Jesse Mac Cormack : “Parler n’est pas ma force. Moi, je fais de la musique.”

INTERVIEW – On a profité du passage de Jesse Mac Cormack à Paris pendant le MaMA Festival pour discuter avec ce musicien hors pair, dans sa loge des Trois Baudets. 

Un escalier, une salle. Un escalier puis des loges. Sous sous-sol. Au moins. C’est un mercredi en début de soirée que je pars rencontrer Jesse Mac Cormack, talentueux auteur, compositeur, interprète et producteur montréalais signé sur le super label canadien Secret City Records qui fêtait ses 10 ans le soir même à Paris. Jesse on l’aime beaucoup sur Rocknfool, et c’est à l’occasion de la sortie de son troisième EP qu’il est de retour dans la capitale. Jesse est quelqu’un de très doux, apaisant même. Mais il ne se confie pas facilement, il prend le temps de réfléchir à chaque question que je lui pose, cherchant ses mots. Il est plutôt insondable, déroutant parfois quand il te regarde droit dans les yeux, sans broncher. Fasciné et fascinant en fait.

Jesse Mac Cormack

Rocknfool : Tu écris et tu produis pas mal pour tes amis, je t’ai vu faire de la basse pour Mon Doux Saigneur cet été, tu sors ton 3e EP, est-ce que tu crois que tu penses suffisamment à toi dans tout ça ?
Jesse : Non. Non, clairement pas. Mais plus maintenant, car je ne joue plus beaucoup avec d’autres personnes, c’est rare. J’essaie de consacrer plus de temps à ce que je fais, à m’amuser, à composer. Et sortir un disque ça prend beaucoup de temps tu sais…

Du coup tu as un peu répondu à ma question suivante, mais maintenant tu as suffisamment de matériel pour faire un album non ? Pourquoi plutôt un EP qu’un album ?
Je pense juste que ça me paraissait intelligent de faire ça, de préparer le terrain doucement. Si tu essaies de dire à quelqu’un qui mange de la viande que ce n’est pas bon de manger de la viande, il ne comprendra pas pourquoi. Il faut que tu lui expliques doucement, tu comprends ?

Je ne suis pas sûre de comprendre…
Dans le sens où si tu veux que le monde te suive dans ta religion, il faut y aller progressivement…

Ok, donc tu mets des petits bouts de viande dans leur purée quoi…
Oui c’est ça. Si tu veux en donner à ton enfant, peu importe ce que tu veux mettre dans ta purée de patates, tu camoufles ça tranquillement, et à la fin c’est une purée de carotte finalement.

D’accord, donc tes EPs sont des bouts de viande !
Ouais ! (sourire)

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Ce troisième EP est plus rock assumé, tes deux premiers avaient des tendances folk, la basse a définitivement remplacé la contrebasse… Quelle est ta destination finale ?
Oh… aucune idée ! Il y a vraiment beaucoup de choses que j’ai envie de faire… donc je ne sais pas la destination finale. Ou du moins il n’y en a pas pour le moment, car je ne m’en vais pas dans un endroit en particulier.

Tu te cherches encore ?
Je fais un truc, puis ce truc là ce n’est plus moi. Ça a été moi pendant un temps, mais je suis passé à autre chose.

Tant que tu ne vires pas à l’électro-dance à la David Guetta, ça me va.
Ok, promis je vais essayer de ne pas virer là.

Ta musique n’a jamais été très joyeuse. Souvent on dit que la musique est un reflet de son auteur, es-tu quelqu’un de déprimé ou triste ?
(réfléchit) Je ne pense pas non… Je suis quelqu’un de sensible c’est clair, mais je ne souffre pas de dépression. Je suis un peu une éponge : les gens qui sont autour de moi m’influencent…

Il faut que tu aies un bon entourage alors…
J’en ai un !

Je t’ai vu deux fois en live. À Paris en solo, en première partie de Sophie Hunger…
Au Trianon ? C’était cool ce show là, j’ai aimé ça.

… et je t’ai aussi vu en juillet au Festival d’été de Québec avec Half Moon Run. Ces deux fois-là, j’ai eu l’impression que c’était une épreuve pour toi de monter sur scène… Est-ce que la scène est quelque chose que tu appréhendes ?
(souffle) Ça change là… ça change tout le temps, c’est tellement différent ! Ces temps-ci j’essaye d’y prendre plus plaisir, mais il faut quand même être dans un bon état d’esprit pour monter sur scène… Tu trouvais que ça avait l’air éprouvant ?… À Québec je peux comprendre, les critiques de ce show là, je ne sais pas si tu les as lues… c’était “merci-bye”…

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Jesse Mac Cormarck

C’est vrai qu’en plus il y avait absolument toute la presse du festival à cause de Half Moon Run… Tu n’as vraiment pas eu de chance…
C’est pas grave, ça ne me dérange pas. On a eu des problèmes techniques et c’était quand même un gros poisson 10.000 personnes, l’énergie est vraiment étrange, tout se perd tout de suite tellement c’est grand.

