Amber Run : “On a réappris à aimer la musique et à s’aimer entre nous”

INTERVIEW – Rencontre avec les talentueux Anglais d’Amber Run, à l’occasion de leur tout premier concert en France, à Rock en Seine.

Il a suffi d’une session acoustique splendide pour me faire tomber amoureuse. C’est d’ailleurs ce que je commence à dire à Joe (chant, guitare), Henry (piano), Will (guitare) et Tom (basse) alors qu’ils s’installent sur les chaises longues (et bancales) en backstage de Rock en Seine. Ils sont arrivés de Londres le matin, et repartent après leur concert.

Il est encore tôt ce dimanche après-midi, et il fait très chaud dans ce grand espace vert, habituellement bondé. On s’installe sous des arbres et c’est parti. Les Anglais sont pour leur première fois en France et présentent leurs deux premiers albums au public parisien. Après le départ de leur batteur, le quatuor a eu du mal à se refaire et à se reconstruire. Son deuxième LP For A Moment I Was Lost a été thérapeutique. Et comme 5am, il contient de magnifiques chansons, mélancoliques au possible, mais toujours imprégnées d’espoir.

Rocknfool : Votre deuxième album For A Moment, I Was Lost est sorti il y a quelques mois (Dine Alone Records), vous avez un nouveau batteur (Glyn ndlr), vous tournez depuis quelques temps, et une belle tournée européenne vous attend à la rentrée. Est-ce qu’Amber Run a retrouvé son équilibre et sa stabilité ?
Joe : Je dirais que oui. Amber Run a connu sa période hostile et turbulente avant le deuxième album. C’est d’ailleurs sans doute pour ça que Felix est parti… On aime tous beaucoup faire partie de ce groupe, et on s’amuse comme jamais. On est vraiment excités à l’idée que ce deuxième album nous permette de jouer dans des endroits où on n’avait pas encore eu l’occasion d’aller avec le premier. On fait nos premiers concerts en France, en Allemagne… on va faire notre première tournée européenne en tête d’affiche. On a effectivement bien retrouvé l’équilibre !

“Ce deuxième album nous a beaucoup aidés pour réapprendre à aimer la musique et nous aimer entre nous.”

Votre deuxième album, For A Moment I Was Lost, a-t-il été un moyen de garder la tête hors de l’eau et ne pas sombrer ?
Henry : C’est à peu près ça en effet. Après le premier album on s’est vraiment remis en question : Felix est parti, on s’est séparé de notre label… Il fallait se demander si on voulait continuer avec Amber Run ou non. Ce deuxième album a un peu été notre façon d’y faire face. On peut s’en rendre compte dans certaines chansons, enfin quasiment toutes en fait. Ça nous a beaucoup aidés pour réapprendre à aimer la musique, mais aussi pour réapprendre à nous aimer entre nous. C’était difficile… (Tom fait une bise à Will). On s’embrasse beaucoup maintenant ! (rires)

Votre musique n’est pas très joyeuse et cet album traite de santé mentale et de remise en question. Est-ce que vous pensez que la mélancolie et la tristesse sont toujours à la base des meilleures chansons ?
Joe : Je ne crois pas. Sincèrement, quand tu en viens à écrire de la musique, tu parles de ce que tu ressens. C’est un horrible cliché mais c’est sans doute vrai : les gens qui écoutent ta musique te comprennent réellement quand ce que tu racontes en vaut la peine. En revanche je ne pense pas que la musique mélancolique et triste fasse les meilleures chansons. Il y a une explication au succès d’une chanson comme “Happy” de Pharell : tu te sens bien en l’écoutant, elle te tire vers le haut. Si on a plus exploité notre côté mélancolique qu’euphorique ces derniers temps, c’est qu’on a été confronté à quelques épreuves émotionnelles. Mais je ne dirais pas que le futur de ce groupe sera forcément fait de tristesse pure et dure.
Henry : On travaille en ce moment sur notre 3e album, et c’est bien plus joyeux. On ne sera pas toujours déprimés, à pleurer indéfiniment.
Joe : En fait on écrit sur ce qu’on vit. Les chansons sont des moments donnés dans le temps, il faut faire avec. Les gens en font ce qu’ils veulent. “I Found” était pour nous une chanson incroyablement triste, mais des gens l’ont utilisée pour leur mariage, un des jours les plus heureux de leur vie. En fin de compte, ce n’est pas important de savoir si c’est triste pour nous ou non, car ça peut vouloir dire quelque chose de complètement différent pour quelqu’un d’autre.

