OrelSan : “Je ne me censure pas pour passer à la radio”
INTERVIEW – On a beau faire un blog de rock & folk, on adore le rap d’OrelSan. Quelle bonne nouvelle d’apprendre qu’il vient se produire à Montréal dans le cadre du festival Montréal en Lumière. Je saute sur l’occasion et décroche une interview. Hallelujah.
Rendez-vous avec Aurélien quelques heures avant son concert le vendredi 1er mars. Je le rejoins au Club Soda en plein après-midi médias. On se pose sur le balcon de la salle, et alors que je m’installe on discute du décalage horaire et des échanges universitaires. Une interview plus qu’agréable, 17 minutes trop courtes, le genre de celle qu’on aimerait toujours donner.
Rocknfool : C’est ta première fois à Montréal en Lumière, content d’être de retour au Québec ?
OrelSan : Carrément ! Je suis déjà venu à Montréal mais c’était aux Francofolies (ndlr. En 2012 au Club Soda avec Koriass). J’aime beaucoup la ville, les gens sont hyper cools. Je suis vraiment content d’être là. Bien que ça soit un peu court car je ne reste que trois jours (rires).
Pourquoi avoir choisi ce festival là en particulier ?
Je ne sais pas, on m’a invité, j’ai dit oui, c’est aussi simple que ça. En plus je sais qu’ici toutes les organisations sont mortelles. Demain c’est la nuit blanche, c’est vraiment un super festival.
Tu restes pour la Nuit Blanche ?
Ouais carrément ! J’suis là avec mon groupe, donc on va aller se balader. C’est que du fun !
C’est bin l’fun !
(rires) C’est bin l’fun ouais.
Tu viens te produire à Montréal alors qu’en France tu ne tournes plus du tout ?! Donc en fait ça te tenait à cœur de revenir ici ?
En effet je ne tourne plus qu’à l’étranger, j’ai juste accepté deux dates, Londres et Montréal. J’avais dit que je ne tournais plus car j’ai fait le tour de la France plusieurs fois. Je retourne cet été en festival. Je suis là pour faire le concert, mais j’aimerais bien développer aussi ma musique, travailler avec des artistes d’ici, car ça me fait toujours plaisir de voir d’autres choses.
Travailler avec des artistes d’ici comme Koriass donc, avec qui tu vas jouer ce soir. Il avait déjà assuré ta première partie, tu dois finir par bien le connaître. As-tu écouté sa chanson “St-Eustache” ? Car il y a un passage où il parle de toi (ndlr. “Ou bien j’pourrais rapper comme Orelsan et faire dans la provoc'”).
Il me l’avait dit, je le savais déjà. Il n’y a pas de pic dans cette chanson, bien sur que je le prends bien.
Au Québec on a l’impression que le rap est un peu moins bling-bling qu’en France. Tu te verrais t’installer ici et t’insérer dans le paysage musical québécois ?
Carrément. Après si je m’installe ça ne serait pas pour participer au paysage musical car tu sais j’ai plus de 30 ans. Donc qu’est-ce que tu veux que j’aille faire dans le mouvement hip-hop d’ici, c’est trop tard. Mais c’est vrai que m’installer ici ça serait avec plaisir.
J’ai entendu des journalistes avant qui te demandait de rapper sur le thème de “Montréal”.
Je ne ferai jamais de chanson sur Montréal, ce n’est pas possible, mais faire des chansons avec des gens d’ici, utiliser des expressions d’ici oui, ça me ferait plaisir. Ils ont une façon de tourner les phrases qui n’est pas la même, et du coup ça m’inspire de la même façon que lorsque j’écoute du rap américain.
Tu as fait des études de commerce, tu es d’ailleurs parti à l’étranger grâce à ça. En parallèle on peut parler de l’ambiance à Paris, très hype et très critique à tes débuts. Il y a toujours chez toi cette idée de partir loin, de distances, de voyages …
Je vais le faire c’est sur, c’est un projet. Je suis resté car je fais de la musique française, je m’inspire de ce qu’il se passe en France etc. Et puis je n’ai pas non plus les moyens de me barrer comme ça, je suis obligé de travailler tous les jours. Quand je bossais dans l’hôtellerie, avant de faire de la musique, j’avais justement comme projet de me barrer, soit à Montréal, soit en Chine. Après partir définitivement non, parce que j’aime quand même la France, j’ai mes potes là-bas, mais je me ferais bien un petit 6mois/6mois.
Parce que tu critiques pas mal le système français.
Oui, mais je vais me barrer, c’est sur que je vais le faire ! Je critique, mais tout le monde critique l’endroit où il vit. Parfois je vais dans des endroits que je trouve mortels et les gens me disent “ouais mais tu sais ici… “, si on ne critique pas il n’y a plus rien. De toute façon on dit que les rappeurs se plaignent beaucoup. C’est normal de se plaindre, et heureusement, on ne va pas être contents de tout. Même Paris, je critique, mais je suis content d’y être. Quand je vois des potes à moi qui viennent d’autres pays ils sont vraiment contents d’être ici, pour eux c’est la meilleure ville du monde, ça permet de prendre du recul.
