On a vu : “Manchester by the Sea” de Kenneth Lonergan

CRITIQUE – Troisième film du réalisateur Kenneth Lonergan, Manchester by the Sea est une véritable réussite. Un film à aller voir avec un petit paquet de mouchoirs dans la poche.

Ça faisait un certain temps qu’un film ne m’avait pas émue. Profondément émue. Et troublée. Manchester by the Sea a rattrapé des mois de disette cinématographique. Haut la main.

Un drame familial banal

Manchester by the Sea raconte en 2h – presque de façon contemplative – l’histoire fraternelle et familiale de Joe (Kyle Chandler) et Lee Chandler (Casey Affleck) sur une vingtaine d’années. Deux frères complices, que la vie décide de ne pas épargner. La narration fait des bonds entre présent et passé, entre tragédie et monotonie.

On apprend en effet très vite qu’après quelques années de bataille contre une incurable maladie cardiaque, Joe est finalement décédé. Isolé à Boston, Lee qui menait une vie éteinte d’homme à tout faire/plombier, est alors contraint de revenir à Manchester, petite ville maritime du Massachusetts d’où il est originaire. Une ville qu’il a fui, il y a quelques années de cela. Deux personnes l’y attendent : Patrick, le fils unique de Joe et son ex-femme Randi (Michelle Williams). Du premier, il devrait, selon le testament de son frère, devenir le tuteur. Avec la seconde, il partage une lourde et déchirante histoire, responsable de son exil.

Des acteurs subtiles et humains, des personnages sublimés

Rassurez-vous, pas de mélo’ ni de pathos malgré un scénario “banal” sans forcément beaucoup de dialogues. La force de Manchester by the Sea réside dans la puissance du jeu des acteurs. En 2h, Kenneth Lonergan prend le temps de développer habilement les individualités de ses personnages, sans pour autant en faire de trop. Ce film est porté à bout de bras par l’incroyable Casey Affleck (Ocean’s Twelve, Gone Baby Gone, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford…) qui parvient à humaniser Lee, laconique américain wasp de classe moyenne, rongé par un cruel passé qui a anéanti toute joie de vivre. Un personnage peu complexe aux premiers abords, qui s’avère d’une grandeur intrinsèque exceptionnelle.

Le deuxième personnage fort du film est Patrick, incarné par le jeune Lucas Hedges. Pat pourrait avoir tout du cliché de l’adolescent américain de base : il joue au baseball et au hockey au lycée, vanne avec aisance, passe beaucoup de temps sur son téléphone, est guitariste dans un mauvais groupe de rock, mange des grands bols de céréales le matin, et jongle entre deux petites copines. Au-delà de ça, Pat a été bien éduqué par son père (sa mère, alcoolique, a très vite disparu du paysage…) et a régulièrement partagé d’agréables moments avec son Oncle Lee, qu’il apprécie énormément. Il nourrit également une vive passion pour Claudia Maria, le bateau de pêche usé et mal entretenu de son père. La mer et le large, leur échappatoire à tous les trois. Leur évasion de la misère ambiante.

Misère sociale, déchéance humaine et humour

Difficile d’expliquer par écrit la force affective de ce film. Pas d’effets spéciaux, pas de B.O. originale (quelques thèmes de musique classique de-ci, de-là), pas d’actions rocambolesques ni de paysages renversants. Les personnages sont le cœur et les poumons du scénario. Ce n’est pas pour autant un huis-clos rébarbatif, on rit souvent. La caméra n’est pas intrusive. Les plans pas oppressants. Manchester by the Sea pourrait s’inscrire sans peine dans une fresque sociale réaliste de la middle-class blanche nord-américaine. La déchéance humaine y est généralisée : alcool et violence (morale ou physique) sont presque banalisés.

Pourtant, on y a quand même trouvé une certaine sérénité, un déroulement à la fois intense et modéré pour se remettre des coups durs à encaisser. La prouesse de Kenneth Lonergan (plus connu pour son travail de scénariste sur Gangs Of New York ou Margaret) est d’être parvenu à exposer et exploiter les failles de chacun de ces hommes, car les femmes elles, sont délaissées au second plan, presque absentes, et peu fiables. Il y arrive brillamment, n’hésitant pas à sacrifier petit à petit les personnages auxquels on commençait à s’attacher.

Manchester by the Sea est un récit contemporain bouleversant qui ne manquera pas de vous faire rire entre deux bons gros sanglots. À (re)voir absolument.

Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan, avec Casey Affleck, Kyle Chandler, en salles.

À LIRE AUSSI >> On a vu : “Paterson” de Jim Jarmusch