En plus vous n’avez pas l’air d’être des personnes particulièrement tristes…
(rires)
Will : Ta question parlait de tristesse à la base des meilleurs chansons. Si tu es assis et que tu te sens triste, tu es plus à même d’exprimer cette émotion-là. En revanche, si tu es heureux, tu ne vas pas spécialement prendre le temps de t’asseoir seul et écrire de la musique. Je pense que les personnes qui sont tristes sont plus susceptibles d’écouter de la musique triste, car les émotions y sont plus fortes non ? Il est alors plus facile d’exprimer ce que tu ressens, par rapport à un état de joie où tu n’es pas dans le bon état d’esprit pour le faire.

La musique doit-elle être introspective, comme la vôtre l’est, pour parler à plus de personnes ?
Henry : Pas du tout non. Par exemple alt-J, je ne sais absolument pas ce qu’il se passe dans leur vie. Glass Animals pareil. Il ne faut pas forcément que ça soit des “je ne me sens pas bien blablabla”. Les paroles ne font pas tout. Tu peux aimer de la musique simplement avec le son, ou bien même quand tu ne comprends pas les paroles.
Joe : On est un mauvais exemple, car les chansons qui ont des refrains que l’on adore, les chansons auxquelles on tient le plus, sont les plus introspectives. Cependant ce n’est pas l’élément le plus important de la chanson. C’est juste que pour le moment, ce sont des chansons qu’on interprète peut-être avec plus d’intensité. On ne sait pas ce qui va se passer par la suite.
Will : Ça dépend également de la personne qui écoute et perçoit : certaines personnes ont besoin de paroles qui leur parlent, d’autres de sons auxquels elles s’attachent, à une humeur, un sentiment. Il m’est arrivé d’adorer des chansons simplement pour la musique et non pour les paroles. Certaines personnes adorent le métal progressif car musicalement c’est très complexe, les paroles et le sens des textes sont souvent là juste pour décorer.
Henry : “On ne voit pas le monde tel qu’il est, on voit le monde tel que l’on est”.
Joe : Noam Chomsky.

“Ce que représente musicalement et textuellement les chansons ne doit pas, et ne devrait pas influencer les représentations que les gens s’en font.”

J’aime particulièrement “Machine” qui est l’une de mes chansons préférées de votre album. Je ne crois pas que vous en ayez déjà parlé. Quelle est son histoire ?
Joe : Je vais t’expliquer, mais avant je fais une petite mise en garde en disant que textuellement ce que cette chanson représente pour moi, et musicalement ce qu’elle représente pour nous, ne doit pas et ne devrait pas influencer la représentation que les gens s’en font. Maintenant que j’ai dit ça je peux te raconter son histoire. Cette chanson parle du départ de ma copine à Amsterdam. La distance qui nous séparait était assez importante, on gardait contact, on se parlait à travers des machines plutôt qu’en personne. Un moment de doutes est arrivé, je me suis posé des questions sur la pérennité de cette relation. La seule chose qui nous poussait à continuer était la réponse à la question suivante : “Est-ce que tu m’aimes ? Est-ce suffisant pour continuer ainsi ?”
Tom : Musicalement on a tenté plusieurs versions, plusieurs variations pour exprimer cette émotion-là du mieux que l’on pouvait. On a fini avec trois versions différentes. Il fallait qu’on amène cette chanson, qui est forte émotionellement, vers une version qui puisse contenir toute son intensité. On a alors décidé de revenir sur une version plus épurée, juste la mélodie et la voix.
Joe : C’est finalement une version live au studio qu’on a gardée.
Will : C’est pour ça que la guitare est bâclée, ça me gêne beaucoup (rires).
Henry : Les qualités et les défauts…

