Albin de la Simone : “Je me trouve nul quand j’écris”

INTERVIEW – Il est l’une des plus belles plumes de la chanson française. Albin de la Simone était programmé au Festival Fnac Live 2017, pour un concert intimiste dans le salon de l’Hôtel de Ville. Rocknfool l’a rencontré.

Vrai ou faux : la chanson française, ce n’est pas de la variété ?

C’est faux. La chanson française fait partie de la variété et la variété fait partie de la chanson française. Moi, je fais de la chanson en français. Allez, je fais de la chanson française. Variété, dans ma culture, c’est aussi Dalida, Claude François et Julie Zenatti… Je me reconnais pas en tant qu’artiste dans cet univers-là. Je peux aimer ça, mais je fais des chansons en français, mais je ne me sens pas variété, Michel Drucker… tout ça.

Vrai ou faux : il faut être musicien avant d’être chanteur ?

J’ai dû mal à dire vrai ou faux. Vrai et faux… J’aurais bien aimé être débarrassé de ce que je sais de musique qui est un peu encombrant et qui empêche une espèce de spontanéité parce que je suis musicien avant. Et, en même temps, quel côté pratique de pouvoir m’accompagner. De ne pas être angoissé par le fait de jouer d’un instrument. Je connais des chanteurs qui ne sont pas musicien et ça les grise parfois. Pour ma part, avoir travaillé beaucoup pour d’autres personnes, ça m’a mis des doutes… Des doutes de ne plus savoir esthétiquement qui j’étais. J’ai joué du rock, du blues, de la musique africaine… Ça demande une vraie réflexion de se retrouver. Alors que si tu ne joues pas, tu vas plus vite à l’essentiel, je pense.

Vrai ou faux : les actrices ne sont pas forcément de bonnes chanteuses ?

Vrai, c’est très vrai. En revanche, elles peuvent être de grandes interprètes. Si la chanson n’est pas trop compliquée, si elles ne sont pas dans l’idée de faire de l’opérette comme certaines, dans ce cas-là, ça peut être superbes. Romy Schneider qui chante la chanson “Des choses de la vie” en duo avec Michel Piccoli, elle est hyper fragile, mais c’est tellement beau et sensible. Les actrices ne sont pas forcément de bonnes chanteuses, mais ça peut être vraiment très beau.

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Vrai ou faux : les majors tuent la musique ?

Non. Et oui, aussi. Ça a toujours été comme ça. Elles nourrissent et servent de partie visible à l’iceberg, elles tirent quelque chose tout en tuant et l’abîmant, en se comportant n’importe comment, en véhiculant quelque chose de fort. Dans les majors, il y a des trucs affreux pour de mauvaises raisons, mais il y a aussi de très bonnes choses pour de bonnes raisons. Mais il est vrai que dans leur comportement, il y a quelque chose d’assassin. C’est comme les supermarchés par rapport aux petits commerces. Ça permet de grossir les choses, et ce qui grossit tue ce qu’il y a autour, mais c’est comme ça pour tout et partout. C’est l’histoire de l’éléphant dans le magasin de porcelaine.

Vrai ou faux : il vaut mieux faire un album génial qui ne marche pas qu’un album mauvais qui cartonne ?

Complètement vrai (rires). Sauf qu’on aimerait bien réussir l’équation “album parfait qui marche”. Je suis sûr que je préfère être heureux de ce que je fais et que ça marche pour les bonnes raisons. Je connais des gens qui ont eu du succès avec des chansons qui ne leur ressemblent pas. Tu mets beaucoup de temps à t’en remettre. Il y a plein d’histoires comme ça dans l’histoire des tubes. C’est un vrai piège… Après on cherche quand même un peu le tube. Il faut chercher au fond de soi ce qui est le plus vrai et le plus honnête possible… c’est déjà archi compliquée, et espérer que là-dedans, il y a une ou deux pensées que l’on peut exploiter et ne pas en faire quelque chose de trop expérimentale pour pas niquer. Au niveau de l’écriture, il faut d’abord être très sincère. En tout cas dans ma catégorie, on ne peut pas tricher.

