La musique : “un des piliers de l’œuvre cinématographique et télévisuelle” (Clément Souchier)

Deuxième épisode sur la musique et les séries. Clément Souchier nous éclaire un peu plus sur le rôle du superviseur. Compositeur de musique pour le cinéma et la publicité, il fonde son Agence Indépendante de Musique à l’image (Creaminal). Il accompagne les réalisateurs, producteurs dans leurs choix musicaux, tant en publicité que pour le cinéma et les séries. Rencontre.

Version 2

Quel est le rôle de la musique dans une série ?

Au même titre que pour un long métrage, le rôle de la musique dans une série peut être très varié. Elle ne joue d’ailleurs pas qu’un rôle, mais potentiellement plusieurs. Un rôle émotionnel tout d’abord car rien de mieux que la musique pour jouer avec les émotions des spectateurs… c’est particulièrement parlant dans les séries de genre.  Un rôle parfois identitaire et esthétique lorsque son ADN et sa forte singularité imprègnent de façon indélébile l’univers de la série… À ce titre, les génériques cherchent presque tous à jouer ce rôle mais n’y parviennent pas toujours. Ceux qui me viennent le plus spontanément comme des exemples réussis sont : Narcos, Six Feet Under, Twin Peaks. Contextuel et historique lorsqu’on se sert de la musique comme élément de contexte, que ce soit historique ou géographique… la musique et notamment ce qu’on appelle la synchronisation (la musique du commerce, par opposition à la musique originale de la série) peuvent très facilement vous plonger dans la Colombie des années 1970 ou l’Allemagne des années 1980.

Parfois on parle d’un personnage à part entière ?

Elle est très importante oui. J’avoue n’avoir jamais vraiment compris cette image de “personnage à part entière” qu’on lui attribue parfois. Je la vois plutôt comme un des piliers de l’œuvre cinématographique/télévisuelle dans le sens où le compositeur est un des 3 “auteurs” de la série, avec les scénaristes/show runners /réalisateurs. La musique est un matériau unique pour suggérer, souligner, accompagner, provoquer… On peut parfois l’associer à un lieu, une situation ou en effet à un personnage. Elle peut aussi servir à suggérer quelque chose qui se passe hors champs, évoquer une humeur…

Est-ce que la musique d’une série permet d’appuyer l’identité de cette dernière ?

Oui, énormément. La musique, lorsqu’elle a une identité forte, est sans doute l’élément qui nous marque le plus après avoir vu un film, une série… et ce, pendant des années. Il n’est pas rare qu’on oublie le nom des personnages d’une série qu’on a pourtant regardée pendant des heures, des semaines… Et il suffit en revanche qu’on joue une fraction de seconde de Game Of Throne, Breaking Bad pour les reconnaître instantanément. Le travail que nous avons fait chez Creaminal avec Mogwai dans Les Revenants s’inscrit dans cette approche identitaire forte. La musique de Kyle Dixon and Michael Stein pour Stranger Things est aussi un super bon exemple.

Une idée peut être de souligner et renforcer une émotion ou au contraire créer un décalage

Comment choisit-on un titre à synchroniser sur une scène ? Quels sont les critères à prendre en compte ?

Lorsqu’il s’agit de musique “in” (musique qui est censée être jouée dans une scène… dans un bar ou dans l’auto-radio d’une voiture par exemple), la musique est un élément du contexte. On choisira donc un titre qui fait sens par rapport au lieu, à l’époque, aux personnages… Lorsqu’il s’agit de synchronisation de titre existant qui n’est pas utilisé comme une musique in, on peut nettement plus se lâcher… L’idée peut alors être de souligner et de renforcer une émotion, ou au contraire de créer un décalage, un total contre-pied entre la situation et la musique.

Est-ce qu’il faut travailler à partir d’un catalogue particulier ?

Non. Plus la connaissance musicale est étendue et meilleur c’est ! Mais à ce petit jeu, on se retrouve confronté au bout d’un moment aux limites de notre propre mémoire. Pour y palier et afin de pouvoir travailler de manière collaborative (notre équipe comprend une dizaine de personnes aujourd’hui), nous avons développé chez Creaminal notre propre outil de recherche (avec styles, émotions, lyrics etc.) afin de garder la mémoire de tout ce que nous écoutons… C’est devenu central aujourd’hui dans notre façon d’accompagner nos amis réalisateurs et producteurs…

Est-ce qu’elle peut aider les groupes à se faire connaître ?

Oui, mais évidemment pas de façon systématique… c’est même une très faible minorité. Il faut que le titre soit exposé dans de très bonnes conditions pour que ça aide un groupe à se faire connaître. Il faut déjà que la série soit très suivie, car les curieux capables de shazamer et faire des recherches restent une minorité. Il est par ailleurs nécessaire que la scène soit suffisamment longue et idéalement, pas trop dialoguée pour que le spectateur puisse “sortir” de la série et se mettre à se poser la question de la musique qu’il entend pour idéalement sortir son smartphone pour shazamer. À ce titre, la situation idéale est alors souvent le titre qui arrive sur la dernière scène et continue sur le générique de fin. Ou mieux encore, tous les génériques de début bien entendu (dès lors qu’il s’agit d’une synchronisation de titre existant et non d’une musique originale).

Parmi les exemples les plus fameux de groupes qui se sont fait connaître via des séries, on peut citer Grey’s Anatomy avec les groupes The Fray avec la chanson “How To Save A Life” et Snow Patrol “Chasing Cars” qui sont devenus d’énormes tubes post-série. Ou encore le track de la finale de Breaking Bad avec la chanson “Caby Blue” de Badfinger, qui du jour au lendemain est devenue super streamée et écoutée.

Retrouvez le premier épisode de musique et série : La musique d’une série ? Un rôle identitaire, esthétique et fondamental