Judah & the Lion : “Dans la musique, rien n’est impossible”

INTERVIEW – Pour leur tout premier concert à Paris, on ne pouvait pas rater Judah & the Lion. Rencontre avec ces ovnis musicaux tout droit venus de Nashville.

C’est la toute première fois que Judah & the Lion jouent en France. Ils ouvrent ce soir-là pour Kaleo, et je peux dire très honnêtement qu’ils étaient bien meilleurs que la tête d’affiche. Je prends un plaisir fou à les découvrir en live, après un passage avorté en mai dernier qui m’avait laissé un petit trou béant dans le cœur. J’ai le sourire aux lèvres, le cœur empli d’excitation et je les regarde captiver et chauffer l’Olympia comme j’ai rarement vu. Ils sont pour moi les fils spirituels des Mumford et de Twenty One Pilots. Ils sont dingues. J’adore.

Quand je les retrouve quelques heures avant, ils arrivent tout juste à Paris. Je pénètre alors dans l’antre de cette salle mythique, je croise Spencer (batterie) dans les longs couloirs, déballant les malles, et préparant leur soundcheck. On m’emmène dans l’immense espace artiste, où Nate (banjo), puis Brian (mandoline), et enfin Judah (chant) me rejoignent. On se trouve une petite loge cosy où les garçons s’installent, bouteilles d’eau en main, les traits un peu tirés par la route. Pourtant ils ont le regard doux et semblent sincèrement ravis d’être à Paris pour présenter leurs deux albums à un public qui ne sait rien d’eux. Rencontre avec un groupe qui de la fac dans le Tennessee aux plus grandes scènes d’Amérique du Nord commence à répandre son folk-hop de la bonne humeur et son optimiste à travers les continents. Tout ce qu’il nous fallait.

Rocknfool : C’est donc votre toute première fois à Paris ?
Judah : Brian est déjà venu en touriste plusieurs fois non ?
Brian : Je suis déjà venu une fois mais c’est effectivement notre premier concert en Europe ! On a déjà joué plusieurs fois en Scandinavie mais nous n’étions jamais allés dans des villes de l’ouest de l’Europe.

Vous jouez partout en Amérique du nord, vos singles et vos albums sont dans les tops des ventes, vous êtes invités dans les émissions de télévision très connues… quel être votre plan machiavélique pour conquérir l’Europe maintenant ?
Tous : (rires)
Judah : Pour nous, cette tournée nous donne l’opportunité de nous présenter à des gens qui ne nous connaissent pas. On adore jouer en live, on a l’impression de faire de bons spectacles, c’est quelque chose d’important pour nous en tant que groupe. Donc ça a été une bonne expérience de jouer face à un public qui en grande majorité ne nous connaissait pas. C’est un challenge de le conquérir et de gagner sa cause. On espère revenir, jouer d’autres concerts, faire des festivals, peut-être passer à la radio… mais c’est difficile pour les jeunes groupes américains de venir jouer en Europe car c’est un gros investissement, juste le fait de voyager, les hôtels, le chauffeur pour les pays comme la Grande-Bretagne où ils conduisent de l’autre côté de la route… Donc on est ravis d’être là, on espère que les gens vont comprendre que l’on veut revenir et qu’il faut continuer à nous inviter !

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour l’écriture de votre deuxième album Folk Hop N’Roll, à part l’amour ?
Judah : On écrit sur des événements de notre vie de tous les jours. Par exemple on a tous des neveux maintenant, c’est arrivé très récemment pour Brian. Ce sont des moments importants dans nos vies. Un de mes amis de lycée est décédé d’un cancer, mon grand-père aussi… Donc beaucoup de chansons parlent de notre façon de faire le deuil avec tout ça. Certaines chansons parlent de la solitude, d’autres de danser et de s’amuser, car c’est ce qu’on aime faire aussi. On aime écrire des chansons tristes, mais aussi des chansons gaies, juste des chansons qui relatent ce qui nous arrive dans la vie en fait… On espère ainsi que les gens pourront s’identifier et s’y retrouver.

Comment s’est passé votre travail avec Dave Cobb ? Car ces derniers temps, beaucoup d’artistes veulent enregistrer en live ou du moins se rapprocher le plus de leurs versions live.
Brian : Dave nous a vraiment poussé à nous découvrir et à évoluer ensemble en tant que groupe. C’est un producteur vraiment cool, avec lequel il est très facile de travailler. Quand on a commencé on avait un son très folk, avec le banjo et la mandoline. Dave nous a indiqué d’autres directions à prendre, en ajoutant l’électronique des synthés par exemple. Il a toujours beaucoup travaillé le live, pour capturer certains moments précis. Je trouve que l’album est comme un instantané intéressant de notre carrière avec ce son live très brut, qui mélange notre folk d’origine avec des éléments hip-hop et la pop. C’est amusant de continuer à grandir tout en conservant quelques ingrédients de son passé.

“On peut aller d’une version celtique irlandaise à un beat hip hop pour surprendre le public. On est un peu bizarres !”

Quelle est votre technique pour rendre vos lives différents de vos pistes studio ?
Nate : On a beaucoup d’influences qui se mélangent dans nos chansons. Quand on se prépare pour un spectacle, on essaie de faire de nouvelles reprises de punk-rock, de hip-hop ou autre. On est six sur scène [deux musiciens les rejoignent en live ndlr], et ça peut vraiment apporter beaucoup de nouveaux éléments. Que ce soit nos influences ou les instruments qu’on utilise. Que ce soit un synthé ou un instrument très organique… On tente de jouer l’album de la meilleure façon possible, et on peaufine nos performances au fil des concerts que l’on donne, on s’adapte ! On peut aller d’une version celtique irlandaise à ajouter un beat hip hop pour donner plus de profondeur à la version live. En espérant pouvoir surprendre le public, car on est un peu bizarres et il y a tant choses qui se passent dans nos chansons.

