandie, c’était notre truc. C’est en commençant ce projet solo, Nord, que je me suis dit qu’il fallait sortir un peu de la région. Se poser des questions sur ce que je voulais faire en solo. J’en ai discuté avec mon pote Simon Carpentier qui connaissait un peu du monde à Paris, qui y avait un studio. On a fait les maquettes comme ça, en se disant qu’on devait rencontrer des gens, agrandir le réseau. Et c’est comme ça que j’ai rencontré mon éditeur qui m’a fait rencontrer les labels, tourneurs… En 6 mois j’ai rencontré plein de monde, alors que ça faisait 10 ans que je galérais. Tout s’est accéléré, c’était l’effet boule de neige : le label, les Inrocks, France Inter, le tourneur Uni-T…

C’est quelque chose que tu attendais avec impatience ?
Ce n’est pas que je l’attendais avec impatience mais au bout d’un moment tu te dis qu’il faut que quelque chose se passe. J’avais envie d’aller de avant. Tu peux faire une carrière chez toi, mais bon…

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Il est difficile de mettre une étiquette sur Nord. C’est de la chanson française, un peu pop, un peu sombre, avec beaucoup d’influences et de sonorités différentes. Est-ce que tu trouves que c’est important d’étiqueter la musique ?
Ça dépend pour qui. Moi je m’en fous, je n’ai pas vraiment envie d’étiquettes, et les choses que j’écoute n’ont pas tellement d’étiquettes non plus. Mais c’est toujours bien d’avoir des repères. Parfois c’est un peu dangereux de se dire “c’est le nouveau, je ne sais pas, Jacques Brel, ou le nouveau Fernand Reno”. Il y a toujours le jeu des comparaisons. Mais je pense qu’on a besoin de repères. Ce qui est vraiment chouette avec le truc de la chanson c’est de mixer les influences. Faire de la chanson c’est faire un mélange, un métissage de plein de trucs : du rock, du ska, etc. Mais je n’ai pas envie de faire exclusivement de ça ou du reggae, ragga, reggae-roots. J’aime bien piquer des trucs à droite à gauche. C’est pareil pour mes textes.

Tu travailles essentiellement sur ton synthé. À quel moment tu sais qu’un morceau est terminé et qu’il faut arrêter d’ajouter des lignes ou des voix ?
Je ne sais pas ! En ce moment je me pose beaucoup cette question. C’est quand tu l’écoutes et que tu ne te fais pas trop chier, quand tu l’écoutes et que tu n’as pas de manque. Parfois c’est hyper trompeur. Ça m’arrive souvent sur des démos de me faire tromper par l’émotion, tu te dis que c’est sympa, mais c’est sympa parce que tu viens juste de le faire. C’est difficile de savoir quand c’est vraiment terminé. Je commence souvent plein de trucs que je mets de côté, et finalement j’ai des maquettes de petits bouts et je n’en fais jamais rien (rires).

Tes textes sont plutôt sombres et ton interprétation sur scène et très intense, mais rythmiquement c’est dansant et presque enjoué. Est-ce que cette énergie c’est un moyen de purger ou d’expulser des angoisses ?
J’envisage la scène comme un lâcher-prise. Les émotions sont multipliées. On est là pour le show. Avant c’était peut-être un peu thérapeutique. Mais maintenant ça change, je ne sais pas vers quoi ça change. Je ne sais pas pourquoi, peut-être que j’ai grandi, j’ai vieilli et je n’envisage plus les choses de la même manière. Quand j’ai commencé à écrire des textes c’était vraiment un soulagement. Maintenant j’ai un peu plus de recul, je me demande comment dire les choses autrement. J’ai l’impression de faire tout le temps les mêmes chansons. Il paraît qu’on écrit tout le temps les mêmes chansons, c’est une histoire d’obsessions.

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Est-ce que tu penses qu’il y a aussi un effet de catharsis pour le public ?
Oui peut-être que tu t’y retrouves aussi. Et c’est ce qui est bien dans la chanson, il peut y avoir plusieurs niveaux de lecture. Parfois tu ne comprends pas très bien mais il y a une mélodie qui t’accroche. Ou parfois ce sont des mots qui te tapent dans la tronche. J’aime bien ça les mots qui te tapent dans la tronche !

Tu as composé « L’amour s’en va » à partir d’une dispute d’un couple que tu entendais par ta fenêtre ?
Il y avait tout le temps des mecs qui gueulaient en bas de mon immeuble. Ils gueulaient en arabe des trucs et je ne comprenais rien du tout. J’habitais au quatrième. J’ai mis mon micro et j’ai enregistré la conversation. J’avais commencé mon morceau à partir de ça. J’avais fait un slam de 15 minutes autour de l’amour. C’était rigolo, j’ai une maquette avec toute la conversation-engueulade, ça avait l’air assez intense.

