Du sexisme dans la culture : mais où sont les femmes ?

On m’a quelque fois reproché d’écouter la musique ‘avec mes ovaires‘. Si la musique provoque des sensations, que ce soit au niveau de la tête ou des hormones, c’est une bonne chose, non ? Si je me rappelle bien Kim Foyley, paix à son âme, il disait qu’une bonne chanson c’est une chanson sur laquelle on puisse ou baiser, ou se défoncer. “Aucune alternative“. J’imagine que si mes hormones sont titillées à un moment donné, c’est peut-être parce que je considère qu’une chanson est bonne et pas parce que j’ai une furieuse envie de me faire sauter par le mec qui l’a composée ? Pardonne mon langage.

En fait, le problème, je crois, c’est que je suis une fille. Enfin, pour moi, ce n’est pas trop un problème. Au contraire, mise à part le fait de ne pas pouvoir pisser debout dans la rue ou d’avoir mes règles chaque mois, j’aime être une fille. J’aime avoir des seins, porter des décolletés, mettre du rouge à lèvres rouge pétants, collectionner les chaussures, passer des soirées à regarder des comédies romantiques à la con en pleurant comme une madeleine. J’aime aussi le cinéma, les films d’action, le foot, la formule 1, le sport, les expositions, dire des gros mots, jurer comme un charretier.. Et j’aime la musique plus que tout d’ailleurs. La musique, pas les musiciens. J’aime aller à des concerts trois fois dans la même semaine, j’aime acheter mes vinyles chez les disquaires, acheter des vieux livres sur le folksong. J’aime être une fille dans la musique, j’aime moins, en revanche, le regard noir qu’on me jette quand je me remets discrètement du rouge à lèvres durant un changement de plateau où celui dédaigneux d’un voisin de brocante quand je fouille dans un bac à vinyles. Je n’aime pas trop aussi les messages où je suis qualifiée de niaise parce que j’aime un peu trop un artiste, où celui qui me traite de connasse parisienne parce que je n’en ai pas trop aimé un autre. En fait, ça gène les garçons qu’une fille s’intéresse à la musique. Et, en règle générale, ça gène encore les garçons, les filles dans la musique et plus généralement, dans la culture.

Récemment j’ai feuilleté quelques enquêtes sur la place de la femme dans la culture en France et en Europe et j’ai bien déprimé : dans l’administration culturelle française, 82 % des postes sont tenus par des hommes. Sur les 24 opéras, en France, seul un est dirigé par une femme. À la SACEM, sur 12 admins, 2 sont des femmes… sur 70 scènes nationales, 20 ont à leurs têtes des femmes, dans les centres nationales de créations musicales, pas une seule et 13 % des SMAC sont dirigées par des femmes… Ça ne fait pas beaucoup… On peut continuer longtemps comme ça…

J’aime bien feuilleter Rock & Folk, il restera pour toujours mon magazine préféré de musique, mais je pleure de voir si peu de signatures féminines. C’est pareil quand on regarde à peu près n’importe quel titre spécialisé dans la musique ou la culture. On n’est pas là. D’ailleurs, selon un rapport du Laboratoire de l’égalité, la culture est l’un des secteurs les moins ouverts aux femmes… C’est drôle, parce qu’au lycée, les filières littéraires étaient celles où l’on retrouvait le plus de femmes, parce qu’elles “ont la fibre plus artistique et sensible”, nous dit-on. Alors pourquoi sont-elles si peu nombreuses aux postes importants : productrice, D.A, programmatrice, photographe de concerts, journaliste ?

Je suis tombée aussi sur un article qui parlaient des filles dans le journalisme musical : d’après les directeurs de publications et les rédacteurs en chef, c’est parce qu’elles n’essaient pas de se faire une place. Je pense surtout qu’à un entretien entre une fille et un garçon, le rédac’ chef prendra toujours le garçon. À compétence égale. True story. Je peux témoigner, sans doute qu’ils préfèrent rester entre bites.

