Girl de Lukas Dhont, le film qui divise

CINÉMA – Prix d’interprétation Un certain regard, Queer Palm, Caméra d’Or… À Cannes en mai dernier, Girl, premier film du Belge Lukas Dhont, a fait sensation. Il sort mercredi au cinéma et on l’a vu en présence de son réalisateur. Séance sous tension.

Lara a 15 ans, est danseuse classique, vit avec son père chauffeur de taxi et son petit frère de 6 ans. C’est une fille. Elle ne l’a pas toujours été. Lara suit un traitement hormonal et se prépare avec ses médecins et son psy, à subir l’opération, dans quelques années, qui permettra à son corps de ressembler enfin à ce qu’elle est.

La lutte du corps

Girl n’est pas un film LGBTI. Girl, à mes yeux, ne devrait en tout cas pas l’être. Car après 1h40 de film, je n’ai pas eu l’impression de suivre une personne transgenre en lutte avec son identité. J’ai suivi une adolescente en lutte avec son corps. Et cette lutte est violente. Elle ne peut pas ne pas l’être lorsqu’elle se déroule à travers trois miroirs grossissants, trois miroirs déformants. L’adolescence féminine, la danse classique et la transidentité, indépendamment déjà extrêmement difficiles à gérer, se retrouvent transformées en un combat titanesque lorsqu’elles sont associées en une seule personne. Et c’est avec ses trois prismes cumulés qu’on suit le corps de Lara, qu’on en scrute les moindres variations à la loupe avec elle.

Le corps est d’ailleurs l’objet explicite du film. Il est malmené, torturé, violenté avec une cruauté qui peut parfois choquer, mais n’étonnera pas ceux qui ont un jour dansé. Ce qui se passe dans l’esprit de Lara, dans son cœur, jamais n’est exprimé. Et pourtant, par la capacité inouïe de Victor Polster à jouer le rôle principal, on pressent ce qu’il se passe à l’intérieur : les doutes, l’impatience, les luttes restent nichés dans les non-dits et dans les “ça va” à répétition de Lara en réponse à son père inquiet. La lumière du film, solaire, jaune et chaude la plupart du temps, permet de rapprocher aussi Lara du mythe d’Icare. Comme lui, elle repousse toujours plus loin les limites de sa condition jusqu’à se détruire. Ou se libérer ?

Mi-applaudi, mi-hué, le film divise

Je tenais à voir ce film lors d’une séance en présence du réalisateur. Car je savais que j’aurais besoin d’explications, d’une part, et de réactions différentes des miennes, d’autre part. En tant qu’ancienne adolescente danseuse classique, j’ai été touchée et non surprise par la violence infligée au corps de Lara, par les mutilations qu’elles s’infligeait dans la quête d’un corps adapté, par les remarques des professeurs, par les réactions des camarades, et cela sans chercher à en analyser les causes. C’est tout le film qui m’a ainsi semblé très juste. Mais loin de pouvoir comprendre les enjeux de la transidentité que pourraient véhiculer ce film, je savais que ma vision serait biaisée. J’avais besoin d’être confrontée aux réactions de personnes transgenres, et le moins qu’on puisse dire, c’est que celles-ci ont été vives.

Dès le début du générique (et même pendant le film), une partie du public a vivement hué Lukas Dhont. La première question, d’ailleurs, a été “N’avez-vous pas honte ?”. Et ce sont ainsi de nombreux points qui ont été soulevés comme problématiques par les membres de la communauté LGBTI présents : l’irréalisme du traitement, le voyeurisme malsain, la nudité ultra-présente du corps d’une jeune fille de 15 ans, l’obsession apparente pour ce pénis visible de nombreuses fois, la restriction du sujet à la transition corporelle.

Un casting discuté

La question attendue, bien sûr, a été la demande d’explications sur le casting : pourquoi un garçon cis pour incarner une fille trans ? La réponse de Lukas Dhont est claire. Le film étant basée sur la vie de son amie Nora lorsqu’elle avait 15 ans (en 2009), il lui fallait trouver une personne capable de l’incarner dans tous les aspects : cette transidentité mais aussi dans l’âge et la danse. Il explique également la difficulté rencontrée avec les adolescentes trans à les filmer dans cette période critique de leur vie. Seul Victor Polster avait à la fois la proximité vis-à-vis de toutes les facettes de Nora, et la distance nécessaire au tournage.

Lukas Dhont a aussi pu clarifier son objectif de départ avec le film Girl, qui finalement permet de désamorcer pas mal des problématiques énoncées plus haut. En aucun cas il n’était question de faire un film sur un groupe, mais bien sur une seule et unique personne, son amie Nora. Et ce sont le combats contre elle-même qu’il tenait à filmer, et non pas les combats contre le reste du monde. Difficile à comprendre lorsque ces combats, on les traverse au quotidien, je suppose.

Nul doute en tout cas que ce film soulève de nombreuses interrogations. Il n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre, et de faire réfléchir et s’opposer les avis. Et cela, en plus de tout le reste, est une raison plus que suffisante pour aller le voir en salle dès mercredi.

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