Radio Elvis : “L’étiquette rock littéraire manque un poil de générosité”

INTERVIEW – Discussion avec les trois garçons de Radio Elvis à l’occasion de leur retour à Montréal : deuxième album, pâtes carbo, rapport au live, on parle de tout.

C’est sur ma pause de lunch que je cours rejoindre au Darling les trois garçons de Radio Elvis, le lendemain de leur concert montréalais. Ils sont en forme, et ravis d’être là. La veille, ils donnaient un très bon show, plutôt intime, devant plusieurs dizaines de fins connaisseurs de très bonne musique française. Leur deuxième album me plaît définitivement plus que leur premier, cette fois-ci j’embarque à cœur joie.

Tu nous connais, sur Rocknfool on aime les interviews-fleuve. Celles où après avoir échangé quelques banalités promotionnelles, le temps de se mettre à l’aise, les artistes finissent par s’ouvrir et discuter comme tu ferais avec ta bande de potes en terrasse, verres de rouge à la main. C’est en tout cas ce qu’on aime lire, et c’est donc ce qu’on vous propose. Honnêtement, j’aurais bien continué à jaser avec Pierre (chant/guitare), Manu (basse) et Colin (batterie), mais nos emplois du temps ne nous le permettront pas cette fois-là. Discussion de qualité avec un des meilleurs groupes français du moment, un projet que l’on suit avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme depuis leurs débuts.

C’est votre deuxième fois au Québec. C’est toute une conquête encore pour vous !

Pierre : Il y a tout à construire. On repart quasiment de zéro et c’est chouette. On a l’impression de voyager un peu dans le temps et c’est marrant ! Comme jouer dans des conditions différentes de celles dont on dispose en France, car on arrive sans notre équipe et notre matériel. On revient à l’essentiel, à la base des morceaux.

Colin : On a envie de jouer ici, on aime les groupes québécois et on aime bien traverser l’Atlantique pour faire des concerts aussi. On a la chance de faire beaucoup de concerts en France. La Belgique et le Québec sont deux territoires qu’on a envie de développer. C’est rigolo car on doit réadapter notre concert, mais ça nous fait du bien de redécouvrir des salles plus petites, des bars même… avec un public qu’on peut aller chercher plus simplement comme on le faisait au début.

Votre deuxième album Ces garçons-là a été super bien reçu, aussi bien que votre premier en fait (Les Conquêtes). Vous vous y attendiez ?

Pierre : On a la chance d’être un peu constants, d’avancer petit à petit en allant chercher les gens sur scène, en faisant des tournées dans toute la France. Et on a un beau soutien de la presse, une certaine bienveillance car on ne se fait pas tirer dessus. Nous, ça nous permet d’avancer en agrandissant notre public au fur et à mesure donc on est super contents !

“Le deuxième album c’est une pression différente parce qu’il faut faire différent du premier, mais pas trop non plus.”

Avec le recul que vous avez maintenant : quel album a été le plus difficile à travailler ?

Manu : Ils ont été faits différemment. Le premier, on se formait encore en tant que groupe. Pierre avait des ébauches de chansons, puis sur la route on a écouté plein de choses qui nous ont donné des idées pour en faire des nouvelles. Pour le deuxième album c’est allé plus vite et de façon plus cohérente et naturelle.

Colin : Pour moi, le premier était plus dur à faire car il y a beaucoup plus de flou artistique sur un premier album. Déjà, on a appris à se connaître. Ensuite, on ne sait pas non plus comment les gens vont le recevoir ou si on va réussir à en vivre… En fait, on ne sait rien. Donc c’est très excitant mais au final, je trouve ça presque plus dur.

Pierre : Le premier album c’est une pression dingue aussi car tu n’as pas trop le droit à l’erreur. Tu mets en jeu le côté fraîcheur et nouveauté qu’aiment les médias. Si ton premier album n’a pas marché, que tu foires ton deuxième album, il n’y a plus aucune raison pour que les médias viennent te voir. Le deuxième album c’est une pression différente parce qu’il faut faire différent du premier, mais pas trop non plus. Je pense que le troisième album là, t’es tranquille !

“On voulait aussi montrer qu’on avait un côté vraiment rock et pop.”

Vous aviez une ligne directrice pour ce deuxième album ?

