ROVER : “Rover c’est mon nom de scène pour séduire les filles”

Interview en backstage avec ROVER un bel après-midi fin juin à Paris, à quelques heures de son set aux Solidays. On rencontre ce jour-là un homme apaisé, intelligent et séducteur. On a pu lui poser quelques questions…

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Solidays 2016 // Rover

Comment ça se passe pour toi, l’écriture d’un nouveau disque ?
Je n’écris pas du tout sur la route. C’était un choix personnel car j’avais envie d’écrire après la première tournée, et j’ai enchaîné tout de suite parce qu’il y a des choses comme ça qui nous échappent quand on écrit des chansons. Il y avait une envie d’écrire, et je l’avais ressentie à la fin de la tournée. Mais j’ai un peu de mal à écrire sur la route, j’ai besoin d’un lieu… pas forcément la Bretagne, mais au moins un lieu où je me sens presque “bureaucratique”. J’ai besoin d’un lieu régulier, dans lequel je me sens bien pour écrire des chansons. Et j’avais envie de le faire ! Je ne me voyais pas aller sur une plage me dorer la pilule, je laisse ça aux autres. C’est spontanée comme démarche : c’est le propre des peintres aussi, il faut avoir un atelier, en tout cas en ce qui me concerne car c’est tellement personnel ! Je sais que pour faire abstraction de tout le reste qui peut devenir une pollution, il faut à la fois que je m’isole et un lieu dans lequel je n’ai pas à réfléchir à une forme d’intendance musicale c’est à dire : je sais quel objet est à quel endroit pour que ça aille très vite et que tout soit mis en place, que tout soit simple, pour que les chansons viennent avec fluidité et spontanéité. Si je dois réfléchir à quel son de batterie… déjà rien que pour une maquette… installer une batterie, mettre des micros… l’idée est déjà partie ! Alors que si c’est juste des simples boîtes à rythme, que j’enregistre tout de suite et que les démarches sont très simples et ordonnées – et pas un écran d’ordinateur ou une télévision qui vont m’occuper à autre chose – c’est bureaucratique, c’est esthétiquement un lieu presque monacale, rudimentaire et épuré. Et c’est là où je me sens bien, quand il n’y a aucun objet qui vient me polluer parce qu’il a aucune plantes à arroser… tout est dédié à la musique et c’est comme ça que je me suis rendu compte en m’observant que je fonctionne. Peut-être que ça sera différent dans l’avenir…

Te rappelles-tu de ton premier souvenir musical ?
Le plus ancien en tout cas… je pense qu’il est forcément lié à la musique sur vinyle que j’ai entendue. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui consommaient beaucoup de musique à la maison, qui n’avaient pas de gène à avoir de la musique en fond sonore, à acheter des disques, et même à se tromper dans certains achats. Il n’y avait pas de cérémonial autour de la musique non plus. Ce n’est pas “on pose le vinyle” et c’est l’heure de l’écoute. On pouvait les mettre nous, même très jeunes ; on pouvait jouer avec le truc, abîmer la chaîne. J’ai des parents très relax’ avec ça, et ça m’a permis très vite de m’accaparer des moments de musique enfant, et même de jouer avec la stéréo de la vieille platine, mettre la musique qu’à gauche ou qu’à droite… donc j’avais que le basse-batterie des Beatles, et que les guitares à droite, me coller aux enceintes, avoir mes premiers émois avec la machine à vinyles de mon père…

Je me fais assez peu à la dématérialisation de la musique.

Tu as donc toujours eu un rapport particulier avec le vinyle ?
Je pense avoir créé un cérémonial avec le vinyle qui m’est propre, du fait d’avoir eu cette liberté, d’avoir un endroit accordé à la musique notamment pour écrire mais aussi pour l’écouter, et ça s’est beaucoup transposé à la voiture. J’écoute beaucoup de musique en voiture, j’aime le support, je suis attaché à ce support oui ! Que ce soit le CD, la cassette ou le vinyle, je me fais assez peu à la dématérialisation de la musique. Je conçois l’aspect très pratique et écrasant de la diversité qu’offrent les plateformes numériques, mais j’ai un côté très ringard, très oldschool à aimer scruter les pochettes, poser l’objet, le sentir dans la main avant de l’écouter. Et tant mieux si ça revient en force ! J’espère vraiment que ce n’est pas une forme de snobisme ou un courant de mode, car l’un n’empêche pas l’autre. C’est bien que ça revienne, il ne faut pas tuer les choses.

Rover c’est un personnage ? 
Je ne sais pas si c’est un personnage mais Rover c’est mon nom de scène pour séduire les filles. C’est à vous de me dire si ça marche ?! (on confirme) C’est rare que des journalistes aillent dans mon sens ! Je ne suis pas très fan du mot “personnage” car il y aurait quelque chose de très conceptualisé et de réfléchi en amont… Même étudiant je m’habillais comme ça, les profs me détestaient pour ça, car je venais en blouson en cuir et en lunettes comme si j’allais faire une interview avant de monter sur scène, mais pas dans le but d’être arrogant ni prétentieux – je sais que ça peut l’être vu de l’extérieur – mais parce que ces lunettes, pour des raisons pratiques sont très confortables car j’ai les yeux bleu très clair. Et elles sont à ma vue, donc je les mets tout le temps. Et le blouson de cuir c’est le seul vêtement qu’on n’est pas obligé de laver sur la route puiqu’on ne peut pas faire beaucoup de machines, il suffit de changer de tee-shirt et on peut le laisser très sale. Toujours séduisant ? (rires)

Donc, toute cette réflexion c’est juste pour le côté pratique ? 
Complètement ! Et puis je fais de la moto… c’est des objets que j’aime en fait ! Vraiment. J’avais une veste en velours que j’aimais, je la mettais, un foulard que j’aimais, je le mettais, puis après les objets ont une durée de vie, comme les humains… parfois j’ai du mal à en jeter certains donc je les garde parce que je les aime. Donc il y a aussi un aspect pratique et esthétique évidemment, mais ce n’est pas le personnage au sens -M- de Matthieu Chedid ou quelque chose qui est complètement conceptualisé.

