Bombino : “Le désert, meilleur endroit pour apprendre et pour composer.”

INTERVIEW – Rencontre avec Bombino. Le bluesman du désert est à l’image de sa musique : solaire, passionnant et généreux.

À l’arrière de la scène sur laquelle il jouera avec son groupe ce soir, on découvre Omara Moctar au fond de sa loge. L’homme qui a fondé Bombino est devenu, en quelques années, la référence du blues du désert. Il a ouvert la voix à de nombreux musiciens touaregs et parcourt les routes du monde. Vie au Niger, découverte de la musique, enregistrements studio… On revient avec lui sur les différentes étapes de son parcours de musicien. Avec le désert en toile de fond, toujours.

Si on te dit “Agadez”…
La porte du désert… Tu connais un peu ?

Non, je n’ai pas encore la chance d’y être allée malheureusement !
Bon, alors Agadez, c’est la porte du désert, à presque 1000 km au nord de la capitale du Niger. Agadez, c’est comme une porte pour aller au nord de l’Afrique, et même vers l’Europe. Ça ressemble un peu à l’ancienne Égypte. C’est là où je suis né, où je vis actuellement, où on a appris à jouer de la guitare, avec des amis… Les débuts !

Et c’est donc aussi le nom du premier album…
Oui, parce que pour nous c’était une fierté d’amener ce nom-là. C’est un nom qui était déjà connu dans le domaine touristique. Les gens venaient visiter Agadez… Beaucoup de Français… D’ailleurs c’est comme ça que j’ai appris à parler cette langue !

“Touareg”
Le nom des Touaregs, c’est Kel Tamaceq… Dans les années coloniales et quand l’Islam est venu, on a appelé les Touaregs “Kel Tamaceq”, c’est-à-dire les gens qui vivaient dans le désert. Le mot “touareg” est venu après l’islam. En arabe, ça veut dire “rebelles”, qui ne veulent pas s’intégrer à l’islam. C’est resté comme ça.

Et est-ce qu’il y a cette idée de rébellion chez vous aussi ?
Oui ! Plusieurs fois. Dans les années 2010, il y a eu une première rébellion, qui a fait connaître les touaregs du Niger, parce qu’au début, les touaregs n’avaient aucun droit dans ce pays. Même pas le droit d’aller faire une carte d’identité ! Mais après cette rébellion, beaucoup de choses ont changé, et se sont améliorées. Musicalement aussi. Mais on est presque le seul groupe nigérien à tourner par-ci par-là, dans le monde.

Alors “guitare”, pour enchaîner sur le monde de la musique, justement.
La guitare… Ce n’est pas un instrument dont je suis tombé amoureux comme ça. Tout a commencé avec le voyage de l’exil, à travers cette rébellion, en 1989, 1990. À 11 ans, 11 ans et demi seulement… C’est la première fois que je voyais une guitare acoustique, dans une ville du pays voisin, à Tamanrasset en Algérie. Il y avait des cousins qui venaient nous voir de temps en temps, et qui jouaient le soir. C’est avec eux que j’ai vu une guitare pour la première fois.
On était inscrit à l’école, et mes frères et sœurs y allaient, mais moi je me cachais quelque part dans la maison et j’attrapais la guitare. Tout a commencé là. Chaque soir, je la grattais un peu pour voir ce que ça donnait. Et 3 ans après, quand on a été de retour à Agadez, ma seule idée a été de trouver MA guitare.

Bombino accordéoniste ?

Comment l’avez-vous trouvée, finalement ?
Je me suis mis à réfléchir. J’avais un oncle qui était peintre. Le meilleur du Niger à l’époque (Rissa Ixa, ndlr). Il amenait ses tableaux en Europe pour les vendre. Et quand il revenait, il ramenait toujours quelques instruments : des guitares, des pianos… La famille parlait de lui, du coup j’avais cette idée d’aller chez lui. Mais il vivait à 1000 km, à la capitale, et j’étais trop jeune, je n’avais pas le droit de voyager. Tu imagines un peu ? Mais je suis parti quand même, sans que mes parents ne le sachent (rires) ! C’était un voyage fou mais…

Il fallait la trouver !
Oui, il me FALLAIT cette guitare ! Arrivé là-bas, il avait plusieurs guitares. Et quand il m’a vu, il m’a donné un instrument comme cadeau, mais ce n’était pas une guitare, c’était un accordéon ! J’étais là “bon, ok, il faut que je lui dise quand même” mais je n’osais pas. Après 2 jours, j’ai su qu’il fallait le convaincre et j’ai réussi.

Bombino aurait pu être très différent alors !
(rires) Oui, très différent !

“Ali Farka Touré”
Une grande influence ! C’est un musicien très connu dans le désert, par tous les nomades. Il était aimé. Tous les enfants l’écoutaient. Moi, je l’écoutais pour essayer d’apprendre quelque chose de sa guitare. J’écoutais, et j’apprenais à jouer.

