John Moods & Jonathan Bree à la Laiterie : crooners aux antipodes

LIVE REPORT – Quand un allemand et un néo-zélandais se rencontrent sur une même scène, cela donne une soirée sous les étoiles de la dream pop.

Scène vide. Aucun instrument autre que ceux, à l’arrière, qui attendent bien sagement Jonathan Bree et son groupe. À quelques secondes du concert, on vient déposer et brancher un smartphone. Et voilà John Moods qui arrive. Une voix et un portable, voilà donc de quoi sera faite la première partie du soir.

Dream pop au smartphone

J’ai pensé à ce dernier épisode de Black Mirror, celui qui mélangeait justement pop star et technologie, musique et avancées techniques. Celui où je m’étais dit que je ne voulais pas d’un monde comme ça, rempli de concerts si peu incarnés, si peu habités, si peu vivants. Voir cet artiste chanter sur une bande-son pré-programmée sans instrument m’a donné l’impression de jeter un œil sur ce futur monde si peu désirable. J’ai eu peur, soudain.

Mais heureusement, John Moods a su peu à peu apaiser tout cela, à coup de dream pop lumineuse et cotonneuse. C’est un nuage de douceur et de joie sautillante qui nous a peu à peu enlacé, et une douce impression de voguer dans un film de Sofia Coppola délavé et passé à la moulinette super 8. Bien sûr, le tout aurait mérité un vrai groupe, des instruments à regarder, à entendre sonner, mais l’exploration sonore par arrangements numériques de cet artiste berlinois colle finalement parfaitement bien au moment. La musique de John Moods ressemble à une soirée d’été entre amis en 2019. Ça tombe bien, on en attend plein.

Danse nocturne et balade au clair de lune

Avec la sortie de Sleepwalking, j’avais découvert Jonathan Bree à la Route du Rock, où il avait remplacé au pied levé John Maus. J’y avais vu un groupe captivant, masqué, à l’imagerie à la fois surannée et terriblement actuelle. Même prévenue, l’effet est ce soir resté le même. Il y a quelque chose de fascinant dans ces masques blancs et cette volonté farouche d’évoluer caché de tout regard. Limiter les mouvements et les expressions, afin que rien ne transparaisse derrière ce tissu, confine à la performance, tant pour Jonathan Bree au centre, flegmatique, que pour les danseuses de part et d’autres (comment diable reprennent-elles leur souffle quand leurs lèvres restent scellées ?). Cacher son identité et transformer le concert en théâtre. Gommer les expressions et se soustraire à la personnification. Des enjeux qui, à l’heure actuelle, sonnent comme une prise de position.

Et pourtant, paradoxalement, il n’y a rien de revendicatif dans l’œuvre de Jonathan Bree. Rien d’autre qu’un droit à l’obscurité, à l’élégance soyeuse et mystérieuse d’une balade nocturne sous les étoiles. Sa voix profonde et chaude à la fois font de Jonathan Bree le parfait murmure aux oreilles. Il y a quelque chose de secret qui se joue dans ces concerts. Parce qu’on ferme les yeux et ce n’est pas dans la foule qu’on s’imagine, mais bel et bien évoluant entre des tentures dans une sombre soirée baroque et discrète. L’écran diffusant des clips en noir et blanc rappelant un autre temps n’est là que pour asseoir un peu plus, si besoin était, la position de crooner de l’artiste. Mais un crooner à qui on aurait enlevé toute velléité de séduire. Parce que si Jonathan Bree séduit, c’est presque malgré lui, et uniquement grâce à sa musique.

Écouter les yeux fermés

Le seul bémol qu’on pourrait apporter, c’est justement, peut-être, cet écran. Pendant un Sleepwalking, pendant un Fuck It, il y a soudain presque trop à regarder. Les masques, les danses, les mots qui défilent, les images… On pourrait presque regretter de ne pas voir cela effacé au profit de plus de “vrais” instruments, bien souvent remplacés par des enregistrements. On me fera remarquer que jouer ne doit pas être bien facile avec des gants blancs… Oui, c’est vrai, c’est un choix. Que Jonathan Bree et ses compères gardent leurs gants blancs tant qu’ils voudront. Parce qu’après tout, we can’t help falling in love with them. Et ce n’est pas un hasard s’ils sortent de scène sur ce doux refrain d’Elvis..