Parfois en festival, on ne touche que 20% du public, et c’est déjà une victoire

Le fait que ta musique soit personnelle, ce n’est pas compliqué à partager avec autant de monde ?
C’est justement ça la musique ! C’est quelque chose que je ne peux pas expliquer : quand ça prend – car ce n’est pas toujours le cas – d’ailleurs en festival c’est plus délicat que dans une petite salle intime, parfois on ne touche que 20% du public, et c’est déjà une victoire. Il ne s’agit pas de plaire à tout le monde, ce n’est pas forcément la même musique que font les collègues après moi sur la même scène, une musique qui peut parfois être plus propices à un festival, plus festive, plus dansante et plus directe peut-être. Malgré tout si je suis là, c’est qu’il y a peut-être des gens que ça peut toucher et que l’émotion, quelle qu’elle soit, et quel que soit le type de musique, a quelque chose de très mystique… Dès lors que les musiciens et moi sur scène sommes sincères – et il faut le rester, c’est la clé, et ne jamais vendre son âme au diable pour essayer d’être quelqu’un d’autre – c’est une victoire ! Quand on fait un set d’une heure, et même si c’est qu’une minorité du public qui en sort touché ou un peu changé, ou remué, ou une belle émotion simple inexplicable, c’est déjà un moment qui a valu la peine d’avoir lieu. Après c’est très délicat car je ne suis pas dans le public, je vois des visages… en l’occurrence dans les festivals il y a un esprit plus léger car on n’est pas à un spectacle de Rover dans une salle où l’on est assis, donc la démarche est autre. Mais quelle chance de toucher un public qui parfois ne nous connaît pas, la plupart viennent pour les plus grosses têtes d’affiche ou pour un autre style de musique, ils sont là en curieux. Et c’est au même titre d’une promotion sur une télé, on va toucher les gens qui n’ont pas fait forcément la démarche d’aller acheter un disque. Donc c’est une vraie opportunité et elle est bonne à prendre même pour nous, car on quitte une forme de confort où on a son public connaît nos codes, nos disques. Là, c’est pas le cas. Donc on part au combat, c’est chouette ! (sourire)

En parlant d’émotion, Musset dit que les chants désespérés ou douloureux sont les plus beaux, tu es d’accord ?
Je pense oui, que c’est assez vrai. D’autant que le bonheur peut être douloureux, donc c’est très large comme définition. La douleur n’est pas forcément pour moi, quelque chose à connotation négative, c’est un sentiment, un ressenti qui est souvent suivi d’un relâchement de la douleur. C’est une amorce de quelque chose de d’autre qui s’annonce. Je ne sais pas si c’est clair, mais c’est le moins avant le plus, ou le plus avant le moins, j’aime bien, c’est ce qui m’inspire les chansons. C’est des épreuves de la vie qu’une chanson naît. C’est l’après qui m’intéresse : l’année qu’on a passé avec tous ses drames… j’étais tout autant bouleversé de voir la réaction des gens, de voir les débats, les langues se délier. Sur un festival comme ça, qui est pour une cause importante, c’est exactement ça, c’est fédérer autour de l’art, c’est fédérer les gens dans un lieu qui est magique autour de la musique sur quelques jours… alors que le sujet est grave. Action réaction. Donc très belle phrase !

C’est souvent quand une chose plante sur scène, qu’il y en a 10 derrière qui vont planter !

Pour finir sur une note plus ou moins fun : tu te rappelles de ton pire concert ?
Il n’y a jamais eu concerts dramatiques au point de plomber l’ambiance, c’est toujours effectivement assez positif en fin de compte. On en sort, on grandit soi-même, quel que soit le concert. Encore récemment, on a eu des problèmes techniques et on en sort grandit, on se voit autrement, tout est délogé de nos habitudes, donc ce n’est pas forcément des concerts qui restent de manière négative en moi, mais presque des événements d’une rare violence qui font naître d’autres choses. Mais concrètement après des détails, ça ne va peut-être pas faire rire les gens parce que c’est un peu technique, mais c’est souvent quand une chose plante sur scène, qu’il y en a 10 derrière qui vont planter. On n’a jamais qu’un problème ! Donc quand on commence à casser deux cordes à la guitare, l’ampli ne va plus marcher, le batteur va se fouler la cheville… (sourire) c’est une série intéressante et le concert n’est plus du tout ce qu’il devait être, et naît alors le vrai musicien qui est à mes côtés. Je vois alors la vérité chez tout le monde et chez moi. Donc c’est ce qu’on disait sur les moments durs de la vie qui inspirent des chansons, le moins, le plus. Et de ces moins là naissent souvent beaucoup plus de plus qu’en vingt concerts où tout se passe bien. Donc ça reste des bons souvenirs ! Et ça reste de la musique, je ne suis pas chirurgien à cœur ouvert, donc ce n’est jamais très grave, dieu merci ! Et les gens adorent en plus, car ils voient que c’est la pagaille, et ils se demandant comment on va s’en sortir. Et là je suis Mac Giver… chalumeau !

Let It Glow, l’album de Rover est disponible dans les bacs (Wagram).

Propos recueillis par Sabine Bouchoul et Emma Shindo (Solidays 2016).