On a vu : “Captain Fantastic” de Matt Ross

CRITIQUE CINÉMA – Prix du jury et prix du public au Festival de Deauville, prix de la mise en scène dans la catégorie Un certain regard à Cannes, le premier film de Matt Ross partait sur de solides bases. Ajoutons la caution Viggo Mortensen et un scénario séduisant, Captain Fantastic avait vraiment tout pour plaire. Pourtant, on a été un tantinet déçus.

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Je n’avais pas l’intention d’écrire quoi que ce soit quand je suis enfin allée voir Captain Fantastic. Je lorgnais sur les affiches dans les transports en commun après avoir été immédiatement séduite par la bande-annonce quelques semaines plus tôt. C’était une évidence, j’allais aimer ce long-métrage. Le scénario me faisait beaucoup trop de l’œil.
Ben (Vigo Mortensen), est un père de famille qui vit dans un coin reculé d’une forêt de la côte ouest des États-Unis (ou du Canada) avec ses six enfants (dont la moitié aurait pu intégrer la famille Weasley). La famille vit en quasi autarcie : ils chassent et cuisinent leur viande, jouent de la musique autour d’un feu de camp, apprennent à se battre, escaladent des parois rocheuses abruptes, ont des toques d’animaux sur la tête, se débarbouillent dans les eaux claires des rivières, ne sont pas pudiques mais doivent porter des vêtements à table, dorment tous ensemble sous un tipi, et font de la méditation dans la nature… Bref, une autarcie bobo organisée par Ben, cet homme intelligent, las de la société Big Brother dans laquelle il ne se reconnaissait plus. Un homme nourri de thèses anti-capitalistes et anti-consuméristes qu’il ne cesse de rabâcher à sa progéniture brillamment éduquée par de savantes lectures.

Sauf que ce petit paradis, comme l’appelle Ben, s’effrite depuis le départ de sa femme. Celle-ci avait en effet besoin d’être hospitalisée, et s’est absentée pour quelques mois. Son départ, son absence, puis son décès sont l’élément déclencheur du périple de Ben et ses enfants à travers les États-Unis dans un vieil autobus aménagé, pour assister aux funérailles de leur mère et affronter un monde dont ils sont ignorants.

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Captain Fantastic propose en fait une réflexion autour du mode de vie “occidental” normalisé par les sociétés du nord de l’hémisphère. Quel est le bon comportement à adopter entre une autarcie radicale et une soumission aveugle à un mode de vie codifié et standardisé ? Si ce choix de vie anti-système est plutôt intéressant à montrer sur grand écran à notre époque, le propos est pour moi insuffisamment développé, et a tendance à partir trop rapidement dans les clichés. Ainsi Ben peut tout aussi bien être perçu comme un intellectuel novateur qu’un vieux réac’ hippie dérangé qui préfère célébrer Noam Chomsky que Noël. Pour personnaliser cette facette, le réalisateur choisit d’opposer Ben à ses beaux-parents, vieux couple sudiste conservateur qui n’a jamais soutenu le mode de vie de leur fille unique (la femme de Ben), qui a lâché sa brillante carrière pour partir vivre en isolement dans la forêt. Je ne vous parle pas de Bo, l’aîné de la famille, tiraillé entre sa vie d’homme sauvage et son affranchissement du joug paternel par l’Université, ou à des fils de sa sœur qui ne pensent qu’aux jeux vidéos et ne savent pas ce qu’est la Constitution américaine… Cliché sur cliché te dis-je. C’est bien dommage, car à trop vouloir en faire, Captain Fantastic et ses clichés réducteurs ont tendance à décrédibiliser ce choix de vie marginale, et ses personnages en même temps.

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La photographie et la lumière sont néanmoins superbes. Les enfants sont atrocement attachants et Viggo Mortensen fascinant. La première partie du film qui retrace la vie de la famille en autosubsistance dans la forêt nous fait réfléchir : en serais-je capable moi aussi ? Quels sont les avantages et les inconvénients ? Qu’apprennent-ils qui me serait utile ? Finalement, malgré quasiment 2h de film, Captain Fantastic ne va pas jusqu’au bout de sa réflexion, ni jusqu’au bout des scènes humoristiques qui ponctuent brièvement le long-métrage. On aurait aimé que certaines scènes, certains dialogues soient plus développés, pour permettre une vraie introspection du spectateur, qui n’a de choix que de désapprouver l’égoïsme latent de ce père de famille obsessionnel. Matt Ross jette donc un petit caillou dans la marre. Une pierre aurait été préférable, et plus fantastique.

Captain Fantastic de Matt Ross avec Viggo Mortensen, George MacKay, Annalise Basso… En salles.