Laura Babin : “Je suis très instinctive dans la sensibilité”

INTERVIEW – À l’occasion de la sortie de son premier album, “Corps Coquillage”, rencontre avec Laura Babin.

Laura Babin et nous, c’est une histoire qui dure. Notre première rencontre s’est faite lors d’un brunch des femmes dans le milieu de la musique. La dernière, autour d’une pinte estivale dans Rosemont, quelques semaines après la sortie de son tout premier album, le beau Corps Coquillage.

Entre temps, il y a eu des concerts et des concours, dont les Francouvertes où l’on s’est laissé envoûter par son univers pop-rock raffiné et son timbre de voix incroyable. Aux Francouvertes, Laura Babin a aussi fait une rencontre décisive, celle de l’artiste Dany Placard, alors membre du jury, qui sera le réalisateur de son album.

“On ne se connaissait pas avant les Francouvertes, il a tripé sur notre performance et on est allé prendre un café. C’était très simple et naturel.” Pour Laura, c’est l’essence même de son projet, “ tranquillement mais sûrement. Et toujours très organique !”

Elle est heureuse et elle a de quoi l’être. Ce n’est pas donné à tout le monde de travailler avec Dany Placard. “C’est drôle car il est super terre à terre et très discret. Mais quand il se met à triper sur la musique, on dirait un petit gars. Ça bouillonne et ça rayonne !”. Ils discutent, mélangent leurs idées, écoutent des chansons ensemble puis, en studio, il la guide tout en lui laissant une grande liberté. “C’était vraiment agréable de savoir que je pouvais m’accoter sur son cerveau, ça m’enlevait un gros poids.”

Un album de terre et d’eau

Après deux EP écrits post-voyages, il était temps de se lancer dans un long jeu, plus introspectif, plus groundé comme on dit au Québec. Elle me parle alors de voyage intérieur à travers des textes plus personnels, couchés sur du papier lors d’une semaine d’écriture dédiée.

Je lui parle forcément de Rimouski dont elle est originaire, et qui ne cesse de revenir dans ses dernières entrevues. Même si elle a vécu plus longtemps à Montréal que dans le Bas-Saint-Laurent, la relation à sa région à travers le rapport à l’eau et le fleuve est important dans son album. “La maison dans laquelle j’ai grandi était en hauteur de la ville. On voyait le fleuve de la fenêtre de la salle à manger. Corps coquillage c’est un album d’eau.”

C’est aussi le nom de ma chanson préférée de son album. Épurée, intense et intime. Une chanson écrite entre sommeil et réveil, lors d’une sieste. “J’ai eu une idée de texte que j’ai noté rapidement sur un papier, et je me suis endormie.” Elle reprend ce papier lors de l’enregistrement de son album, essaye quelques accords et… miracle. “Ces moments-là sont comme des bénédictions. Cette toune vient me chercher et me faire du bien. Comme un vomis d’émotions, c’est tellement brut et vulnérable” avoue-t-elle.

Ils décident alors de la laisser telle quelle. Finalement, c’est cette chanson qui va donner son nom à l’album. “Ça résumait le message que je voulais donner à l’album : une force dans la vulnérabilité, une relation qui se termine, un cycle qui recommence, une reconstruction après une rupture…”

L’inéluctabilité des chansons d’amour

Elle le reconnaît, l’amour est un thème intriguant, presque inéluctable. “Pendant longtemps j’ai trouvé bien trop cliché de faire des chansons d’amour, ça me gossait (m’énervait ndlr), je me disais que jamais je n’allais écrire dessus. Puis des chansons sont arrivées sans que je m’en rende compte. J’ai juste assumé le fait d’en parler. Quelque part, c’était cathartique.”

Logiquement, je lui demande ce que ça fait d’écrire ses premières chansons d’amour. Elle me répond du tac-au-tac et rit : “C’est pas si pire que ça ! Elles sont juste rattachées à des histoires personnelles. En show, elles vivent d’elles-même !”

Elle précise : “C’est très moi, je suis très instinctive dans la sensibilité. Je vis les choses, puis après je me rends compte de ce que j’ai vécu. Donc oui, ça fait du bien d’assumer cette vulnérabilité-là.”

Un minimalisme apaisant

Corps coquillage est un premier jeu sincère, émouvant et brut. Avec ses aspérités et cette proximité qui nous fait sentir proches de Laura et de ses deux musiciens, au cœur du studio-cabane de Dany Placard.

J’avais besoin que ça soit simple et efficace, et ce n’était pas une question de coût en tournée. J’aime le côté minimaliste du trio que je trouve apaisant. Parfois je trouve ça angoissant lorsqu’il y a trop d’instruments à gérer. Je n’avais pas envie de rajouter des couches pour rien !”. Et elle n’a pas fini d’explorer cette formule qui lui plaît et lui sied.

C’est d’ailleurs en trio qu’elle est montée sur la scène des Francos de Montréal l’été dernier. Une belle reconnaissance, et une sacrée étape de plus dans sa carrière d’artiste émergente (c’est elle qui le dit). “Arrivée où je suis, on dirait que faire les Francos ça devient normal. Ce n’est qu’après que je réalise que j’ai quand même longtemps souhaité me retrouver sur une scène des Francos !”

La perfection et le lâcher prise

Lorsque je la rencontrais avant son passage aux Francouvertes l’année passée, elle me disait justement que c’était pour la scène qu’elle faisait de la musique. L’occasion de faire un petit suivi après sa nouvelle expérience de studio. “J’ai adoré faire le studio, mais c’est une période de grand questionnement. D’une certaine façon tu cherches la perfection, puis le lâcher prise, sinon l’album ne sortirait jamais. Et une fois que l’album est lancé, tu ne peux plus rien faire.”

Parallèlement, elle me parle ensuite des moments bénis sur scène, comme de son dernier concert estival, magique, dans une grange du parc du Bic, ouverte sur le fleuve. “On dirait que sur scène, tout est connecté et que tout fonctionne.” L’eau, la scène et Laura Babin. La magie opère.

Pour finir notre conversation, et alors que le soleil se couche, je lui demande rhétoriquement si une fille peut faire du grunge mieux qu’un garçon. Sa réaction ne se fait pas attendre. “Mais bien sûr !”. L’occasion de débrayer sur l’étiquette de rock grunge élégant qu’elle a décidé d’inventer et de s’accoler. “Tu peux aimer deux choses complètement opposées. Tu peux être pluriel, être plusieurs choses en même temps. Dans ma tête de petite fille, j’ai longtemps pensé qu’il fallait choisir alors que ça peut être flou, fluide et contrasté.”

Laura Babin est une artiste sensible, et vulnérable parfois, qui chante l’amour et le cycle de la vie. Mais elle est aussi une élégante rockeuse grunge qui joue de la guitare avec une coupe garçonne, des hauts voilés et ses premiers cheveux gris qu’elle laisse sur sa tête, parce qu’elle trouve ça trop cool. “Plus je vieillis, plus je me sens bien avec moi-même. C’est dur, mais c’est beau.” Des dualités, des adages, des fusions, tout se fond et confond chez Laura Babin. Mais c’est beau.

Propos recueillis par Emma Shindo