“Jimi Hendrix”. Est-ce que c’était la même chose avec lui ?
Oui, c’était la même chose. J’aimais mettre sa musique à fond dans le désert pour voir, et ça correspondait bien ! On dansait avec des amis (rires). On avait construit un faux podium et on imitait Jimi Hendrix dessus, sa façon de jouer, sa façon de bouger ! On a trouvé certains trucs qui nous ont beaucoup aidé, on a compris certaines tonalités, certaines notes, cette rapidité qu’il avait. On le mettait, on faisait des pauses pour regarder comment il faisait…

On va dire que le prochain mot, c’est “désert” : est-ce que la musique sonne différemment dans le désert ? Qu’est-ce qui change ?
Peut-être cette liberté. Dans le désert, il y a ce sentiment qu’on ne peut pas bien expliquer. Tu es dans une liberté que tu ne peux même pas décrire. Il y a une liberté des gens, une liberté des sons, une liberté d’esprit, une liberté d’expression… Pour un artiste, c’est bon de vivre dans le désert, parce que ça l’améliore, ça l’aide à créer de nouvelles mélodies, de nouvelles chansons… Le désert, pour moi en tout cas, c’est le meilleur endroit pour apprendre et pour composer.

Bombino @Django Reinhardt
Bombino @Django Reinhardt

“Studio”. Par opposition au désert peut-être…
Pour moi, ce qui me dérange beaucoup, c’est d’être toujours enfermé dans une petite cage. Et souvent, tu répètes, tu répètes, tu répètes. Parfois, quand tu répètes beaucoup, tu n’as plus ce goût-là, que tu as quand tu joues quelque chose pour la première fois. Il y a certaines tonalités ou notes qui te surprennent toi-même, quand tu joues la première fois. Mais quand tu le joues une deuxième fois, une troisième fois, ce ne sera pas le même son, ce n’est pas la même chose. La musique, c’est quelque chose que l’on partage. Donc si tu arrives à enregistrer le premier truc, c’est déjà bien ! Après, tu avances, tu vois si ce premier truc, tu peux l’améliorer un peu, mais il ne faut pas encore enregistrer les mêmes choses… Ça, c’est le problème du studio. Alors que dans le désert, tu enregistres juste la première fois, et on retrouve très bien le meilleur, tout de suite. Dans les studios, pour moi le matériel est bon, mais voilà.

“Dan Auerbach nous a beaucoup aidés”

“Dan Auerbach”.
Il était vraiment fan de musique du désert, et fan de la musique de Bombino depuis notre première apparition en 2004, au Niger. Il a essayé de voir la possibilité de chanter, de jouer avec nous un peu. Avec l’album Agadez, on tournait beaucoup, et là, il y a eu un moyen de se voir en dehors de l’Afrique. Il s’est organisé avec notre manager pour voir les possibilités d’enregistrer chez lui. Il ne parle pas Français mais ça a été une bonne expérience, un grand échange. Il nous a mis dans un studio, mais qui n’avait rien à voir avec de petites cages ! Il nous a mis dans un endroit pour faire de la musique en grand ! Ça change un peu de l’habitude du studio où on te met tout seul. Ça, Dan l’a compris. Et il nous a aussi appris beaucoup de choses. Et montré des appareils, des studios, des guitares qu’on n’aurait même pas pensé pouvoir toucher… Avec lui, on a beaucoup poussé notre musique, il nous a beaucoup aidés.

“Scène”.
La scène, tout dépend… Tu sais ce qu’on dit : “Bon public, bon concert !”. C’est ça qui permet de tourner et de donner une bonne image du groupe. S’il y a une bonne ambiance, même si le public n’est pas chaud chaud, ça va aller. Sur scène, il faut toujours se donner à fond, à 100%… Mais vraiment, tout dépend du public (rires).

“France”.
Pour moi la France, c’est l’Europe. Si aujourd’hui on commence quelque chose, c’est à travers la France. La première langue étrangère qu’on sait parler, c’est le français. Bien sûr il y a les années qui passent, il y a l’Histoire qui est là. Mais la France pour moi, c’est comme la maison. Il y a eu plein d’histoires, plein d’échanges avec ce pays. Maintenant, pour la situation des touaregs, la France, je ne sais pas où elle en est. Quand tu vois les frontières… Là où nous sommes, on parle le français, mais la France n’est pas tellement présente. Elle n’est pas tellement derrière la situation touareg. Espérons qu’elle va nous faire confiance, qu’elle sera là pour nous aider un peu à améliorer notre situation de vie locale.

“Futur”.
Nos projets, c’est de faire des tournées, mais aussi un 4e album à la fin de l’année. Le commencer quelque part en Europe, et le finir en Afrique. Ça, c’est ce qu’on souhaite.

Donc pas les États-Unis cette fois ?
Non, pas cette fois-ci. Mais le but sera toujours de le faire connaître un maximum dans le monde, et de le faire tourner partout.

En fait, vous ne vous arrêtez vraiment jamais de bouger !
Non, jamais ! (rires)
 
► En concert à Crozon au Festival du bout du monde, le 6 août.

Interview & photos réalisées par Morgane Milesi. Un grand merci à l’Espace Django Reinhardt de Strasbourg pour son accueil.

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