J’ai aussi lu et entendu qu’une chanteuse dans un groupe de rock : c’est d’abord un atout charme. C’est le pantin qui ne fait que rabâcher les paroles d’un musicien torturé qui n’a pas les couilles d’assumer en public ses chansons, j’ai aussi entendu que c’est mieux si elle est le moins habillée possible pour attirer le plus l’attention (comprendre faire bander les garçons), et puis de toutes manières, vaut mieux pas qu’elle essaie plus car elle ne pourra jamais être vraiment prise au sérieux… Bah oui, hein, si la nana se met à poil c’est qu’elle n’a rien dans le crâne et qu’elle n’a pas trouvé d’autres moyens pour se faire entendre, disent-ils.

Et puis, j’ai jeté un œil sur les récompenses musicales, aux Victoires de la Musique, par exemple. Certes, en 2015 c’est une femme qui a tout raflé mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Depuis sa création, pour la catégorie album rock : 10 hommes ont gagné contre 2 femmes. Album de l’année : que des hommes. Chanson originale : 25 hommes, 1 femme… Et on peut continuer encore longtemps… Les récompenses ont toujours été très défavorables aux femmes.

J’essaie de comprendre la raison de cette quasi-invisibilité féminine dans le domaine culturel, mais c’est un mystère… On m’a parlé de la main-mise masculine, d’une sur-représentation des hommes dans les postes importants, d’une sous-représentation des artistes et modèles féminins historiquement parlant dans la culture, d’une connivence du club “mec”, le manque de légitimité(!!), et pire que tout, aucune prise de conscience de cette quasi-invisibilité. J’ai lu aussi que pour Natasha Le Roux, professeur au Conservatoire de Pierrefitte-sur-Seine : “Il n’y a aucune prise de conscience notamment des musiciens. Quant aux musiciennes, elles pensent que l’avancée de leur carrière ne dépend que de leur talent“. La chef d’orchestre Laurence Equilbey témoigne, elle, que “la principale difficulté à laquelle j’ai eu à faire face en tant que femme est celle d’être prise au sérieux ou considérée, l’inintérêt“. Pour l’actrice Blandine Pélissier : “Les femmes sont moins prises au sérieux et doivent davantage faire leurs preuves que les hommes“…

Pourquoi serait-on moins prise au sérieux ??

Je ne me suis jamais définie comme féministe. Parce que, à tort, j’avais l’impression que ça sonnait comme une insulte. Quelque chose de mal, de péjoratif. Et puis, plus je vieillis, plus je suis confrontée à ces inepties, à ces inégalités, à ces inégalités invraisemblables, ces batailles stupides d’hommes dominants et de femmes dominées. Je n’arrive pas à saisir pourquoi Michel et Michèle, à compétence égale, ne pourraient pas être traités de manière égale ? Je ne comprends pas pourquoi moi je ne pourrais pas avoir d’avis éclairé sur un sujet, pourquoi je ne pourrais pas écrire et parler, réfléchir sur la musique. Non, une femme n’est pas qu’un objet sexuel, non ce n’est pas un vagin, c’est aussi un cerveau, elle a aussi fait des études, elle sait réfléchir, elle peut faire la différence entre une basse et une guitare, elle sait qui est Blur, elle peut aussi bien te parler de Chuck Berry que de vernis, elle sait aussi bien lire une partition de musique qu’un homme, débattre de Larry Clark et Terrence Malick, elle sait compter et faire des budgets, elle peut être force de proposition, elle peut diriger des équipes, elle n’est pas obligée de se mettre à poil pour se faire entendre ou pour qu’on la regarde… Il serait temps de comprendre qu’une femme n’est pas qu’une Marie couche-toi là, que ses seins ne regardent qu’elle et surtout que sa tête fonctionne très bien. Non ?

WE SHOULD ALL BE FEMINISTS – CHIMAMANDA NGOZI ADICHIE

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