San James : « Quand je suis en studio j’ai l’impression d’être Bob le bricoleur »

INTERVIEW – San James n’est pas une inconnue sur la scène québécoise. Mais c’est la 1re fois qu’elle sort un EP en français. Rencontre.

Marilyse est une discrète. Quand elle ne travaille pas à la promotion d’autres artistes, elle met sa casquette de San James. Un projet musical débuté en 2015 avec la sortie de son premier EP, No One Changes Overnight. Une autre chose à savoir sur San James, et pas des moindres, elle n’écrivait jusqu’à présent qu’en anglais, avant la sortie de son tout nouvel EP homonyme, sorti en indépendant.

Marilyse est une discrète, mais cet EP, elle aime en parler. “C’est drôle car je pense que j’aurai sans cesse des choses à dire dessus et c’est la première fois que ça m’arrive. Pour mes deux premiers EP, on me posait des questions et je ne savais pas trop quoi répondre…” On la retrouve au parc du Pélican à Montréal, en début d’après-midi. Il fait assez chaud pour s’installer sur une table de pique-nique, juste à côté d’un terrain de baseball.

Se retrouver face à soi-même

Bien qu’elle ait un album complet écrit en anglais qu’elle attendait d’enregistrer, le confinement l’a poussée à changer de direction. Cet EP représente “un moment et un état d’esprit, c’était à ce moment-là que ça se passait. Je me suis beaucoup retrouvée face à moi-même à une période où je n’avais pas grand-chose à faire” nous avoue-t-elle, sans fard. On la croit sans sourciller.

Le déclic est arrivé grâce à son ami Francis (Baumans) qui lui envoie une musique sur laquelle il lui propose d’écrire un texte. Elle qui ne pensait pas écrire pour elle finit par donner vie à un texte personnel. “Le fait d’être beaucoup toute seule m’a fait aller gratter dans plein d’émotions cachées, c’était collé à ce que je vivais et ressentais“. Comme un déclic, elle se plonge dans l’écriture. En deux, trois semaines, l’EP est là.

Une surprise de taille l’attend : pour la première fois, elle a composé en français. “Je trouvais ironiquement que j’avais plus de difficulté à chanter le français, alors que c’est ma langue maternelle. J’ai toujours écrit des poèmes et des textes en français mais je ne les avais jamais mis en musique. Je n’aimais pas le français dans ma bouche”. San James n’a pas à rougir de ses textes, comme des pages d’un cahier poétique teinté de nostalgie, ils nous laissent songeurs et nous poussent à les réécouter pour mieux se les réapproprier.

Je me suis prouvée que c’était possible d’écrire dans cette langue-là et que j’aimais ça. Je ne pense pas que je vais complétement délaisser l’anglais car il y a une belle liberté ne serait-ce qu’au niveau rythmique. Mais, j’ai l’impression que ce n’est pas la dernière fois que je compose et que je sors des chansons en français“, nous laisse-t-elle espérer.

De la lumière derrière la mélancolie

On découvre une San James moins en colère. Une jeune femme à fleur de peau qui se livre avec fragilité. “Il y a plus de lumière, même s’il y a une bonne dose de tristesse et de mélancolie parce que c’est moi, et que je suis comme ça. Je suis un vrai petit clown mais derrière les portes closes je suis quelqu’un qui a tendance à partir dans ses pensées et qui parfois à la tristesse facile“. Le français a ouvert une fenêtre sur un pan plus personnel de l’artiste. Ça nous plaît beaucoup, et ça lui va bien.

La suite, c’est San James qui continue de l’écrire, puisqu’elle décide de réaliser cet EP elle-même en s’entourant de différent.e.s collaborateur.trice.s (Mélanie Venditti, Antoine Corriveau, Super-Plage pour ne nommer qu’eux). Elle enregistre toutes les voix dans sa chambre (exceptée une chanson), le reste se passe dans pas moins de cinq studios-appartements différents.

San James, parc du Pélican (c) Emma Shindo

Prendre le lead et lâcher prise

C’est à elle que revient de prendre les décisions, arrangements et mixage compris.“Je n’avais jamais fait de percussions, je décrivais au batteur (Charles Blondeau ndlr) au meilleur de mes capacités. Et je pense que j’ai réussi car au final j’ai exactement ce que je veux. Le plus grand défi en faisant ça toute seule c’était de lâcher prise, confie-t-elle. Et de bâtir de la confiance en soi.

