Gangsters, schizophrénie et tea time : 5 bonnes raisons de courir voir “LEGEND”

Ça faisait un temps que je n’étais pas sortie aussi enthousiaste d’une séance de cinéma : il aura fallu attendre Legend et son sous-titre peu vendeur (“Legend : même la mafia a ses légendes”) pour me ravir à ce point. Le pitch ? La vie des jumeaux Kray, qui régnèrent sur le Londres des années 1960 (histoire vraie), grâce à leur firme mafieuse fondée sur des trafics, chantages et malversations en tous genres. Ronald (Ron) et Reginald (Reggie) ont grandi dans l’East End, quartier ouvrier pauvre de Londres, avant de se sortir de la misère de leur enfance et de “se mettre à leur compte”. Pour réussir, un seul moyen : devenir des gangsters, et se faire un nom dans le grand banditisme. C’est ainsi que s’ouvre le film, lorsque qu’à coup d’intimidation et de corruption, Reggie parvient à faire sortir son frère Ron de l’asile psychiatrique où il se trouvait depuis trois ans. Les Kray de nouveau réunis vont alors se débarrasser du gang rival installé de l’autre côté de la Tamise, pour enfin régner en tant que première puissance mafieuse londonienne. Bien entendu tout ne sera pas aussi simple que prévu dans leur monarchie Kray : police, prison, crises schizophrènes de Ron, violence, jalousie, ego…

LEGEND

Les Sixties et l’émancipation des femmes

L’ambiance des années 1960 est stupéfiante de réalisme. Ce Londres des Sixties est très convainquant. Les décors d’abord : l’East End, ses docks, ses pubs, ses ruelles, ses maisonnettes en brique, aux portes colorées, ses intérieurs British ultra kitsch, tout y est. Le West End en regard est aussi bluffant, ses immeubles proprets, ses intérieurs plus modernes à la Jacques Tati… Les costumes ensuite : costumes (tux) pour les mafieux, robes colorées à la Mad Men, bandeaux et haut-chignons pour les femmes. Une figure féminine attire toute notre attention : Frances (Emily Browning), petite-amie puis femme de Reggie Kray, narratrice du film, qui lors de son premier rendez-vous galant lui déclare de but en blanc qu’elle ne souhaite pas pourrir dans l’East End et se traîner une poussette toute sa vie. À la place elle a entrepris des études de secrétariat, et porte des pantalons sous ses tuniques. Un peu de féminisme, bien vite relayé au second plan, alors que ses sentiments pour Reggie vont rapidement prendre le dessus sur ses idéaux. N’oublions pas que l’East End est un quartier historique dans la naissance des revendications féministes.

Cockney et florilège d’insultes

Legend perdrait sûrement beaucoup en intérêt sans les accents extraordinaires de ses personnages. “Fucking cockneys” entend-on de la bouche de l’inspecteur de Scotland Yard, en planque devant la maison des Kray. Car oui, on est bien à Londres, et bien dans l’East End, où l’accent cockney est de mise. Et quel plaisir pour nos oreilles ! (chacun ses goûts hein !). Ajoutons à ce divin accent populaire, un florilège d’insultes qui ponctuent les phrases des protagonistes, malheureusement pas toutes traduites, ou très mal traduites par pudibonderie (je n’ai pas digéré le faggot [pédé] traduit en tante qui efface toute la violence de l’insulte). Si tu n’aimes pas l’accent anglais et les jurons comme mot de liaison, autant passer ta route. Sinon, ce film est pour toi.

Legend

King Tom Hardy

Que serait Legend sans l’extraordinaire Tom Hardy ? L’acteur anglais est époustouflant dans son double jeu des jumeaux Kray. Ses deux rôles sont parfaitement maîtrisés jusque dans chaque mimique et tic de langage, et il est bien difficile après quelques minutes d’y voir le même acteur. Ron d’un côté : sensible balourd à lunettes peu seyantes qui ne cache pas son homosexualité. Enfermé en prison puis en HP, Ron n’aurait jamais du en sortir, atteint par des crises de schizophrénie, d’une incroyable violence, qui vont être à l’origine de la chute du règne des Kray. Reggie de l’autre côté : bel homme, séducteur, intelligent, qui maintient leur royaume à flots. Reggie, cet homme tiraillé entre les liens du sang avec son frère qu’il s’est juré de protéger à cor et à cri, et ses sentiments pour Frances, persuadée que celui-ci peut se “ranger” et devenir un honnête homme. Tom Hardy porte le film à bout de bras, sa double performance est tout bonnement bluffante.

Une bande originale rétro’

Un bon film n’est rien sans une bonne musique. La bande originale de Legend est l’oeuvre de Carter Burwell, qui a longtemps travaillé avec les frères Cohen. Notamment sur son CV on peut trouver les BO de Carol, Twilight, A Serious Man, No Country For Old Men, Bons baisers de Bruges… Pour Legend dont la musique prend une place considérable dès les premières secondes, le compositeur a rassemblé des artistes comme Duffy (qui joue d’ailleurs un petit rôle de chanteuse de cabaret), The Meters, Herman’s Hermits, The Rockin’ Berries, Rod Stewart, The Righteous Brothers, Marvin Gaye… pour une BO diablement rétro-tendance.

https://youtu.be/KKH-BhF7cmg?list=PL3YxWGyM8zz80HFobA6scx_SuOGPyrIVC

L’humour British

Qu’est-ce qui différencie Legend des dizaines (voire centaines) d’autres films de gangsters ? C’est bien simple : Legend est drôle. On vous le jure. Ce n’est pas un Scorsese. Les scènes violentes (une dizaine pas plus) sont certes extrêmement sanglantes, mais elles sont très souvent introduites, ou parsemées d’humour anglais pince-sans-rire. Mais c’est surtout le personnage de Ron qui fait sourire, presque nerveusement, tant il est insensé en étant touchant. On ressent même une forme de pitié pour cet homme fou. Répliques décapantes à foison, comique de répétition, comique de situation (cette scène de dégustation de thé dans le salon des parents des Kray est tout bonnement exceptionnelle) et ironie : voilà sûrement l’un des gros points forts de Legend. Entre autres !

Legend, de Brian Helgeland, avec Tom Hardy, Emily Browning, Paul Anderson, Colin Morgan. En salles depuis le 20 janvier 2016.