Les Louanges : “Tout le monde veut être plus rap”

INTERVIEW – Rencontre avec le Québécois Les Louanges suite à la sortie de son premier album “La nuit est une panthère” et sa première tournée en France.

Il fait un froid de canard sur le chemin qui me mène de la station de métro Rosemont à Bonsound, la maison de disque montréalaise de Vincent Roberge, plus connu sous le nom de Les Louanges. On m’y a fixé rendez-vous. Je me prends des rafales de vent glacial dans la face, tandis que mon équilibre est plus que précaire sur la glace qui jalonne le chemin qui me mène du côté du Mile End. L’exercice en vaut la chandelle. Ça fait un bail que je voulais rencontrer Les Louanges, l’artiste québécois le plus en vogue ces derniers mois. Celui qui a récolté les lauriers à la fois de journaux grands publics et de radios indé pour son premier album, La nuit est une panthère, sorti à la rentrée 2018. Un album qui nous a tapé dans les oreilles aussi, un condensé d’influences hip-hop et de sexyness pop qui te donnent la gnaque et l’irrépressible envie de faire chalouper ton bassin un soir de pleine lune. Rencontre avec un jeune homme sensible, au gros talent et aux rêves inépuisables, la tête bien sur les épaules.

Tu as fait tes premiers concerts en France en décembre 2018, tu as commencé aux Transmusicales de Rennes. Comment ça s’est passé ?

C’était cool ! Aux Transmusicales on faisait la première partie d’Aloïse Sauvage. Elle avait monté un gros show pendant lequel elle chantait dans les airs. Quand on est arrivé, on nous a dit que ce qu’on avait prévu niveau scénique n’était pas possible, qu’il fallait faire autre chose. On a eu l’après-midi pour s’ajuster (rires). On était le mal nécessaire du concert. C’était un public plus professionnel, donc pas forcément facile. La deuxième journée j’ai perdu ma voix et le show était diffusé partout. Ça a été stressant par bouts, mais en même temps on était super chanceux. Pas que le public se soit jeté sur nous, mais on a pu avoir un spot en tant que Québécois et ça a été super formateur d’apprendre à dealer avec un public français. Ce n’est pas le même endroit-là, ce n’est pas le même continent, les mœurs, la culture, même si on vit dans le même monde occidental. Il y a quelque chose qui n’est pas complètement pareil. Pour un Québécois en France c’est soit tu pars avec une longueur d’avance, ou alors tu pars avec un gros désavantage… Mais ça s’est bien passé ! Je suis juste impossible avec moi-même, je suis trop exigeant.

“Je suis juste impossible avec moi-même, je suis trop exigeant.”

Et le Pop-Up du Label à Paris, c’était comment ?

C’était plus un public de notre âge, c’était moins assis… Ça sentait la sueur, le moniteur et les références n’étaient pas extra mais là-bas, on était à la maison. On était dans notre élément ! Ça a levé en malade ! C’était pas immense, mais la salle affichait sold out, le monde chantait les paroles et j’ai fini par faire du body surfing. On va sûrement retourner cette année à Paris, à la Boule Noire et faire d’autres événements. À notre retour au Québec, on est reparti en pré-prod pour réadapter les morceaux lorsqu’on reviendra en France. On aura un musicien de plus, un soundman avec plus de pratique, un éclairagiste… pour être vraiment une machine de guerre !

À la fin de l’année 2018, tu figurais dans tous les tops des médias, des plus gros journaux grands publics aux magazines et chaînes de radio plus indés. Tu as fait l’unanimité au Québec ! [sur Rocknfool aussi]

Je ne m’y attendais pas. J’aurais pu être plus opportuniste que ça et le placarder partout tu sais. Mais c’est moins mon genre. Après, j’avais envie d’être ce gars-là dont on parlait, car on a travaillé fort sur l’album. C’est un beau signe d’approbation venant de toute la sphère des critiques, que ça soit du Devoir au Journal de Montréal qui sont chacun au bout d’un spectre. Je suis content que ça ait fait consensus, je suis fier de ça. Maintenant, l’idée c’est de reprendre tout ça et faire en sorte que l’album se répande dans des sphères plus populaires. D’aller chercher du monde un peu moins

“Je ne suis tellement pas ce gars-là qui sort sa guitare en milieu de soirée…”

Comment un beau jour, en es-tu venu à te dire je vais être musicien ?