“Dans ma tête et dans mon cœur je me suis longtemps considérée comme une choriste, quelqu’un qui ne voulait pas trop être sur le devant de la scène. À la fin de ‘Courte fête’, il y a beaucoup de back vocals, que j’ai fait moi-même. Je me permets de le faire en studio car je ne peux pas le faire sur scène. Quand je suis en studio j’ai l’impression d’être Bob le bricoleur, je fais de la construction et j’aime beaucoup ça !”

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Lâcher prise quand on prend la main sur l’intégralité d’un projet personnel, de A à Z, demande une belle force mentale. Surtout quand beaucoup (dont nous, avouons-le) avait compris que son EP avait été réalisé par Antoine Corriveau. Redonnons à César.e ce qui appartient à César.e. Sur le coup ça m’a un peu titillée et j’en ai même parlé à Antoine. Je ne veux pas non plus profiter de la réputation de quelqu’un. Il a été impliqué et ça je le dis à juste titre, mais je trouve ça quand même curieux que le réflexe soit souvent de parler de réalisateur masculin pour une artiste féminine”.

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Ce que ne dit pas l’écrit c’est qu’à ce moment de l’entrevue, on a un peu dévié sur l’important mouvement de dénonciations dans le domaine culturel l’été dernier. Un des titres de son EP, était de circonstance. “Pendant la méga canicule du mois de juillet dernier, j’étais dans ma chambre, fenêtre fermée, sans ventilateur ni air climatisé. Je n’étais qu’une grande flaque de sueur. C’était la période des dénonciations #metoo 2.0. Je me sentais littéralement en feu, je trouvais que le texte était très à propos. Deux jours plus tard je me faisais tatouer un petit feu”. Finalement, la colère qui vibre en chacun.e d’entre nous, n’est jamais bien loin, et elle nous nourrit. Un mal pour un bien ?

Juste à côté de San James

Ce qu’on a beaucoup aimé dans cet EP, c’est l’intimité que l’artiste a réussi à installer. De cette pochette d’album tirée d’une photo de sa maman prise par Marilyse quand elle avait deux ans aux respirations, bruits des touches et des pédales du piano que l’on entend dès “Courte fête”, facile de s’imaginer tout proche de San James. Micros dans la pièce, fenêtres ouvertes et oiseaux qui chantent, la carte de la proximité a été apportée jusque dans les petits détails.

“Que je ne le brise pas” est sans doute la chanson qui nous a le plus inquiétés. On y ressent une grande et belle tristesse. “Ce texte est celui qui m’a le plus brassée à l’intérieur quand je l’ai écrit. Je m’y dévoile comme un livre ouvert, vous pouvez y lire entre les lignes. Je suis un petit cœur sensible“, glisse-t-elle, sourire au coin des lèvres. Au piano-voix, tout en simplicité, San James a cette facilité à faire passer beaucoup d’émotions, avec son timbre de voix clair. D’ailleurs, quand on la questionne sur les angoisses que peuvent déclencher la sortie d’un disque qui la met à nue, elle nous répond : “Juste avant que ça sorte, on tombe toujours dans une espèce de phase où on se demande si on ne s’expose pas trop… Mais ça n’a pas duré longtemps, j’étais vraiment en paix“.

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Car comme pour beaucoup d’artistes, la musique est cathartique pour San James. “Parfois je me demande à quel point je dis de grandes vérités sur les gens alors que ça m’a pris un temps fou à me les dire à moi-même…” nous dit-elle amusée. Heureusement sur scène, le spleen retranscrit dans ses textes n’est pas omniprésent. “Les mots ne me vont pas autant droit au cœur qu’au moment où je les ai écrits. Sinon, ça serait insupportable, je passerais ma vie à pleurer !

En attendant, elle continue à travailler sur de la musique, et à prévoir des concerts seule au piano face à l’inconnu des prochains mois. “J’ai hâte de refaire des shows, c’est sûr ! Mais on ne sait pas combien de temps ça va durer tout ça…” Ça tombe bien, cet EP se prête vraiment aussi bien aux futurs concerts en solo ou en full band, qu’à l’écoute au casque, bien emmitouflé chez soi. L’hiver arrive non ?

Propos recueillis par Emma Shindo

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