La fille qui… n’aimait plus les concerts

BILLET D’HUMEUR – Le mec qui essaie de te mettre la main aux fesses, la meuf bourrée qui renverse la moitié de son gobelet sur tes chaussures, la sono pourrie… quand les concerts deviennent une tannée.

J’aime profondément la musique. Et on dit qu’il n’y a rien de mieux que de l’écouter en live, la musique. C’est vrai, je l’ai pensé. J’ai dit ça pendant très longtemps. Je ne voulais absolument pas manquer les artistes que j’aimais, quitte à les voir trois fois en deux semaines. Et puis, les déceptions apparaissent, elles sont de plus en plus fréquentes. Même quand ce sont des artistes que j’aime qui se produisent. Avec l’âge, je me demande si j’y ai cru un jour, à cette phrase. Ou était-ce juste une phrase que j’ai répétée parce qu’on me l’a souvent répétée ? La musique, c’est mieux en concert ?

Vois-tu, en ce moment, j’éprouve un sentiment étrange. Je crois que je suis en train de devenir une vieille conne. Celle qui se dit en concert ou en festival : « merde je crois que je suis devenue trop vieille pour ces conneries ». Parce qu’avant un concert, je traîne de plus en plus la patte.

La voix intérieure

La semaine dernière, je suis allée au Supersonic pour voir Crows. Des punk anglais énervés comme je les aime. Dans une salle que j’aime bien. J’avais hâte. Une semaine avant. Et puis, plus le concert avançait, moins j’avais envie d’y aller. Parce qu’une petite voix, à l’intérieur de moi, me dit : « ça va être blindé, tu ne vas rien voir, tu vas te faire envoyer dans le décor à la première chanson avec le premier pogo, il va faire trop chaud, tu vas rentrer déçue, tu vas être crevée ». Cette voix intérieure, je l’ai détestée pendant longtemps. J’avais envie qu’elle ferme bien sa gueule parce que j’avais juste envie de kiffer, voir un groupe que j’aime et qui ne passe pas souvent en France. Mais le problème, c’est que cette voix, elle a souvent raison. Pour Crows, en tout cas, elle avait raison. J’aime Crows, mais je n’ai pas aimé le concert pour toutes les raisons citées.

Aller en concert, c’est devenu un effort que j’ai de moins en moins envie de faire. Parce que la sono n’est souvent pas géniale, parce que les gens parlent trop fort et n’ont aucun respect pour les gens autour et pour les artistes sur scène, parce que la bière est mauvaise et tiède, parce que les places de concert sont de plus en plus chères. Et… parce que les meilleurs artistes sont dans des salles beaucoup trop petites pour le public qu’ils attirent.

The “Fear Of Missing Out”

J’avais l’habitude de faire beaucoup, beaucoup de concerts. Au moins trois par semaine. Il fallait voir cet artiste, même si je l’ai déjà vu plusieurs fois. Il fallait absolument l’écouter en premier. J’ai appris qu’il y a un syndrome pour traduire ce « il faut absolument que j’y aille » : le FOMO, the fear of missing out. La peur de rater le moment. La soirée, le concert. Et puis, avec le boulot (celui qui doit payer les factures), j’ai commencé à y aller de moins en moins. Parce que mes horaires étaient décalés, souvent. Je voyais alors sur Instagram des stories d’artistes que je pensais vouloir voir à tout prix. J’ai raté Radiohead ? Ok. J’ai loupé Jack White pour la troisième fois ? Ok. Plus de place pour Temples ? Bien.

Mais en regardant les images qui ne me faisaient finalement rien, j’ai compris que ce n’était pas une nécessité absolue. Que la Terre n’allait pas s’arrêter de tourner si je n’étais pas allée voir untel ou unetelle. Les mois ont passé et le nombre de concerts a baissé drastiquement. De deux ou trois par semaines, c’est devenu un ou deux par mois. Puis, rien pendant six mois. Et aucun manque.

La musique ne me manque pas parce qu’elle est avec moi toute la journée, tout le temps. Dès le matin. « Killing In the Name » est la première chose que j’écoute le matin chez moi. Mon trajet de métro pour aller bosser est souvent accompagné par un album de Bowie, Arctic Monkeys, Nick Cave ou Radiohead. Dans le train, je m’endors en écoutant Fat White Family. Le soir, j’écoute toujours Tamino, Damien Rice ou Tame Impala. Je suis toujours aux anges quand je découvre un titre, un groupe ou un artiste dont je n’avais jamais entendu parler. Récemment, il s’agit de Lie Ning et de Hotel Lux.

La musique en solitaire

À la place des concerts, j’écoute les albums au casque. Et le plaisir est décuplé. Il n’y a pas de distraction. Pas de mec qui te colle et essaie de te mettre la main aux fesses, pas de meuf bourrée qui renverse la moitié de son gobelet sur tes chaussures. Il n’y a pas de problème de son, pas de bribe de conversations inintéressantes qui vient interférer avec le concert. Pas de mec qui hurle « à poil » ou « je t’aime ». Tu n’es pas bousculée toutes les dix secondes, on ne t’envoie pas valser, on ne gâche pas ta chanson préférée. D’ailleurs chez toi, Arctic Monkeys chantent toujours « Mardy Blum ». Tu as de l’espace, tu peux zapper le titre que tu n’aimes pas. Et à la fin de l’album, tu n’es pas frustrée.  

Je sais que le live est important pour les artistes. Que la scène permet de les faire vivre. Que ce n’est pas avec le streaming qu’ils sont rémunérés de manière convenable. Et je m’en veux d’être devenue cette personne-là qui abandonne les concerts. Mais à la place j’achète leur album et des t-shirts sur leur merch à eux. Et depuis que je fais moins de concerts, le nombre de vinyle a augmenté de façon exponentielle. Et les quelques concerts que je fais m’emplissent de joie.

Je choisis désormais les concerts auxquels j’ai envie d’aller. Pas parce que j’ai lu une chronique quelque part ou parce qu’on m’a dit « c’est à voir AB-SO-LU-MENT » mais parce que je le veux. Vraiment. Et je sors de la salle avec le sourire aux lèvres comme après le concert de Tamino à l’Olympia, Mormor à la Maroquinerie, Half Moon Run au Trianon. C’est quand on se quitte un peu qu’on est content de se retrouver. Finalement, c’est pareil avec les concerts.

PS : je n’ai jamais compris l’utilité des pogos. Où est le plaisir dans le fait de se rentrer dedans ? Faîtes de la boxe, les gens. Cognez-vous contre un mur, si ça vous fait plaisir.