Nouvelle expérience (réussie) pour The National

CHRONIQUE – C’est vendredi qu’est sorti le nouvel album de The National, I Am Easy to Find et nous nous sommes donc évaporés en une flaque de bonheur mi-mélancolique, mi-gorgée d’espoir depuis. Le paradoxe The National.

Après la première écoute de ce nouvel opus, on ne sait plus exactement si on a écouté un album ou une bande-originale ? Si l’on n’a vraiment écouté “que” de la musique ? Et dans ce cas, les images qui nous sont venues ne sont donc que des rêves, ou effectivement on a bien regardé un film ? On sait en tout cas dès les premières notes que l’on est avec The National, car leur son si singulier et puissant est omniprésent. Mais on a aussi été séduit par toutes ces nouvelles voix, féminines, aux propriétaires plus ou moins reconnaissables pour certaines. The National semble s’être transformé en un collectif, une espèce d’Arcade Fire ou Archive, et même si l’être humain a normalement du mal avec le changement, là, il nous est proposé de manière tellement naturelle que notre adhésion est immédiate.

The National est un groupe intelligent, “arty”, intello diront les médisants. Comprenez que vous ne les entendez pas à la radio, en tout cas, pas en France et pourtant leur dernier album Sleep Well Beast s’est glissé en haut des charts du monde entier et a emporté le Grammy du meilleur album de musique alternative début 2018. Le groupe a toujours expérimenté, s’est entouré du génie créatif d’autres comme Sufjan Stevens, St Vincent. Ce nouvel album promettait forcément encore de nouvelles expériences. Ils se définissent eux-mêmes comme une grande communauté et c’est donc tout naturellement que cette fois encore, ils ont ouvert leur porte à d’autres artistes.

Mais la nouveauté ici est que ceux sont les femmes qui ont la part belle. La merveilleuse Lisa Hannigan, Gail Ann Dorsey (collaboratrice de David Bowie), Sharon Van Etten, Mina Tindle, Kate Stables (This is the Kit) et même une chorale entière avec The Brooklyn Youth Choir. The National n’est plus un groupe que de mecs, même s’il faut le reconnaître, pour des américains, ils n’ont de toute façon jamais eu la virilité bien envahissante !

Un film ou un album ?

Pour I Am Easy To Find l’album s’est écrit autour de “chutes” de Sleep Well Beast sur lequel a pu commencer à travailler Mike Mills (auteur nommé aux Oscars dans la catégorie documentaire pour 20th Century Women et Begginners) alors que le groupe était en tournée. C’est lui qui est entré en contact avec le groupe pour proposer de travailler sur “quelque-chose” ensemble, sans connaitre, de son propre aveu, quoi que ce soit à la musique ! Ce qui n’aurait pu être qu’une collaboration pour la réalisation d’un clip s’est transformé en un véritable projet artistique complet. D’où cette sensation très cinématographique à l’écoute de l’album. I Am Easy to Find est donc autant un album qu’un court métrage, ayant Alicia Vikander pour premier rôle. D’où les voix féminines, le court métrage raconte l’histoire d’une femme, donc pour les cinq garçons il était simplement évident de s’entourer de femmes. CQFD.

Qui de l’œuf ou de la poule entre la musique et le film, l’un ne va pas sans l’autre, s’inspire l’un de l’autre, s’entremêle et interagit à l’infini. Mike Mills devint à cette occasion producteur artistique (première fois que le groupe laisse la production artistique de son album à un outsider), les membres du groupe lui laissant l’entière liberté d’intervenir, de chambouler leurs habitudes et leurs processus créatifs. Cette collaboration fructueuse offre à ceux qui la découvrent un cadeau précieux, une œuvre d’une grande humanité, un baume pour les coups durs, un ensemble de seize titres très cohérents, un véritable voyage, une expérience…

L’oignon qu’on épluche

Berninger considère que d’un album à l’autre il continue à éplucher le même oignon. Comprenez : à approfondir sa connaissance de l’âme humaine. Il considère Sleep Well Beast comme un plongeon à l’intérieur de son mariage, I Am Easy to Find plongerait lui de plus haut encore dans ce thème, mais en observant aussi les alentours avant de rentrer dans le sujet lui-même. Embrassant ainsi l’ensemble des autres thèmes périphériques : la découverte de soi, des autres, l’empathie, comment notre famille, nos amis, notre environnement nous habitent, nous influencent et nous définissent. Et ce qui peut paraître très abscons présenté ainsi, prend tout son sens à l’écoute de ces seize titres.

Qu’un album soit un tel projet en soit, va nécessairement le rendre difficile d’accès au grand public et bien sûr que chacun trouvera “ses” propres pépites dans les seize titres. Car oui, seize titres c’est beaucoup pour une écoute peu concentrée de quinze minutes sur votre trajet boulot-métro-dodo. S’il fallait vous conseiller certains titres plus que d’autres, l’évidence irait vers les deux premiers sortis ces derniers mois, “Hairpin Turns” et “Light Years” qui sont ce qui nous a été donné de plus sublimes à écouter depuis bien longtemps. Un couple qui se demande ce qui lui arrive pour le premier, tout en étant conscient de l’universalité de leur situation, l’impossibilité de laisser la brutalité de côté pour se parler et réparer. Puis dans le second, Berninger interprète ce type qui se rend compte de la beauté de son histoire (d’amour) alors qu’il la perd, la manière dont il ne sera jamais réellement proche de sa compagne, la manière dont on est seul malgré tout, on n’est pas “dans” l’autre. Ces thèmes servis par des mélodies d’une beauté imparable (qui peut résister à l’intro au piano de “Light Years” ?) font de ces deux titres, hélas placés en treizième et seizième position, les deux instants inoubliables de cet album.

Que pleuvent les paroles sublimes

Ensuite si vous souhaitez vous rapprocher de l’énergie d’un Arcade Fire justement, “Rylan” serait notre prescription. “You Had Your Soul With You” qui ouvre l’album et lance les premières harmonies que l’on retrouve ensuite dans les différentes collaborations qui s’enchaînent, devrait vous imprimer un sourire extatique sur le visage. Alors que comme à leur habitude, les paroles sont un total paradoxe par rapport à la rythmique et à la mélodie ! Tendez l’oreille et vous découvrirez les regrets d’un homme qui n’a pas su saisir ce qu’on lui offrait : son âme à elle sur un plateau. “Quiet Light” enchaîne dans la même veine avec cette fois-ci l’aveu de l’état dans lequel l’échec de votre histoire d’amour vous laisse, “Quiet light” doit se comprendre ici plutôt comme “darkness”. Les quelques paroles que vous attraperez au vol de votre écoute vous donneront juste envie de chialer, tant elles raisonnent, ce thème de la séparation étant universel en chacun de nous… Ce titre est typiquement The National avec sa montée en puissance par vague, ses cordes qui se terminent de manière abrupte pour laisser place à “Roman Holiday” qui après l’affolement de “Quiet Light”, nous ramène vers des contrées plus introspectives. Impossible de tous les passer en revue, faites-en l’expérience par vous-mêmes !

Introspectif est d’ailleurs le mot ici qui, une fois n’est pas coutume, définit parfaitement ce nouvel album de The National. Il faudra prendre le temps de l’explorer, de le laisser reposer, d’y retourner, pour en capter tout le génie et la manière dont sa beauté pourrait changer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, votre vie à son écoute…