Il y a quelque chose de très festif dans votre musique, quelque chose qui remplit le cœur de joie. Vous n’avez jamais douté de cette “ligne éditoriale” alors que tout le monde tend à faire et à écouter de la musique extrêmement triste ?
Judah : C’est justement ça qui nous donne la confiance de faire de la musique positive et optimiste… Il y a déjà tellement de musique triste. De la musique qui ne délivre pas de message, mais qui a tendance à simplement parler de drogues, de garçons, de filles, de scènes de couples… Et nous, on voulait plutôt parler de la vie dans ses côtés optimistes, car on a besoin aussi d’alternatives, de présenter quelque chose de différent au monde. Et la musique permet justement une alternative comme la nôtre : “on est un groupe positif, on a un album optimiste sur la vie” et même si l’on part d’événements personnels qui peuvent être douloureux, on essaie toujours de mettre en valeur ce côté optimiste qu’on arrive toujours à entre-apercevoir dedans.

“Il y a déjà tellement de musique triste”

Je me suis sincèrement demandé s’il était possible de ne pas danser en écoutant vos albums.
Brian : Si si, c’est possible… surtout pendant nos spectacles. On ne force pas le public à danser, mais on l’encourage fortement. Avec un peu de chance, les gens se mettront à danser. Il faut un peu d’échauffement de notre part aussi avant de s’y mettre (rires).

Est-ce vous pensez que peut-être, dans quelques années, on pourra dire officiellement que vous avez inventé le “folk-hop” ?
Judah : (rires) ça serait plutôt cool !
Brian : C’est vrai ! Après il y a différentes versions du folk-hop par plusieurs groupes. De notre côté, on veut simplement être fidèles à nos principes… et je ne sais pas si c’est nécessairement une question de genre musical, mais ce qui serait vraiment cool c’est que d’autres groupes suivent notre chemin ! Enfin, on veut juste être nous-mêmes et faire de la musique dont on sera fiers.

Comment vous décririez votre musique à une personne qui ne peut pas entendre ?
Brian : C’est une très bonne question… (silence)
Judah : Optimiste et joyeuse. Ou, plus imagé, un vieil homme qui se balance sur son perron, dans sa rocking-chair, avec son journal et sa télévision en fond. Et il danse !

Votre nom de groupe vous a été inspiré de l’Ancien Testament, vous avez déjà parlé d’influences chrétiennes, Judah tu chantes tout de blanc vêtu…
Tous : (rires)
…est-ce que la musique vous offre une forme de rédemption et de libération ?
Judah : Je crois en effet que la musique a toujours eu cet effet là sur nous quatre, en comprenant Spencer aussi. Pour moi en tout cas, la musique m’a toujours permis de m’échapper de la réalité, écrire des chansons m’a beaucoup servi de cicatrisation interne… Cet aspect positif que l’on met dans nos messages pourra peut-être, on l’espère, aider des gens également… Mais en tout cas ça n’a pas de rapport avec mes vêtements blancs (rires). Mais ça me fait beaucoup rire !
Brian : Comme Judah l’a dit, toutes les musiques, peu importe le genre, peu importe le message, sont d’importance égale pour gérer sa vie. C’est important pour un musicien, pour un homme, d’écouter tout ce qu’il se créé dans la musique. On espère vraiment que nos vies parlent aux gens qui nous écoutent, peu importe les croyances, et que notre musique permet à un maximum de personnes de s’y retrouver. De cette façon, on peut avoir un public de toutes origines, avec des profils socio-culturels variés… c’est notre objectif !

“Cet aspect positif que l’on met dans nos messages pourra peut-être, on l’espère, aider des gens également”

Dans votre communiqué de presse, Judah a dit que vous n’aviez “aucune limite”. Vraiment ?
Judah : C’est notre mentalité avec la musique : ce n’est pas parce que quelqu’un commence à faire de la musique avec un banjo qu’il doit forcément se restreindre à un genre défini. On essaie de ne pas suivre cette mentalité. On adore le bluegrass, on adore la musique celtique, on adore le son du banjo mais pourquoi devrait-on se limiter à ça, sans pouvoir ajouter de la distorsion au banjo par exemple ? Ou pourquoi le folk ne pourrait pas être comme la pop où les gens s’éclatent et dansent comme des fous ? Il n’y a pas de limites dans le sens où dans notre version éclectique de la musique, on y amène toutes sortes d’influences puisque l’on vient tous les quatre d’un coin différent des États-Unis et qu’on n’a pas grandi avec le même background musical. C’est simple, quand on se retrouve, notre approche de la musique c’est “rien n’est impossible”.

Une question que je ne vous ai pas posée, mais que vous auriez aimée avec je vous pose ?
(silence)
Brian : Qu’est-ce qu’on préfère pour le moment à Paris ? (sourire)
Judah : Moi ça serait les conducteurs de scooters ! Ils n’ont peur de rien, ça se voit. Mais ils m’effraient… Ils sont sur la route comme s’ils n’avaient pas peur de mourir. Les fous !
Brian : C’est bien vrai ça (rires).

En concert le 11 mars au Théâtre Corona (Montréal).

Propos recueillis par Emma Shindo (Paris, 15 novembre 2017)
Photo de couverture : E.S.

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