Pierre : Je crois qu’on avait vraiment plein d’envies nées de la première tournée. On a développé un côté très chanson française et c’est sûr qu’on aurait pu faire un deuxième album qui l’amplifiait. Mais on voulait aussi montrer qu’on avait un côté vraiment rock et pop. C’est ce qui nous manquait un peu sur le premier disque. On voulait des paroles avec une approche plus décomplexée dans les mots, moins imagée, plus simple. Mais pas plus simpliste ! Cela nous permet d’aller explorer de nouveaux terrains de jeu, comme des salles avec des publics debout… Peut-être que pour le troisième album on arrivera à tout faire : les salles debout et les salles assises. On ne veut vraiment pas de clivage dans notre public, des jeunes, des vieux, des urbains, des gens de la campagne… Pour l’instant c’est ce qu’on arrive à faire en France et pour nous, c’est une vraie force.

Qu’est-ce que vous vous êtes dit quand vous avec bouclé votre album ?

Pierre : On s’est dit “on va manger !”

Manu : On était plutôt content, car quand on se lance dans la réalisation de quoi que ce soit, on ne sait jamais comment ça va se finir.

Colin : En général, les bouclages d’albums c’est toujours compliqué car il y a le mastering, les petits détails de fin… et au final il n’y a pas vraiment de fin. Donc je crois qu’on était soulagé !

Pierre : Je me souviens qu’on a fait une première soirée chez moi pour fêter le premier mastering, et en l’écoutant on s’est rendu compte que ce n’était pas fini… Il n’y a jamais vraiment de fin officielle, sauf quand effectivement, ça finit par partir en fab. C’est une attente assez longue… On trépignait de repartir sur la route car on n’avait pas joué pendant un an.

Vous êtes partis dans les Landes pour travailler votre album pendant quelques jours, quel est votre meilleur souvenir ?

Colin : On avait un petit studio à Paris pour composer, mais pour enregistrer on est allé au Manoir de Léon (dans les Landes), un studio mythique des années 1990.

Manu : À l’ancienne, grande pièce, grande console… On a enregistré sur bandes.

Pierre : Mon meilleur souvenir c’est quand un an avant, Denis Barthe le batteur de Noir Désir est venu manger avec nous et nous a prêté du matos. Des synthés qui ont servi sur la tournée de Noir Désir. Un an après on est revenu dans ce studio-là parce qu’on en avait un super souvenir. Pour moi, c’était hyper émouvant car je suis un gros fan de Noir Désir et c’est un studio où ils ont enregistré plusieurs albums. C’est aussi le studio où ils se sont séparés. J’ai aussi plein de bons souvenirs avec les copains quand on faisait de la musique (rires).

Manu : Mon moment marquant c’est l’enregistrement de la chanson “Bouquet d’immortelles” où on a un peu lutté. On n’arrivait pas à obtenir un truc satisfaisant. On avait mis des bougies, éteint les lumières… On s’y est pris à deux fois, et finalement on a réussi le matin. C’est marrant ce moment où tu sens que c’est la bonne prise. Car pour cette chanson-là on tenait vraiment à la faire en prise live.

Pierre : Le moment musique qui m’a le plus marqué c’est lorsque ça faisait un après-midi qu’on était sur un titre, ça ne marchait pas. On n’arrivait pas à trouver la bonne direction. Et à un moment Manu s’est levé et a dit je l’ai !, il a couru vers sa basse, il a fait une prise… Et en fait… il l’avait pas (rires de Manu).

“On aimerait que notre troisième album représente un peu plus ce qu’on fait sur scène.”

Vous avez enregistré certains de votre titres live. Ça se fait de plus en plus chez les groupes ces dernières années, ce désir de revenir à quelque chose de plus authentique.

Pierre : On aime bien qu’en live ça soit hyper explosif, car sur un album c’est toujours plus cadré. On avait eu cette discussion il y a pas longtemps. On aimerait que notre troisième album représente un peu plus ce qu’on fait sur scène. Mais pas l’inverse. Je n’ai pas envie d’arriver sur scène et jouer l’album. J’ai plutôt envie que ça soit la scène qui drive l’album. On aime aussi bien revisiter les titres, les améliorer. De plus, les morceaux racontent quelque chose d’autre sur album.

Manu : En tant que groupe de rock, la scène c’est hyper important. Et notre musique se passe d’abord sur scène.

Colin : J’aime bien le processus du studio. Tu réfléchis plus à quelque chose qui peut s’écouter assis ou en bagnole. On travaille quelque chose d’aplati, alors que le live c’est vivant, il y a du relief, des changements de tempo… Et je crois que les gens aiment bien quand il y a une différence entre l’album et le concert.

C’est marrant car j’ai justement trouvé que votre live était assez fidèle à votre album. J’ai aimé ça.