Vous avez sorti plusieurs chansons tirées d’un EP acoustique, qui sont superbes. Les artistes doivent-il plus miser sur la musique électrique plutôt qu’acoustique s’ils veulent se voir offrir plus de propositions live ?
Joe : Ça dépend de ce que tu veux. Plein d’artistes acoustiques s’en sortent super bien en live, il y a plein de choix de festivals… En ce qui nous concerne, cet EP acoustique est un challenge que l’on s’est fixé à nous-mêmes car on ne fait pas de musique acoustique. On se branche, et on joue en live. Et c’est ça qu’on aime en tant que groupe et musiciens : le défi du live. Cyniquement si tu veux être commercial, il faut que ta chanson soit très bonne, ta performance également, et ça touchera les gens, peu importe la façon dont c’est présenté.
Henry : Tu as raison de dire que cela dépend simplement de ce que tu veux faire. Nous, on veut du live, il n’y a rien d’aussi excitant que de brancher son piano… (les autres rient) Tu entends ce craquement dans l’ampli… Certaines personnes aiment José Gonzalez par exemple, qui ne fait que de l’acoustique et travaille comme un dingue. Si c’est ce que les gens aiment, alors c’est tant mieux.
Joe : En ce moment en plus, alors que tout le monde peut plus ou moins faire de la musique dans sa chambre, la scène live évolue puisqu’il y a de plus en plus de DJs, de producteurs populaires. Le monde folk s’en rend bien compte.
Will : Si tu es un artiste folk, l’acoustique est ce qu’il y a de plus simple, la voix et l’instrument sont superbement mis en valeur… Si en plus tu peux t’auto-produire comme Jack Garratt, qui sait tout faire…
Joe : Je ne sais pas si on a répondu, mais on a donné notre avis (sourire).

“Nos ballades sont nos meilleures chansons (…) celles que l’on considère comme nos meilleures du moins.”

Est-ce que pour vous, jouer en festival est plus contraignant qu’en salle ? Vous avez un certain nombre de ballades dans votre répertoire…
Henry : On en joue quand même ! Mais tu as en partie raison, car quand tu joues en festival, tu dois tenir compte du fait que beaucoup de personnes ne savent pas qui tu es. Tu dois attirer leur attention avec des chansons plus rapides, auxquelles elle peuvent accrocher. À ton propre concert, le public est plus indulgent ; tu montes le set que tu veux.
Joe : Surtout pour un groupe comme nous, nos ballades sont nos meilleures chansons, celles qui ont l’air de plaire le plus, celles que l’on considère comme nos meilleures du moins. Bien sûr que l’on va jouer un peu de nos ballades, car c’est ça Amber Run.

Vous avez dit qu’en tant que groupe, vous ne vouliez pas être consignés à un genre musical. Du coup, qu’est-ce que ça va donner Amber Run dans cinq ans ?
Joe : Comme disait Henry : une rencontre entre Kasabian et du hip-hop…
Henry : Je suis pas mal en mode hip-hop et musique psychédélique en ce moment. Donc un truc comme Dr Dre chanteur de Tame Impala. C’est là où j’aimerais qu’Amber Run soit.
Joe : Je ne crois pas qu’on se projette vraiment. Quand tu te dis “je veux un album comme ça”, tu vas finir par t’étouffer petit à petit, étape par étape, car ne t’en sentant pas capable, tu commences à refuser certaines propositions. Ça devient juste tellement chiant quand tu écris toujours les mêmes chansons que tu joues toujours de la même façon… Donc on ne sait pas où sera Amber Run dans cinq ans, mais on sait qu’on continuera à se développer et à se poser des défis.
Henry : En plus ça sera sûrement plus joyeux puisque les albums reflètent nos états d’esprit, et qu’on sera bien plus heureux. Un truc comme Mika qui rencontre Dr Dre (rires).

Il y a quelques mois je suis tombée amoureuse d’Island, un groupe que vous connaissez très bien, puisque vous les avez amenés avec vous en tournée. Pourquoi est-ce que tous les Parisiens devraient venir les découvrir en novembre au Pop-Up du Label ?
Will : James le bassiste, et moi, sommes allés à l’école ensemble quand on avait 8 ans. Forcément on a découvert nos groupes mutuels. Ils font vraiment de la super bonne musique, très accrocheuse avec des atmosphères oniriques, très détendues. Le chanteur a un timbre de voix unique. Ils écrivent aussi de très bonnes chansons, ils ont une bonne dynamique car je sais qu’ils enregistrent tout en live, ils n’ajoutent pas de productions par-dessus. Ce n’est pas un groupe difficile à apprécier, et ce qu’ils font, ils le font vraiment super bien.
Joe : Ils sont vraiment très bons en live !

Est-ce qu’il y a une question que je ne vous ai pas posée que vous auriez aimé que je vous pose ?
Henry : Qui est le plus petit du groupe ? La réponse est Will.
Will : Incorrect.
Tom : Qui a les pires cheveux du groupe ? C’est aussi Will.
Joe : Le plus moche ? Will aussi. On revient le 26 octobre à Paris (concert à la Maroquinerie ndlr). C’était bien de le mentionner quelque part (sourire).

Merci à Amber Run pour leur gentillesse et à Juliette.

Propos recueillis par Emma Shindo (c) crédit photo  (27 août 2017 à Rock en Seine)

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