Pour Sophie Hunger tu avais l’air dans ton cocon, sur le devant de la scène, dans un petit halo de lumière…
Parler n’est pas toujours ma force, tu te présentes quand même tout nu devant plein de monde et tu es censé être quelqu’un d’éloquent qui sait parler aux gens… non. Non, ce n’est pas moi. Moi je fais de la musique. Parfois j’ai des choses à dire, mais pas tout le temps. Et quand tu fais des shows tout le temps, certains soirs tu as moins à dire…

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Question technique pour quelqu’un de pas technique comme moi. Quand je t’ai vu sur scène, tu avais une guitare acoustique branchée à plein de pédales que tu avais rempli la rosace. Pourquoi ne pas directement jouer sur une guitare électrique ?
Je ne joue plus avec cette guitare là (sourire).

Bon, passons alors ! Il faut absolument qu’on parle de tes vidéos. Il y a gros aspect cinématographique dans ta musique, tu te mets aussi souvent en scène…
J’aimerais ça faire de la musique de film éventuellement !

Ta musique s’y prête en plus… Est-ce que tu les réalises ?
Non, j’y contribue beaucoup, je donne des idées, je suis dans tout le processus mais ce n’est pas moi qui ait le titre de réalisateur.

C’est quelque chose que tu aimerais bien faire ?
Peut-être… peut-être… ça pourrait. Je le fais déjà un peu mais ce n’est pas moi qui est nommé “réal'”, je regarde ce qu’il se passe dans le dos de la fille, car en fait c’est ma copine qui les faits.

Le rapport au corps dans tes vidéos est très présent. C’est voulu ?
Probablement oui…

Tu es trop blasé en fait !
(rires)

On en parle une autre fois si tu veux !
Non mais… (rires) Je pense que je suis attiré par le corps, c’est une des choses qui me viennent tout de suite, surtout dans cette série de clips là. Dans “Death Row” je me suis mis tout nu parce que cette toune là est vraiment à vif, je suis vraiment à cœur ouvert… À ce moment là dans le clip on est montés sur une espèce d’escalier mystérieux à Trouville, on est arrivés devant une maison où il n’y avait personne, et je me suis mis tout nu.

Comme ça !? Tu t’es senti à l’aise…
Presque dans tous mes clips on part avec quelques idées mais on n’a jamais de scénario : on y va, tout simplement.

Justement pour les scénarios, j’allais te poser la question, mais si tu me dis qu’il n’y en a pas…
On part toujours avec des idées, mais c’est principalement de l’improvisation ! C’est tout le temps on the spot.

Je sais que Half Moon Run aime beaucoup de que tu fais, j’ai rencontré les sœurs Boulay il y a quelques jours et elles me parlaient de votre génération d’amis à Montréal, avec Rosie Valland, Safia Nolin, Elliot Maginot etc. Est-ce que Montréal est un moteur créatif pour toi ?
Je ne sais pas, j’en ai aucune idée… C’est drôle de penser ça, car j’imagine qu’il y a d’autres personnes après, et il y en a eu d’autres avant… Je pense qu’il y a un mythe autour de ça… Ça doit être effervescent si tout le monde dit que ça l’est…

Je suis la première à te le dire ?
Non non, tout le monde est comme “Montréal, Montréal, Montréal !!!”. Moi j’habite là donc je ne m’en rends pas bien compte. C’est cool, c’est vrai qu’il y a plein de groupes que j’écoute qui viennent de là, ils sont sur le même label que moi [Secret City records ndlr], on s’intéresse à ce qui se fait autour de nous…

Peut-être qu’avant ça ne venait pas jusqu’à nous… ?
Peut-être. C’est nouveau je pense… en fait je ne sais pas ! (rires) Ça fait peut-être 20 ans que la musique sort de Montréal ?! Quelque chose comme ça… Il y avait la génération Patrick Watson…

Je pense qu’on n’aura pas la réponse…
Ouais mais c’était intéressant de réfléchir à ça.

Et toi tu es de Montréal-Montréal ?
De Montréal même! Mais je compte la quitter.

Tu veux aller où ?
Dans la campagne, autour de Montréal. J’aimerais ça m’installer dans une maison à la campagne, avec un studio, avec la fille avec que j’aime et avec mes futurs enfants.

Ça me fait penser à Paul de Michel Rabagliati. Tu lis un peu de BD ?
Je ne suis pas quelqu’un qui lit beaucoup, vraiment pas. J’ai commencé à lire cette année. Je lis plus de trucs comme PsychoPop, des modes d’emploi de vie si on veut…

Spirituels ?
Oui, dans ce style là. J’ai déjà fait de la méditation, des genres de retraite. J’ai fait deux retraites de 10 jours, dans le silence : pas le droit de lire, pas le droit au contact visuel avec les autres, pas le droit de rien rien rien. C’était vraiment intense.

C’est dur 10 jours…
Mais c’est fou, ça déchire.

Tu me le conseillerais ?
Beh oui ! C’est bon pour tout le monde, même pas longtemps ça fait du bien. Juste 5 minutes… tu vas sentir la différence, tu fermes les yeux et tu te concentres.

Est-ce que pour finir il y a une question que je ne t’ai pas posée que tu aurais aimé que je te pose ?
(silence) Je ne pense pas. Ça m’a fait plaisir que tu me poses une autre question par exemple… mais je ne pas laquelle (sourire).

J’aurais pu te demander : pourquoi as-tu deux chaussettes différentes par exemple.
Ah bin ça, j’ai la même paire à la maison ! C’est comme ça… !

► After The Glow EP, disponible (Secret City Records).

Merci à Jesse et à Jérémy.

Propos recueillis par Emma Shindo (Paris, 12 octobre 2016).