Theodora : “J’aime bien l’idée d’être un personnage un peu froid”

INTERVIEW – Theodora, l’impératrice de la scène électro-pop française, nous parle création, cinéma et Demis Roussos, de quoi nous rendre tous complètement “Obsessional”.

Theodora on l’a vue sur scène derrière sa basse pour la première fois à l’occasion du Festival Les Femmes s’en mêlent. Elle accompagnait, avec Zoé à la batterie, Pi Ja Ma. Et puis on s’est vite plongé dans son projet solo, au nom franc et efficace, Theodora. Mi-impératrice immuable, mi-femme fatale, Theodora résonne comme une figure de puissance froide et envoûtante. Après un premier EP, Let Me In, avec lequel elle s’est installée sur la scène electro-pop française, elle sort en juin dernier un deuxième EP, Obsession. Une voix grave et suave, des rythmes faisant battre les cœurs à l’unisson, et des mélodies ensorcelantes, Theodora reste indétrônable.

À LIRE AUSSI >> On y était : LFSM #2 avec Pi Ja Ma, Itasca, Lowly, Vale Poher, Sóley

Rocknfool : Tu as joué de la basse pour Theodore, Paul & Gabriel pendant six ans. Est-ce que tu te souviens du moment précis où tu t’es dis “je me lance en solo” ?
Theodora : Il y a eu plusieurs moments mais je me souviens d’un hiver où on tournait beaucoup. On était donc beaucoup dans le camion, sur la route, et il fallait s’occuper. Je me suis mise à Spotify et j’ai écouté énormément de choses dont je n’avais pas l’habitude. J’ai réalisé que j’avais moi aussi envie d’essayer de nouvelles choses. Un copain m’a donné un clavier et j’ai commencé à chercher des sons. C’est devenu addictif. La première grille d’accords que j’ai trouvée c’était “Let Me In”. Le jour où j’ai réalisé que je pouvais faire une vraie chanson toute seule, c’était génial.

Quand tu étais petite, tu disais que tu ferais quoi une fois adulte ?
Pas de la musique. J’ai voulu être tenniswoman pendant un court moment (rires). Après j’adorais tellement le cinéma que j’ai voulu devenir scénariste. J’ai écrit quelques scenarii d’ailleurs, et j’ai bossé un peu sur des films. En parallèle, Theodore, Paul & Gabriel a commencé, et ce qui n’était qu’un hobby – la musique – a pris toute la place. J’ai fait ce choix de m’investir plus dans la musique, tout en me disant qu’un jour peut-être je reviendrai au cinéma.

“C’est très important pour moi que le son soit accompagné d’une image, qui n’est pas gratuite mais qui raconte une histoire.”

C’est souvent lié d’ailleurs.
Oui tout à fait, d’ailleurs, mes vrais chocs musicaux c’est souvent au cinéma qu’ils ont lieu. Les échelles de son propres à un réalisateur, qui choisit par exemple de mettre les sons graves en avant, je trouve ça passionnant.

À LIRE AUSSI >> Theodora, le son pop-électro qui rend obsessionnel

Theodora

Tu viens de sortir ton deuxième EP, Obsession. Lors de la sortie du premier tu avais dit “avoir expérimenté de nouvelles techniques d’enregistrement”. Quelles sont ces techniques d’enregistrement ?
Ce qui est certain, pour être plus honnête avec mon état d’esprit actuel, c’est que pour le premier EP, Let Me In, j’ai bossé avec Rémi Alexandre qui est un membre de Syd Matters (ndlr : et en solo sous le nom de Shorebilly). Pour, le deuxième, Obsession, je me suis retrouvée vraiment seule avec moi-même et je n’avais plus d’autres choix que de comprendre techniquement tout ce que j’avais à faire, et donc d’explorer à ma manière. Je n’ai jamais fait d’école de son, j’apprends sur le tas. Et ça m’allait assez bien de me retrouver seule, j’ai pu creuser mes spécificités et mes goûts tout personnels. J’ai simplement collaboré avec un mixeur, Étienne Caylou, qui est très important dans le processus. On s’est rendu compte qu’on avait plein de choses en commun, on avait le même rapport baddass au son, on avait tous les deux écouté beaucoup de hard-rock, ados (rires).

J’ai beaucoup écouté “From the 7th Floor”. Quelle est son histoire ?
J’ai commencé à l’écrire il y a deux ans, j’étais dans une phase un peu triste de rupture amoureuse. C’est une chanson d’amour un peu perdu, quand tu sens qu’il y a trop de choses qui t’échappent. Écrire ça m’a permis de contrôler quelque chose, de déposer mes émotions dans un texte et des accords. C’est devenu un peu obsessionnel de la jouer.