Maintenant en France, tu as un nom, tu as gagné des Victoires de la Musique, tu fais partie du monde de la musique française. Tu n’as pas l’impression de faire partie de la musique populaire maintenant ?
J’aimerais bien, mon but a toujours été de faire de la musique populaire, mais en faisant ce que je veux, un “populaire” qui me plaît. Par exemple je m’en fous de faire Les Enfoirés, ça ne m’intéresse pas. Mais j’ai quand même envie de faire de la musique qui parle aux gens. J’ai grandis avec de la musique populaire, souvent mes artistes préférés ce sont des artistes mainstream. Je n’aime pas justement ce côté hype ou prétentieux de l’underground, même si je vais toujours aller découvrir de nouveaux trucs. Mais oui j’ai envie de faire partie de la musique populaire, et c’est dur d’allier les deux. Parce c’est dur d’aller dans certaines émissions, de savoir à quel moment tu franchis la barrière, à quel moment tu fais des sacrifices pour que ça marche ou que ça ne marche pas. C’est bizarre.
En parlant d’émission populaire où le passage est presque obligé, j’avais entendu La Fouine chez Ruquier qui confiait qu’il n’avait aucune envie de se censurer dans ses textes. Toi tu te censures pour pouvoir être diffusé ?
Non pas du tout. Souvent je trouve ça bizarre comme genre de questions parce en fait ce sont des clichés, comme la question commerciale. Ces débats sont un peu faux. Quand tu écris tu fais tout le temps des choix, tu te dis “tiens est-ce que je mets ça ? Est-ce que je ne mets pas ça ?”. Donc en gros tu te censures tout le temps. Si demain je fais une blague sur des handicapés ou autre, je ne vais pas le mettre dans mes textes parce que je vais trouver ça glauque. À moins qu’il y ait vraiment une raison… Bien sur mes refrains, ça ne va pas être “enculé de ta grand-mère”, même si ça ce n’est rien car si ta chanson marche, les radios vont la passer. Elles auront juste à biper ton mot. C’est une question de contexte
Donc je me censure sur certains trucs. Parfois il y a des trucs de mauvais goût, parfois je vais me dire “ce n’est pas le moment”. Mais je ne me censure pas pour passer à la radio, parce que je m’en fous. De temps en temps je vais peut-être pousser le bouchon un peu trop loin, et de temps en temps être un peu trop gentil, ça dépend de mon humeur. Par exemple je ne parle pas trop de religion dans mes textes, mais ce n’est pas dans un but de marché, c’est dans un but de faire un truc qui me plaît.
Je m’occupais justement de jeunes filles en centre de vacances qui chantaient tout le temps “La Terre est Ronde” qu’elles avaient sur leurs portables.
Ça me fait plaisir car depuis le début j’ai toujours eu envie de faire de la musique qui plaît. Je suis fan des Beatles, de Michael Jackson, de Gainsbourg, comme tout le monde. Je ne me compare pas du tout à eux, mais c’est quand même des gens qui ont fait de la musique populaire mais à leur sauce. Quand t’écoutes du Jacques Brel, t’es obligé de dire que c’est bien alors que c’est de la musique populaire.
Parlons de tes textes. J’ai remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup d’anglicismes ni de verlan…
Non c’est vrai, ça ne me ressemble pas. Dans la vraie vie j’en utilise plus que dans mes chansons. J’ai des potes parisiens qui vont utiliser des expressions de Paris, que je vais peut-être utiliser avec eux mais je ne les mettrai pas dans mes chansons. Il faut faire attention à ce que ça me ressemble, pour qu’on comprenne bien ou je veux en venir. J’ai aussi envie qu’on puisse écouter mes textes longtemps car certaines expressions se périment assez facilement.
Quand on écoute tes chansons pour la première fois, on se dit direct que tes textes sont sacrément violents. Alors que si on écoute bien ou qu’on se renseigne on comprend que tu endosses des rôles différents à chaque fois. Ça ne te pose pas de problème que certaines personnes qui tombent sur toi pour la première fois ne cherchent pas à mieux connaître ta musique ?
Je ne sais pas, ce sont des choses sur lesquelles je n’ai aucun recul, même si je fais en sorte d’être normal, de faire un truc qui me ressemble. Ça ne me dérange pas, au contraire j’ai envie de faire ce que je fais. Être populaire c’est cool, mais faut quand même garder une conscience de ce qu’on a envie de faire. Même en terme de rap, parfois je vais faire un truc, les gens vont écouter et se dire “c’est bizarre, j’aurais pas fait ça comme ça”. Je travaille beaucoup mes textes, les thèmes, je sais ce que j’ai envie de donner, et en général c’est quand même le fruit d’une mure réflexion, même pour dire une connerie (rires). Ça me ferait autant de chier de dire un truc trop mignon qu’un truc trop méchant.
T’as une chanson quand même “mignonne”, “je ne me censure pas pour passer à la radio”. Même si à la fin on se dit : “tiens c’est moi dans le métro”.