Pour vrai… je n’ai pas le souvenir d’avoir eu envie de faire autre chose dans la vie. Je ne me suis jamais posé la question. J’ai commencé à jouer de la guitare à 9 ans et je me suis dit que c’était ça que j’allais faire. Mes amis pourront corroborer cette information car à 16 ans je leur disais déjà que j’allais vivre de la musique. Ça fait un peu robot mon affaire mais je pense qu’à 9 ans j’ai dû voir une émission à la télévision avec un gars charmeur qui avait plus de potentiel à dater juste parce qu’il avait une guitare. Et j’ai dit à un ami qu’il faudrait qu’on apprenne à jouer de la guit’ en prévision ! Finalement mon ami a arrêté de suite mais moi je me suis dit que c’était hot de faire de la musique. Après je ne suis tellement pas ce gars-là qui sort sa guitare en milieu de soirée… C’est comme passer ses ongles sur un tableau, je n’aime pas ça être le centre de l’attention dans des événements comme ça… Au lieu de me rapprocher de la gente féminine avec la musique, ça m’en a éloigné parce que quand je faisais de la musique j’étais caché (rires). Mais j’en ai toujours fait ! Bien qu’au Cégep en musique [17-19 ans ndlr] je n’ai pas fait mes devoirs assidûment. Je n’ai pas eu mon diplôme en jazz car j’ai coulé le cours en composition. Ça te donne une idée (rires) !

Les Louanges (c) Emma Shindo

Pas mal de gens crachent sur les tremplins musicaux. Toi justement, tu es passé par Granby puis par les Francouvertes où tu es arrivé en finale. C’est d’ailleurs ce concours qui t’a permis de signer chez Bonsound. Est-ce que selon toi c’est nécessaire pour un artiste qui veut s’en sortir d’en passer par là ?

J’ai suivi le parcours de l’auteur-compositeur. Des amis comme les gars de Choses Sauvages n’ont fait aucun concours et ils sont signés, ils ont sorti un album et ils font des shows. Mais, c’est sûr et certain que ça aide à apprendre des choses quand tu n’as pas d’expérience. Les concours ne doivent pas être une finalité car ça reste un moule. J’ai pu gagner de l’argent et du temps de studio avec ça, du temps qu’on a utilisé pour l’album et j’ai eu de l’attention… Je suis pour les concours, mais c’est un chemin parmi tant d’autres que j’ai utilisé et auquel je n’ai rien à reprocher. C’est touchy ! Je ne pense pas que ça soit nécessaire de faire des concours, surtout qu’aujourd’hui on a tellement de plateformes à notre disposition.

“Je ne vois pas le but de refaire la même recette à chaque fois.”

Depuis tes EP, ton style musical a bien évolué en un genre hybride indéfinissable. Est-ce qu’un style est constamment voué à évoluer ?

Si on regarde les artistes qui ont eu une grande pérennité, on peut voir que David Bowie est passé par plein de périodes, comme David Albarn avec Gorillaz… Mon gros trip c’est Frank Ocean, c’est un phare. Quand tu écoutes ses albums, il ne va jamais au même endroit. C’est à toi de décider. Quand tu fais la même chose, tu habitues ton public. Mais la fois où tu changeras, il va avoir de la misère. De toute façon il y a toujours des gens qui vont chialer, et moi je ne vois pas le but de refaire la même recette à chaque fois. Ce que j’ai fait dans cet album, ça fait longtemps que je voulais faire ça. Je n’avais juste pas les moyens.