Colin : On aime tous les instruments dans le groupe, on a la culture de l’instrumentation. On les joue en studio et on les utilise sur scène, donc ce n’est pas différent. Ce n’est pas comme si on mettait des boîtes à rythmes en studio et ensuite qu’on jouait les morceaux en live.

Pierre : Je trouve qu’on gonfle vachement nos sons pour la scène. On pense vraiment à un truc assez fédérateur. Que les gens se prennent un peu un coup de poing.

Manu : On grossit les traits, on exagère les intentions.

Colin : En studio, on imagine des parties qu’on pourra rejouer après, c’est tout un processus bizarre. Mais en réalité si on fait les bases en live, il y a plein de choses qu’on superpose en studio, alors qu’en concert on joue tout.

Pierre : On est obligé de faire des choix sur des parties qu’on ne joue pas. On ne peut pas tout jouer, on réadapte, on garde l’essentiel.

Manu : Au-delà de ça, pour que ça soit différent du disque c’est dans l’interaction avec le public, c’est vraiment du spectacle, dans les habits, dans le décor… Mais surtout, on va chercher les gens physiquement.

Vous étiez trois avant sur scène, maintenant vous êtes quatre, avec Martin au clavier. Pourquoi ce changement ?

Colin : C’était pour se libérer un peu, pouvoir jouer les morceaux comme on les imagine, sans passer par des astuces électroniques… Je galérais à tout faire en même temps ! C’était bien, mais ça avait ses limites, j’avais tout le temps la tête dans les instruments !

Pierre : Le piano dans ce disque était un élément central. On a tous composé au piano. Il était essentiel que sur scène, le piano soit au centre des chansons. Quand Colin faisait le synthé ce n’était pas vraiment du piano c’était plus des lignes de basse, des notes en plus. Colin est plus libre maintenant. Il peut aller plus loin dans la batterie et en faire à deux mains. Mine de rien, ça change beaucoup de choses ! Je fais moins de guitare aussi, et ça fait du bien car je peux plus approfondir le chant. C’est hyper important, ça nous permet d’avoir des passages en impro comme sur “Prières perdues”.

“Ce n’est pas parce qu’on écrit et qu’on lit qu’on est un grand littéraire.”

Dans une de vos interviews, Pierre tu disais que tu avais arrêté de parler de littérature pour parler de lecture car ça pouvait impressionner les gens. Est-ce qu’un artiste doit faire attention à ne pas trop élever le discours pour ne pas être étiqueté trop intello ?

Pierre : Inconsciemment, je pense qu’au début, je cherchais à montrer que j’étais intelligent. Je crois que ça partait d’une volonté de ne pas mentir sur qui j’étais. Je n’ai pas fait d’études de lettres, je ne suis pas un grand lecteur mais je lis comme tout le monde. Quand je lis un livre, ça me marque, et ça rejaillit dans les textes. On nous a vite collé l’étiquette “rock littéraire”, qui n’est pas gênante en soi. Mais je n’avais pas envie que ça nous coupe de personnes qui ne lisent pas. Je veux que les gens prennent notre musique pour ce qu’elle est : quelque chose de simple, d’abordable, de généreux. Et “rock littéraire” manque un poil de générosité. Je ne m’y retrouve pas trop, car je ne me considère par comme un grand littéraire. Ce n’est pas parce qu’on écrit et qu’on lit qu’on est un grand littéraire.

Ce n’est pas un mal d’être un grand littéraire si ?

Pierre : C’est juste rester fidèle à qui je suis. C’est très difficile de parler en public et c’est très difficile de parler à des journalistes. Parce qu’on a tendance à vouloir montrer son meilleur visage, qui est souvent un peu tronqué. Je me suis rendu compte que je faisais des phrases un peu complexes dans la syntaxe, pour être assez précis dans ce que je disais. Je ne parlais pas comme dans la vie de tous les jours. C’est chiant, car c’est des réflexes de protection. J’essaie de les casser en tentant de parler le plus simplement possible, et sur scène aussi. Ce n’est pas facile d’avoir la même voix et les mêmes mots que dans la vie de tous les jours.

Colin : C’est peut-être très français aussi. Quand on écoute Oasis ou Michael Jackson qui s’expriment, ils sont beaucoup plus simples. Ils ont beaucoup moins de complexes. Je pense à un exemple complètement débile : en Angleterre, ils parlent beaucoup de foot. Et en France, les musiciens qui parlent de foot sont considérés comme des gros beaufs. Je suis fan de foot, c’est pour ça que je dis ça ! (sourire) Je n’en parle jamais, je n’ose même pas mettre des vestes de sport, et je trouve ça vraiment bête. Je suis admiratif de Noel Gallagher qui est capable d’annuler un concert pour aller voir un match de foot. Je trouve ça tellement humain ! Même si les artistes doivent se distancer pour créer des choses en terme de propos et d’art, je trouve ça bien quand les artistes savent parler aux gens normalement.

