Jack Savoretti : “Si tu ne veux pas parler de toi dans tes chansons, fais un autre métier”

INTERVIEW – Suite à la sortie de “Sleep No More”, son cinquième album, on a retrouvé Jack Savoretti dans sa loge, quelques heures avant son dernier concert de tournée, au Café de la Danse.

Il nous a un peu surpris, en sortant Sleep No More, un cinquième album un peu plus d’an an après Written in Scars. Plus pop-rock grand public. Jack Savoretti est un boulimique du travail qui enchaîne studios, promotion, festivals et concerts. On a voulu le rencontrer, le retrouver plutôt, puisqu’on avait déjà eu la chance de lui parler de son quatrième album. Et même si on n’est pas tout à fait fan de son dernier album, certaines compositions nous rappellent combien ce songwriter est un compositeur talentueux qui, avec son timbre de voix écorché, sait nous faire dresser les poils en quelques millisecondes. Discussion avec Jack Savoretti, son pull du Pop-Up du Label (où il a joué en octobre 2015), sa gentillesse et sa générosité.

Jack Savoretti dans sa loge au Café de la Danse (c) Emma Shindo

Rocknfool : Comment ça va ?
Jack : Ça va, je suis un peu fatigué. On est en tournée depuis que l’album est sorti. Demain [le lendemain du concert au Café de la Danse ndlr] on fait une pause de deux semaines, puis on repart sur les festivals.

On s’est parlé il y a un tout petit plus d’un an, et tu as déjà sorti un nouvel album entre temps. Tu ne sembles pas avoir de problème avec l’inspiration… Écrire c’est quelque chose dont tu ressens urgemment le besoin ? Quelque chose de naturel ?
Pour le moment ça l’est oui, particulièrement avec mes deux derniers albums [Written In Scars et Sleep No More ndlr] j’ai beaucoup aimé les faire. Il y avait un peu de stress bien sûr, mais cela fait partie du fun. J’adore écrire, et si je n’étais pas sur les routes, je crois que j’écrirais encore plus. La tournée est la seule chose qui me freine dans cette tâche. C’est pour ça que c’est important pour moi de faire des pauses, pour écrire de nouveau.

“Je n’écris pas en tournée, je n’ai plus le temps.”

Tu n’as pas le temps d’écrire quand tu es en tournée ?
Je n’écris pas en tournée, je n’ai plus le temps. Je le faisais quand j’ai débuté ma carrière, mais maintenant entre la promo, les soundchecks, les déplacements… il ne me reste que très peu de temps. J’écris quand je rentre chez moi, entre deux tournées. Je téléphone aux amis qui ont des studios et je leur demande si l’un d’eux est disponible et motivé. Alors j’y vais, on écrit et on enregistre.

Pour Written In Scars, ton dernier album, tu avais écris et enregistré le même jour…
On a fait la même chose pour cet album également. J’aime bien écrire directement au studio, de cette façon je peux conserver une trace des tout premiers jets. Il y a quelque chose de très spécial aux premières versions de tes chansons, quelque chose de magique, d’honnête… Ça peut être parfait ! Après tu n’as plus qu’à les amener avec toi en tournée, en les retravaillant un peu pour les rendre plus denses, ou plus intimes.

Tu as dit que tu aimais capturer des moments de vie, de ta vie, pour les mettre dans ton album. Tu penses que tu as pris suffisamment de recul pour pouvoir en parler ?
J’ai pris suffisamment de recul pour parler de ma vie bien sûr, les événements se poursuivent. Ma vie continue. Même si être loin de chez soi nous rend plus émotifs : c’est toujours comme ça. Quand tu voyages, tes émotions sont sur le mode ON, car tu n’es pas chez toi. Alors qu’à la maison, tous tes sentiments sont en mode OFF, tu te relâches et tu captures enfin toutes les émotions que tu ressentais auparavant. Donc je ne crois pas qu’il faille forcément prendre du recul pour être capable de parler de soi.

Tu ne voudrais pas avoir le temps de traiter et analyser tout ça justement ?
Ça serait bien si ! Mais je ne le fais pas (rires).

“Je veux que ma musique soit aussi personnelle que possible.”

Tu n’as pas peur que ta musique devienne trop personnelle ?
Non justement, je veux que ma musique soit aussi personnelle que possible ! La musique est belle quand elle est personnelle. Je suis en colère quand ma musique ne l’est pas suffisamment. Sinon, quel est l’intérêt ? Si tu ne veux pas parler de toi, fais un autre métier. J’ai d’ailleurs remarqué que plus je fais d’albums, plus ils sont personnels. Plus tu avances – pas que tu deviennes forcément meilleur – mais plus tu en apprends sur toi, et plus c’est facile d’exprimer ce que tu ressens réellement.

Dans “Deep Waters” tu dis : “Je ne coulerai pas, je nagerai, je continuerai à faire ce que je fais, et à me dépasser…” Tu ne serais pas hyperactif ? Avec toutes ces tournées, ces albums… Combien de temps vas-tu tenir ainsi ?
C’est une très bonne question… (rires) Il ne faut pas se brûler les ailes. Le temps nous le dira.