T’es en pleine tournée pour défendre ton album et tu continues la promo. Est-ce qu’il te reste du temps pour écrire à côté ?

Oui je travaille déjà sur d’autre matériel. Il y a de quoi qui va sortir à l’automne et sûrement d’autres trucs cet été. Je ne suis pas un gars qui va aller au café pour écrire ses textes. De toute façon, ils arrivent plutôt vers la fin. Souvent, j’écris quand je retourne chez mes parents sur la rive sud de Québec. Il y a un gros sous-sol dans la maison familiale où je peux passer la nuit au piano. J’apporte deux, trois instruments et je peux tourner en rond à réfléchir à des idées. C’est sûr que je n’écris pas en tournée, j’ai essayé mais j’ai trop de misère à me concentrer.
Je vais aussi commencer à composer la bande originale d’un film. On ne s’arrête jamais ! Je continue, toujours, car on ne peut plus attendre aujourd’hui. Il faut toujours être là. J’ai su à la minute où le premier clip sortait en février dernier [“Pitou” ndlr] que je venais d’entrer dans une espèce de course. Une course qui s’arrêterait quand j’arrêterai de faire de la musique, dans 10, 15 ans… je ne sais pas. D’ici là je vais continuer à faire du stock pour continuer à courir le plus vite possible.

“Il y a un gros sous-sol dans la maison familiale où je peux passer la nuit au piano.”

Quelque chose dont tu as toujours voulu discuter en entrevue ?

(Il réfléchit). Ça pourrait être ce qui me fait tripper en musique. Et va falloir que tu mettes 15 minutes en plus dans ton entrevue (rires). Je t’ai dit ça, mais c’est tellement large comme question… Avec la saison des fêtes je me suis mis au breakbot, à l’électro un peu. Sinon j’écoute beaucoup de hip-hop, le dernier de Earl Sweatshirt est vraiment bon. Techniquement parlant, c’est un des meilleurs rappeurs de notre génération. J’écoute Travis Scott comme un malade, tout comme Scorpions. J’avais une voiture de location dans laquelle j’écoutais ça en attendant que la mienne se fasse réparer. Je m’étais fait rentrer dedans et il y avait un super bon système de son. Je suis aussi bien fan de Brockhampton. Après il y a aussi bien des trucs comme Gonjasufi que m’ont fait découvrir mes bandmates, c’est du sampling, pas du hip-hop bien que ça en ait la forme. C’est vraiment fou ce jazz un peu fusion hip-hop. J’aime aussi bien des trucs un peu post-punk, avec un peu plus de gueulage, comme les Suédois de Viagra Boys. J’ai tellement hâte que le prochain James Blake sorte aussi, ça ou du D’Angelo avec un bon vieux Black Messiah. Récemment je suis tombée sur Christian Rich grâce à un ami. J’ai beaucoup écouté de hip-hop fusion jazz, ces temps-ci je tombe un peu dans l’électro, Flying Lotus c’est du capotage ! Mais ouais, plein d’affaires…

“Je vais essayer de faire des tounes trap avec des gens qui n’en font pas.”

Est-ce que tu es en train de me dire que tu te diriges vers de l’électro pour la suite ?

C’est sûr que mes prochains titres seront plus électro. Je voulais continuer plus dans la ligne de “Tercel”, être plus rap. Mais tout le monde veut être plus rap, tout le monde s’en va plus vers le hip-hop. Au lieu de flirter avec des producteurs de beat trap, de rap plus commercial, je vais essayer de faire des tounes trap avec des gens qui n’en font pas. J’ai mon bras droit, Félix Petit. Félix c’est la constante et j’ajouterai du monde de l’extérieur.

En concert le 22 février au MTelus (première partie d’Ariane Moffatt), et le 18 juin dans le cadre des Francos de Montréal.

Propos recueillis par Emma Shindo (11 janvier 2019 à Montréal).