“Tu ne vas pas à Taratata pour avoir un débat sur Proust.”

Je trouve ça justement très agréable d’écouter parler et chanter des gens qui s’expriment bien. Encore plus quand ce sont des artistes.

Pierre : Parler normalement ne veut pas dire mal parler. Je ne pense pas parler comme un charretier dans la vie de tous les jours… Enfin si, quand on est à l’hôtel ça arrive (sourire). On peut bien parler sans forcément en rajouter, sans forcément devenir quelqu’un d’autre, sans abaisser le niveau. Regarde les interviews de Konbini, ça ne vole pas très haut et ce n’est pas très intello. Mais ça ne veut pas dire que c’est nul.

Colin : Moi j’adore ! Là, c’est sûr qu’on parle de choses très grand public. J’ai regardé Taratata l’autre fois et les conversations entre Marc Lavoine et Zazie ne volaient vraiment pas haut. Mais, en même temps, ce sont des gens qui ont conscience de la façon dont ils s’expriment et de ceux qui écoutent leur musique. Je pense qu’ils sont très sincères.

Pierre : De plus, tu ne vas pas à Taratata pour avoir un débat sur Proust. Quand tu y vas, tu as trois minutes pour t’exprimer et essayer de parler de musique.

Pour finir, je vous laisse libre expression pour parler de ce que vous voulez.

Manu : Il y aurait tellement à dire… Mais quelle est la vraie recette des pâtes carbonara ?

Pierre : Crème ou pas crème.

Manu : Quel fromage, quelles pâtes, quelle température… Je pensais avoir la réponse, et Martin qui est un grand fan de cuisine et qui a fait un voyage à Rome nous a ramené la recette et a démonté mon mythe personnel sur la carbonara. Ça a été une grosse remise en question.

Pierre : Moi, s’il y a un truc que j’aimerais savoir, c’est qu’est-ce qu’il se passe dans la tête de Manu (rires).

Manu : On parlait de foot, mais en interview on ne parle jamais de cuisine !

Colin : En France, la cuisine revient souvent quand même. On parle souvent de cuisine, alors que le foot pas du tout dans les milieux artistiques.

Manu : Mais la recette de la carbonara c’est très important quand même !

Pierre : Je regardais souvent les interviews de Noir Désir. Bertrand Cantat parlait beaucoup politique et un peu d’art, Denis Barthe et les autres étaient toujours très terre à terre, ce n’était pas du tout intello.

Colin : Ça colle à leur musique.

Pierre : Alors que les textes de Bertrand Cantat sont quand même très poussés. Mais je vois bien Denis Barthe parler de foot en interview. Et c’est pour ça que c’est populaire.

“C’est très français d’aller chercher des références en interview, d’être cérébral.”

Colin : Je ne dis pas qu’il faut parler de foot, mais c’est très français d’avoir une espèce d’attitude un peu plus élevée, d’aller chercher plus de références, d’être cérébral… Parce qu’il y a eu Brel, Brassens, Gainsbourg qui ont instauré ça, et que la France est aussi un pays très lettré.

Pierre : Il y a un passé assez lourd. Je crois que ça va changer un peu car les gros darons de la chanson française commencent à laisser un peu plus de place à la nouvelle scène. J’adore Bashung et j’ai été très triste quand il est mort, mais quelque part ça enlève un poids. On se sent un peu plus autorisé à proposer autre chose. Et la nouvelle scène française qui arrive est très très libre, elle va dans tous les sens et elle n’est pas si cérébrale.

Colin : La variété qu’on avait il y a 20 ans, aujourd’hui, c’est Angèle ou Eddy de Pretto, soit une variété vachement plus recherchée, plus barrée. Moins dans les codes de Goldman.

Pierre : Mais le vrai truc que je voudrais qu’on dise en interview c’est qu’il faut vraiment venir nous voir en concert !

En tournée cet été, notamment le 3 juillet au Fnac Live (Paris), le 4 juillet au Festival d’été de Québec, le 5 juillet au Festival de chanson de Petite-Vallée et le 10 juillet aux Francofolies de La Rochelle

Ces garçons-là – DISPONIBLE (PIAS).

Propos recueillis par Emma Shindo.