C’est l’histoire d’un groupe… The Smiths

IL ÉTAIT UNE FOIS – Direction Manchester, les années 1980, les bad boys, la bière et l’accent briton improbable, bienvenue chez The Smiths !

Réhabilitons aujourd’hui un groupe majeur de l’Angleterre des années 1980, trop souvent oublié dans la liste des groupes ayant eu une vraie influence sur plusieurs générations. Nos plus jeunes lecteurs ignorent même sans doute leur existence… Grossière erreur car toute la scène brit-pop-rock anglaise voue un véritable culte à nos quatre Mancuniens du jour, les biens nommés The Smiths. Soyons honnêtes, aujourd’hui, mis à part les Inrocks ou Télérama, peu de gens considèrent les Smiths à leur réelle valeur… et pourtant !

La rencontre de deux hommes

The Smiths, rien que le nom du groupe est original… justement par son manque d’originalité. À une époque où les groupes rivalisent d’idées pour trouver LE nom de groupe le plus novateur, nos quatre Anglais prennent le contre-pied parfait, en choisissant le nom de famille le plus présent en Angleterre The Smiths.

The Smiths, c’est avant tout la rencontre de deux hommes, Johnny Marr à la guitare et aux compositions, et Morrissey au chant et aux textes. Le bassiste et le batteur n’étant objectivement que des seconds couteaux face au talent et à la personnalité de Marr et Morrissey.

Le groupe naît à Manchester au début des années 1980, et n’aura finalement duré que peu de temps (quatre albums entre 1982 et 1987). Cette carrière éclair est en partie dû aux fortes personnalités des deux têtes pensantes, qui de tournée en tournée, ne pourront plus se voir en peinture. Pour vous donner un ordre d’idée (l’anecdote à la con et donc toujours indispensable), le bassiste Andy Rourke sera viré du groupe par Morrissey avec un simple papier sur son pare-brise de voiture “Andy, tu es viré des Smiths. Au revoir et bonne chance. Morrissey”.

Mais revenons à la musique. Cela demande pas mal d’efforts pour comprendre et apprécier la musique des Smiths, car leur musique est profondément ancrée dans leur époque (et tous les titres n’ont pas forcément bien vieillis) et révélatrice d’une Angleterre bien “particulière”. Certes les Smiths se revendiquent de la musique punk, mais les Smiths sont bien élevés et prennent une douche tous les jours… Donc la filiation punk ne transpire pas de prime abord. Car là où pas mal de groupes anglais se revendiquent punk de classes moyennes et anti-conformistes ; du côté de Morrissey en particulier, on est beaucoup plus lettrés et on cite plus Oscar Wilde ou Jean Luc Godard que Sid Vicious et Orange Mécanique.

L’Angleterre toute en nuances

En fait les Smiths sont apparus à une période charnière en Angleterre, après le déferlement de la vague punk, et coincés dans l’explosion new-wave. Et si leur musique peut avoir certains relents new-wave, ils ont eu l’intelligence (ou le bon goût) de ne pas noyer leur musique sous des nappes de synthés comme l’exigeait le mouvement new-wave à l’époque. Quand on écoute les Smiths, on ne voit pas l’Angleterre rouge criarde comme celle des Sex Pistols, ni une Angleterre blanche et mortuaire avec la corde au cou des Joy Division. On voit une Angleterre toute en nuances de vert pâle et de sépia, avec des Anglais aux allures de poètes maudits et assis sur le perron de leur maison en brique, le nez dans un bouquin d’Oscar Wilde.

Ce bon goût et cette intelligence globale ne les empêchera pas d’être empreints d’une profonde ironie et d’un vrai côté provoc et subversif, notamment dans les textes de Morrissey. Et c’est l’image que j’adore des Smiths : voir des mecs de bonne famille, cultivés et intelligents avec pulls en jersey sur les épaules chanter avec un détachement parfait “The Queen Is Dead”. Chanson qui illustre le côté subversif de Morrissey capable de chanter avec une nonchalance toute britannique : “Dear Charles, don’t you ever crave to appear on the front of the daily mail, dressed in your mother’s bridal veil?”

Cela peut paraître très imagé, et il est rare que j’accorde une place aux textes ici, mais concernant les Smiths et Morrissey en particulier, c’est une donnée à prendre en compte pour rentrer dans leur univers, et passer outre le timbre de voix très particulier de Morrissey. Les textes de Morrissey et les guitares tournoyantes de Johnny Marr donnent des titres ultra mélodiques et très directs : comme le génial “Bigmouth Strikes Again” :

Si pas mal considèrent toute leur discographie comme parfaite de A à Z, je conseillerais plutôt de se concentrer sur leur disque le plus abouti à mon sens The Queen Is Dead (oui, c’est Alain Delon sur la pochette… Morrissey étant un grand fan de la Nouvelle vague, allant même jusqu’à citer Claude Brasseur dans ses textes). Régulièrement classé dans les meilleurs albums britanniques, The Queen Is Dead offre de vrais moment doux amers de mélancolie, comme le sublime “I Know It’s over” (que Jeff Buckley avait pour habitude reprendre régulièrement) :

Et le point d’orgue de l’album, le génial “There Is A Light That Never Goes Out”, dans mon panthéon perso et qui synthétise en une chanson le talent des Smiths : écriture incisive, mélodie efficace, guitare cristalline qui tournoie et cette ambiance mélancolique sans être larmoyante :

Pour terminer, et si le côté un peu “daté” des Smiths vous rebute, je ne peux que vous conseiller de vous ruer sur la discographie de Morrissey en solo, plus récente et donc plus “moderne”. Si les prises de position du M’sieur sont contestables (“Meat Is Murder” et j’en passe…), ce type-là à sorti au moins deux albums solos de vraie pop de haute volée, ciselée à l’or fin 36 carats, à savoir You Are the Quarry  (un des albums que j’emporterais sur une île déserte) et Ringleader Of The Tormentors.

Avec parmi les meilleures réussites, le délicieux “Let Me Kiss You” et sa mélodie parfaite ou encore la désarmante “Life is a Pigsty”.