Zoé, qui accompagne Theodora sur scène aux percus, nous rejoint.

Comment s’est mise en place l’idée d’un duo sur scène ?
Zoé :
On a une amie en commun qui s’appelle Vale Poher.
Theodora : À l’époque on la connaissait très mal mais elle nous avait demandé de jouer avec elle, en mode jam. Elle nous a laissées toutes les deux dans le noir à faire de la musique.
Zoé : On ne se connaissant pas mais on lançait des trucs, on se répondait. Et puis finalement on était assez contentes d’avoir trouvé quelques pistes.

À LIRE AUSSI >> Release Party caniculaire pour l’ensorcelante Theodora

C’est assez éclectique ce que vous faites ensemble, y’a parfois un côté jazz dans la voix, de l’electro bien sûr, de la pop, un peu de tribal avec les percus. Qu’est-ce que vous écoutez secrètement et qui ne s’entend pas dans Theodora ?
Zoé : Moi j’aime bien Joe Dassin.
Theodora : Et moi je vais t’avouer que Demis Roussos est une de mes idoles. Cet homme m’inspire énormément.

Vous êtes très précises et pointilleuses sur l’enregistrement comme sur scène dans le son donné, et aussi dans l’image. Au niveau du son, comment se fait le passage du studio à la scène ?
Theodora :
Ce travail là je le fais justement avec Zoé. On n’a pas encore trouvé la technique ultime pour transposer l’enregistrement à la scène. C’est difficile avec la musique électronique de retrancher des pistes et des éléments, on risque de perdre cet aspect electro. Généralement on écoute toutes les parties : synthé, rythmiques, basses, en essayant de décider de ce qu’on peut enlever et de ce qu’on peut garder pour le live. Tout en essayant d’être à la fois fidèle et un peu différent.
Zoé : Le but est aussi d’avoir, sur scène, le dessus sur les séquences enregistrées qu’on lance. Pour qu’on ait l’impression de les gérer et de jouer avec les séquences qui restent en dessous, sans être écrasées par les millions de pistes.

“Porter une tenue de scène nous permet d’oser plus, d’être nous-même mais avec un degré en plus.”

Au sujet de l’image, vous avez fait créer une tenue de scène, qui vous a d’ailleurs donné bien chaud au Pop-Up du Label. L’esthétique est toujours très noire et géométrique.
Theodora :
Ce qui est sûr c’est que ce que je fais est assez mélancolique et un peu issu de la cold wave et de la techno minimale, de tendance assez dark. J’aime bien l’idée d’être un personnage un peu froid. Mais j’ai tendance à me sentir un peu plus lumineuse dernièrement. C’est en effet très important pour moi que le son soit accompagné d’une image, qui n’est pas gratuite mais qui raconte une histoire. Dès le départ j’ai bossé avec une graphiste qui s’appelle Laure Thonier, c’était elle tout l’esthétique du premier EP. J’ai un peu évolué avec le deuxième, dont l’image est plutôt hitchcokienne, à la Vertigo, ou Polanski, Répulsion. Toutes ces thématiques où tu perds un peu pied. Pour celui-ci j’ai bossé avec une graphiste, Flavie Briskmann et un photographe qui s’appelle Clément Vayssières.

Il y a aussi quelque chose du super héros dans le fait d’avoir une tenue de scène.
Theodora : Zoé, comme moi, on est un peu réservées dans la vie et ça nous aide beaucoup d’endosser ces combinaisons
Zoé : On se met dans un autre personnage, ça nous conditionne vraiment, même avant le concert. Il y a vraiment un truc qui se passe avec le fait de se changer.
Theodora : Ça nous désinhibe et ça nous permet d’oser plus, d’être nous-même mais avec un degré en plus.

Vous avez des petits rituels pour entrer ou sortir de scène ?
Zoé :
On s’échauffe un peu, et on boit un shot de vodka.
Theodora : Et un gros câlin aussi. Souvent on vient en autolib’, on est dans les embouteillages, on écoute RFM, on chante ce qui passe avec l’accent du Sud.

Quelle est votre obsession du moment ?
Zoé : La mauresque, c’est du sirop d’orgeat avec du pastis.
Theodora : Moi je suis en pause d’obsession. Pourtant je suis quelqu’un de très obsessionnel mais à cet instant précis là, ça va bien, je suis en vacances.

Propos recueillis en juillet 2017 par Jeanne Cochin.

Merci à Melissa.