Je voulais rapprocher un fait de société chinois à moi. Car on fait toujours des chansons qui dénoncent la pauvreté, la misère mais sans s’impliquer. Et en même temps tu ne peux rien faire vraiment, tu ne peux pas sauver la vie de tous les gens dans le métro.
Tu ne satures toujours pas avec toutes ces questions sur “Sale Pute” ou “Suicide Social”, des années après ?
Non j’explique car je pense avoir raison. C’est vrai qu’il y en a certains qui sortent les chansons hors de leur contexte. Mais quand on me sort des trucs sur “Suicide Social”, c’est bête parce que la chanson dure six minutes, tu peux me faire dire n’importe quoi si tu n’en prends qu’un extrait. Et sans l’interprétation ça n’a plus non plus grand sens. Mais du coup non, je n’en ai pas marre : qu’on me pause une question dessus ou “pourquoi OrelSan ?” c’est toujours une question à laquelle je dois répondre.
Tu gardes toujours ton calme, c’est assez impressionnant.
Je sais pourquoi je suis là, on ne m’a pas forcé à venir, donc je sais que la personne en face de moi peut me poser n’importe quoi comme question. Je me sens assez à l’aise dans mes baskets, je maîtrise à peu près ce que j’écris, du coup ça ne me dérange pas d’en parler. Même quand je rencontrais des associations féministes et d’autres, ça ne me dérangeait pas d’en parler. Après quand certaines personnes sont bornées, comme ces gens qui voulaient faire interdire mon concert, je leur disais de venir voir le concert d’abord avant de l’interdire. Ils me répondaient que cela ne les intéressait pas. Dans cette situation là il n’y a plus de dialogue possible.
Tu avais dit de ton dernier album Le Chant des Sirènes que ce serait moins centré sur toi que ton ancien album Perdu d’Avance. Mais concrètement tu ne penses pas que c’est impossible de ne pas parler de soi dans un album ?
C’est quand même moins centré sur moi, il y a plus de fiction en fait. Le Chant des Sirènes est une chanson à la première personne, mais à partir du deuxième couplet on bascule dans la fiction, ce sont des trucs qui ne sont pas arrivés. “La Petite Marchande”, “Mauvaise Idée” ne sont pas sur moi.
Mais dans certains titres où tu parles de faits de sociétés dans le fond tu es concerné, ça t’a touché.
C’est vrai, mais mon premier album c’était “j’ai fait ça, j’ai fait ça”, “salut, no life”, “c’est ma vie”. Il y avait beaucoup d’éléments qui étaient “vrai” alors que le “Chant des Sirènes” c’est plus de l’extrapolation.
Un jour ça serait envisageable un album “Orelsan est content, la vie est belle, tout va bien” ?
J’aimerais bien oui, carrément mais c’est dur à faire. Après “la vie est belle” ça n’existe pas parce que c’est de la chanson, c’est comme un film, il faut qu’il y ait un élément dramatique à un moment sinon ce n’est pas intéressant. Un jour je ferais peut-être un album pour enfants, il faudra que je trouve un pseudonyme pour le coup (rires). Mais oui, c’est dans mes projets.
Tu parles dans tes chansons de panne d’écriture et de la pression que tu te mets. Ton prochain album ça donne quoi ? Tes projets pour 2013 ?
J’ai trouvé un moyen d’éviter la pression je prépare un album avec mon groupe Casseur Flowters avec Gringe qui est avec moi sur scène. C’est fun, ça va être des trucs rigolos entre potes, il n’y aura pas de dépression dans cet album-là (rires). Écrire à deux c’est plus marrant, on fait un travail beaucoup plus basé sur le flow. Et je commence à écrire mon album mais Le Chant des Sirènes tourne encore un peu et je suis encore en tournée cet été, donc je n’ai pas non plus de pression pour l’instant. La suite va être dure, mais je suis prêt.
Tu disais dans une interview aux Inrocks que le futur était une chose qui t’angoissait toujours. D’autant plus que là il va y avoir beaucoup d’attentes pour ton prochain album. Là actuellement tout va bien ?
Ça va, ça va. Pour l’instant. Il faut quand même que j’angoisse à un moment sinon c’est que je m’en fous. J’ai d’autres trucs que je veux faire à côté, je ne vais pas non plus faire du rap toute ma vie. Là ça va car je suis en période de défrichage donc c’est cool. Quand je verrai que ça ne va pas je me mettrai la pression et puis on verra bien.
Donc ça va recommencer. C’est une boucle sans fin !
Je n’ai pas vraiment échoué, donc quand je ferai vraiment un bide, là je me remettrai la pression.
Je le remercie, et il demande si je viens au concert ce soir. Je lui réponds “bien sur”. Sa réponse ? “Chanmé, super ça fait plaisir !”. Je rigole pour le verlan tandis qu’il doit s’échapper pour donner encore deux interviews avant son concert.
Une belle rencontre avec un artiste souvent jugé bien trop vite, et un mec hors du commun.
Propos recueillis par Emma Shindo