Lauryn Hill au festival international de jazz de Montréal : une diva, au sens très large

Lauryn, il faut qu’on parle. Il faut qu’on parle de toi, de tes manières, de ta façon de te comporter. J’attendais avec impatience ton concert à la salle Wilfred Pelletier. C’était même toi que j’attendais le plus. Et, ma grand-mère disait souvent : n’espère pas trop pour ne pas être déçue. J’espèrais pas le concert de l’année (déjà attribué à Marlon Williams de toute manière), mais un concert qui me marquerait. Il m’a marqué, c’est sûr, mais pas pour les bonnes raisons. Ta première partie était superbe. Jalen Ngonda a été mon petit coup de coeur du festival (il y a aussi eu Davina and the Vagabonds mais on en reparlera plus tard). Jalen : un petit mec tout frêle qui semble arrivé tout droit des années 60, avec son ryhtm and blues vintage, sa voix soul et ses reprises magiques de Ray Charles et Otis Redding. C’était annonciateur de belles choses. A 20 heures, il avait fini de chauffer le public, on n’attendait plus que toi. On m’avait prévenu : “Lauryn, elle arrive toujours en retard”. On m’avait dit : c’est minimum deux heures”. Et ils avaient raison, tous, de dire ça. Parce qu’on t’a effectivement attendu deux heures. Pour patiente, tu nous a sorti le plus moisi de tous les MCs de tout l’univers, je crois. Son DJ set était improbable, assez insupportable et si pendant les quinze premières minutes, on s’enjaillait, on a fini par franchement être lassés au bout d’un moment. Les oreilles saignent d’entendre des bouts de chansons balancées beaucoup trop fort, des discours sur la paix, l’amour (oui oui c’est beau, on le sait, il faut qu’on s’aime tous les uns les autres), la justice (oui oui, on aime la justice, monsieur, évidemment), on est aussi sur les nerfs de t’attendre, Lauryn. D’ailleurs, les sifflets commencent, les allées et sorties se multiplient. On nous dit que tu es quelques parts dans le bâtiment, mais personne ne sait ce que tu fais. Lauryn, il y a des gens qui sont là pour toi, qui ont payé 118 dollars la place pour t’écouter chanter toi, pas la clé USB du DJ. Il est 22 heures quand tu fais ton apparition. On est tellement soulagés, qu’on se lève tous ensemble. Toi, t’en a rien à foutre. Dans ta jupe froufrou et ta chemise, tu te diriges vers ton tabouret. Guitare sur les genoux, tu enchaînes les titres dans un cafouillage total. Ca se ressemble à des balances ouvertes au public. Le public, tu t’en préoccupe pas beaucoup, par contre tu engueules tes musiciens, tes choristes, tes ingé sons. Je me dis que cela doit pas être très simples de travailler avec toi. Mais c’est pas ça le problème. Le problème, c’est que dès que tu chantes, tout s’arrête. Dans ta voix, il doit y avoir les mêmes ondes que les sirènes qui piègent les marins. Nous aussi quand tu chantes on est pris au piège, on t’écoute, on pleure, on rigole, on te pardonne d’être une diva, d’être pas trop sympa. On te pardonne dès que tu nous refais des titres des Fugees, quand tu reprends Bob Marley, quand tu te mets à rapper avec un débit que Kanye doit tellement t’envier. Oui, Lauryn, tu es une grande dame. Je pense que tu le sais et que c’est pour cette raison que tu te permets d’arriver avec deux heures de retard. Je me dis que tu as tout de même de la chance. Parce que le public de la salle Wilfred Pelletier t’as respecté. Certes, il y a quelques sifflets mais il est resté, il t’a acclamé, il t’a aimé.

Crédit photo : Denis Alix