C’est un processus que tu suis souvent, t’inspirer de situations de quotidien ?
Oui, souvent je pars d’un truc que j’ai entendu, d’un élément déclencheur. Ça peut être un mot, un truc qu’on m’a dit ou que j’ai lu ou entendu. Pareil pour “Drunk”, au début les paroles c’était “mêle noise and mistakes”. J’étais avec des Français et des Lituaniens et on parlait français, lituanien et anglais, c’était des traductions de traductions, un peu scabreuses. J’ai changé ensuite en “I’ve made loads of mistakes”.

La voix et la partie instrumentale sont très équilibrées, les deux prennent autant d’importance. Est-ce que c’est ce que tu recherches, l’équilibre parfait entre ces deux éléments, sans favoriser l’un ou l’autre ?
C’est un peu malgré moi mais j’aime bien l’équilibre des deux. Je ne suis pas dans la chanson à texte où le chant doit être au-dessus forcément. Parfois la musique vient taper le texte et parfois le texte vient se reposer sur la musique.

Est-ce que pour toi la voix est un instrument à part entière ?
Oui complètement, c’est mon instrument principal d’ailleurs. Je ne suis pas très bon instrumentiste et j’ai plus confiance en ma voix maintenant.

Parfois tu déclames plus que tu ne chantes. Est-ce que les chanteurs d’aujourd’hui sont les poètes d’autrefois ?
Oui peut-être. J’aurais bien aimé être poète.

Il faut être à moitié con pour créer.

Nord
Quels poètes lis-tu ?
Aragon, Rimbaud, Queneau aussi. J’adore ! J’aime bien les trucs un peu truculents. Soit je ne comprends rien et j’aime bien parce que je me dis qu’il y a peut-être un monde parallèle, soit je lis des trucs sur des astuces de phrases ou des phrases qui choquent. Queneau avait le sens de la formule.

Comme les poètes maudits, il faut être un peu torturé pour créer ?
Il faut être à moitié con (rires), sinon tu ne fais pas ça, tu te trouves un boulot et tu ne t’emmerdes pas avec l’écriture.

J’ai lu que tu avais beaucoup d’angoisses la nuit, que tu faisais des rêves un peu inquiétants.
Oui mais ça va mieux maintenant. Ce sont plutôt des douleurs physiques qui m’empêchent de dormir en ce moment, j’ai une contracture. Non mais ces dernières semaines ça va mieux, je dors mieux. Tu fais un choix : tu dors ou tu composes.

Visuellement tu as une imagerie très géométrique, en plus de l’utilisation du noir et blanc. Est-ce que tu as un esprit scientifique ?
Je crois que non, je suis allé complètement à l’opposé. Parce que je suis très bordélique. Avant je faisais toutes mes pochettes tout seul. Et là avec Nord je voulais vraiment aller à l’opposé de tout ça, je voulais un truc sobre, épuré, minimal. Partir sur d’autres codes. Et travailler avec d’autres gens aussi pour la pochette, la photo. C’était une autre expérience. Peut-être que ça changera, ma nature reprendra le dessus (rires).

Tu pars au Canada en août. Tu as une appréhension particulière à affronter un public étranger ?
Oui et non parce que j’y suis allé l’année dernière et c’était une super expérience. J’ai juste une envie : y retourner. J’étais resté une semaine sur place, j’avais rencontré pas mal de musiciens, j’ai joué dans des bars. J’ai joué avec des gars de là-bas et du coup le directeur du festival m’a dit “il faut que tu reviennes l’année prochaine”. Et donc là il m’a préparé un programme d’une semaine, notamment des vitrines où je vais jouer mes chansons et puis aussi des reprises. Ils appellent ça le “32 succès 16 voix”. Donc il y a 16 chanteurs accompagnés d’un groupe de Montréal. Moi je vais faire deux reprises, l’une de Nino Ferrer, l’autre de Jacques Dutronc.

Tu peux nous recommander des artistes canadiens ?
Malajube j’aime bien, ce sont des mecs de Montréal. Klô Pelgag aussi. Le chanteur de Karkwa, Jean-Louis Cormier. Sinon, dans ceux qui ne chantent pas en français, je suis hyper fan de Timber Timbre, des mecs de Toronto. Tous leurs albums sont mortels.

Si tu devais vivre dans un pays du nord, tu préférerais vivre les longues journées ou les longues nuits ?
Je ne sais pas, je crois que j’aimerais bien ne plus avoir de montre et voir comment mon corps réagit. Est-ce que c’est normal de se lever à 4h du matin ou à 4h de l’après-midi ? Si t’es là en tant qu’observateur – j’aime bien ce mot-là – tu peux faire des expériences. Je suis allé en Suède, mais c’était cool c’était l’été. Et en Lituanie, ça me faisait penser au Pays de Caux et à la campagne normande (rires).

► L’amour s’en va (EP), sorti le 08 avril chez Low Wood.

Propos recueillis par Jeanne Cochin.

Merci à Esther Cohen (Armonie Loves Music).