Crois-tu qu’il y a ces moments dans une carrière où il faut profiter de sa productivité avant d’alterner avec les moments plus creux, créativement parlant ?
Peut-être qu’il y a en effet cette volonté de battre le fer tant qu’il est encore chaud. Pourtant, Sleep No More est sorti il y a six mois à peine. Cela n’empêche pas les gens de me demander ce que j’ai prévu pour la suite. Souvent, je me dis : punaise, j’ai sorti deux albums en trois ans ! Cinq en dix ans ! Ça fait beaucoup !

“S’il ne m’arrive rien, alors je n’écrirai rien.”

Je ne sais pas ce qu’il se passera une fois que j’aurai fini mes tournées. Après la tournée de Written In Scars je me suis dit que j’allais prendre du temps pour moi… mais une semaine après j’étais de retour au studio. Vers la fin de l’année je réfléchirai à ce que je vais faire par la suite… ça ne sera pas forcément de faire un nouvel album. Ça pourrait tout aussi bien prendre un break de six mois, un an ! Je ne sais pas ce qu’il va se passer pour moi. Je n’écris que sur ce qu’il m’arrive. S’il ne m’arrive rien, alors je n’écrirai rien…

Dans tes textes, il y a beaucoup de conseils et de constats que tu as tirés de ton expérience. Est-ce une sorte d’héritage que tu voudrais léguer à tes enfants, à travers tes chansons ?
Il y a un peu de ça en effet. Je pense au deuxième album de l’exceptionnel Sturgill Simpson, qu’il a écrit juste après la naissance de son enfant. Tout l’album est dédié à son fils : il lui parle du futur, de ce qu’il faudra faire et ne pas faire… C’est un album génial, le concept est super. Je pourrai tomber dans ce piège à mon tour.

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Tu dis aussi dans une de tes chansons que “seul l’amour peut vaincre la guerre”. En es-tu bien sûr ? Car je ne me sens pas aussi optimiste que toi.
Malheureusement, je pense que c’est la seule solution. Je ne suis pas très optimiste non plus, c’est une pensée très déprimante de songer qu’il n’y aurait que l’amour qui pourrait y parvenir. Or les hommes n’aiment pas l’amour, ils n’en veulent pas, ils n’en ont pas besoin. L’amour ne fait pas gagner de l’argent, la guerre si. Alors l’amour pourrait être la seule solution oui.

J’ai une théorie : les plus beaux albums existent grâce aux peines de cœur, aux doutes… sur fond d’amour en-dessous. Es-tu d’accord ?
C’est très difficile d’écrire des chansons heureuses. Donc oui, la plupart des chansons naissent du désespoir, de l’amour, des ruptures…

Sleep No More est un album sur comment garder l’amour

Justement, ton nouvel album, Sleep No More, parle d’amour.
C’est un album sur l’amour, sur comment garder l’amour, comment le mettre au défi. J’ai 33 ans maintenant, mais quand j’avais 30 ans, mon deuxième enfant est né. Jusque là j’étais très terre à terre, peu de choses m’importaient : si je perdais mon amour, je m’en sortirais etc. Soudainement tu commences à voir d’autres couples qui se séparent, et tu te rends compte que finalement tu tiens à tes acquis, et tu vas faire en sorte que ça dure. Tu ne sais pas quelle est la solution, mais tu sais que tu dois faire des efforts : tu dois te battre, te soucier… Ce n’est pas censé être facile. Et cet album est justement à propos de cette prise de conscience. Je l’ai intitulé Sleep No More, car ce genre de pensées te maintient éveillé toute la nuit, cela te fait réfléchir aux solutions, pour ne pas que tout s’effondre… Je suis content d’en avoir pris conscience, de peser la valeur des choses, de savoir pour quoi je me bats… mais qu’est-ce que c’est dur comme combat ! (sourire)

J’adore ta chanson “Lullaby Loving”. Quelle est son histoire ?
Cela parle de la naissance de ma première fille. De réaliser combien j’étais un homme égoïste, de me rendre compte combien notre vie, à ma femme et moi, était différente avant qu’on ait notre fille. Car tu dois changer à partir de ce moment-là, de rôle et d’identité. Et “Lullaby Loving” parle de ça : ce que l’on était avant, et ce que l’on doit faire maintenant.

Tu es Italien et Anglais. Mais il y a une édition spéciale de ton album pour les Français, tu as fait un duo avec Rose, tu viens jouer tous les 6 mois à Paris… Qu’est-ce qu’il y a entre toi et la France ?
J’adore la France, j’adore Paris. J’aimerais mieux connaître le reste du pays. Ma sœur s’est mariée avec un super photographe français, ce qui m’a permis de voyager un peu. J’ai désormais une magnifique petite nièce française, et j’ai commencé à apprendre la langue. La France est aussi une très bonne scène musicale, productive, vaste, progressive… je suis un peu obsédé par Jain en ce moment, un peu comme toute la planète je crois. Sa chanson “Makeba” est fantastique. C’est aussi très intéressant de venir travailler ici pour un musicien. Je serais vraiment heureux si ma musique commençait à marcher ici. Le marché est dur, car vous avez beaucoup de bonnes choses…

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Propos recueillis par Emma Shindo