“J’ai signé dans ma maison de disque, parce qu’à l’époque tout le monde voulaient son chanteur francophone”

Vrai ou faux : il faut être dans un état d’esprit particulier quand on écrit ou compose une chanson ?

Moi, je me trouve nul quand j’écris. Les rares fois où je me trouve bien, je garde. C’est déprimant, parce que tu jettes des trucs que tu ne trouves pas bien. Ce que je montre, c’est le travail dont je suis satisfait. Ce sont mes costumes-cravates. Mais quand j’écris, je suis en pyjama, avec de la barbe au menton. Je le vis comme ça. C’est laborieux, mais je sais pourquoi je le fais.

Vrai ou faux : les Victoires de la musique ne servent à rien ?

Je ne crois pas. Après, il faut les réussir, réussir son passage ce qui n’est pas gagné. Mais, ça sert à quelque chose parce qu’il a toujours quelqu’un qui te découvre. Si tu passes dans un truc qui ne te ressemble pas du tout, il y a toujours une personne qui va le voir. Je me rappelle d’être passé aux Victoires de la Musique, le même soir que Christine & The Queens. Le lendemain, on ne parlait que d’elle. Elle est beaucoup plus télégénique que moi. La télé réussit beaucoup mieux à certain qu’à d’autre. Mais j’ai fait Ruquier, il n’y a pas si longtemps et ça s’est très bien passé, plus que les Victoires. C’est très variable, selon la manière dont ça se passe, devant qui ça passe. Tout ça est très utile, et peut-être que cela ne sert à rien mais dans le pire des cas, ça ne sert pas à grand chose. Mais ça ne peut pas nous desservir. Mais, une Victoire, c’est une super exposition, une retombée médiatique immédiate et un intérêt du public.

Vrai ou faux : on défend mieux la chanson française au Québec ?

Oui. Un grand oui. Tu as tout dit. Le public s’y intéresse plus, mais les artistes la défendent mieux. Mieux expliquée. C’est plus naturel et normal, j’ai l’impression. Et puis, il y a Pierre Lapointe. C’est un mec si complexe, et c’est la plus grande star de son pays. Ici, on a besoin de simplifier. Les gens complexes ont le droit d’exister, j’en suis la preuve, mais au Québec, on accepte plus facilement les gens complexes, contrairement à ici. Mais je ne me plains pas. Après, ils sont dix fois moins nombreux. C’est un petit marché. Mais c’est tellement valorisant de chanter au Québec. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est plus difficile de chanter en français, en France, contrairement à quinze ans en arrière. C’était la grande mode, avec Vincent Delerm, Bénabar. Moi j’ai signé dans ma maison de disque, parce qu’à l’époque tout le monde voulaient son chanteur francophone. Il y a un moment où l’on était à fond dedans mais aujourd’hui c’est un peu passé. Mais heureusement, il y a plein de jeunes groupes qui surfent sur les années 1980 et assument à fond le français.

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Vrai ou faux : les chansons les plus tristes sont les plus belles ?

Je crois oui. Ça me fait chier de le dire mais oui. Je vais te dire un truc qui va péter mon fond de commerce mais c’est plus facile d’écrire des chansons tristes que des chansons joyeuses. C’est plus intéressant, riche et nuancé. Mais, je n’écris pas forcément des chansons super tristes. Ok, “le Grand Amour” est triste à la fin, mais sinon c’est des chansons lucides et même parfois optimistes pour moi, ça permet aussi de vivre…. On peut être ému et touché par une émotion, on essaie de toucher un sentiment qui n’est pas toujours exposé. En tant qu’auditeur, récemment j’ai réécouté “Gloomy Sunday” de Billie Holliday. J’étais dans le métro, je la connaissais. J’ai commencé à écouter les paroles et je comprenais pas tout alors je suis allé sur un site pour les lire. On allait rentrer à Anvers, je crois, je suis sorti du métro pour continuer de lire les paroles dehors, pour avoir de la connexion internet. Je me suis assis sur un banc et j’ai écouté trois fois la chanson en lisant le texte. J’étais bouleversé.

Propos recueillis par Sabine Swann Bouchoul