On a lu : “Tempête au haras” (éd. Rue de Sèvres)
Tempête au haras commence par la rencontre entre Jean-Philippe et un poulain, lors de leur naissance simultanée. Une double bénédiction pour les Goasquin, les parents de Jean-Philippe, qui sont chargés de s’occuper du haras Schmidt en Normandie. L’atmosphère s’alourdit lorsque l’on comprend la pression qui pèse sur les épaules des Goasquin. Cette famille en effet est « dans les chevaux » depuis des générations, et si la passion et le respect pour ces animaux les animent, ils ne remportent pas un franc succès sur les pistes. Ils ont besoin d’un cheval qui gagne, d’un « crack ». De plus, Jean-Philippe est un enfant difficile, qui hurle sans explication. Il est une grande source d’inquiétude pour ses parents.
Le petit garçon s’illumine pourtant dès qu’il est au contact des chevaux. Comme si les circonstances de sa naissance avaient scellé son destin. Le jour de ses cinq ans, son cadeau est de monter pour la première fois sur un cheval. Il a déjà tout d’un grand jockey, la posture, la hargne…
Un soir d’orage, alors que son père court à Vincennes, Jean-Philippe s’inquiète pour une jument qui vient de mettre bas. Il entre dans leur box, et la jument, qui prend peur à cause d’un éclair, renverse Jean-Philippe. Sa pouliche, Tempête, la suit et piétine le dos du garçon. Le constat est sans appel, Jean-Philippe ne marchera plus. Il doit alors faire le deuil de sa vie rêvée, mais c’est si douloureux qu’on se demande si lui et ses proches en seront capables. La seule chose qui parait lui faire relever la tête, à part quelques rares moments de bonheur familiaux, c’est l’espoir que Tempête soit le crack que la famille Goasquin attendait depuis toujours.
Je vous promets que je ne vous gâche pas votre lecture, ce n’est que le début de l’histoire, qui est tirée d’un roman du même nom publié chez l’école des loisirs en 2012. Je ne l’ai pas lu, mais j’imagine que comme Chris Donner a participé à l’adaptation BD de son roman, il lui est assez fidèle.
J’ai passé un moment très intense avec Tempête au haras. Accrochée aux pages, portée par la tension diffuse, j’ai vraiment eu le sentiment de « vivre » cette lecture.
L’écriture est sans concession, et le traitement du handicap n’en est que plus pertinent. Jean-Philippe est un petit garçon qui a dû grandir très vite, et même avant son accident c’est un personnage au franc-parler qui peut le rendre assez hautain. Ses mots sont très durs lorsqu’il évoque sa condition, mais peut-être que l’on arrive grâce à eux à toucher du doigt ce que l’on pourrait ressentir dans une telle situation.
Tous les matins j’ai envie de mourir. Demain matin je serai peut-être mort. Parce que c’est trop dur. Tout est trop dur. Injuste et dégueulasse.
Le dessin de Jérémie Moreau est loin d’être lisse lui aussi [on lui doit Le Singe de Hartlepool et Max Winson]. Certaines scènes sont floues, l’utilisation des couleurs détonne. Les animaux ne sont pas dessinés exactement de la même façon d’une case à l’autre et si ce manque de cohérence est surprenant parfois, son trait est rempli d’énergie ce qui rend le rapport texte/image très intéressant.
Une BD classée en jeunesse mais qui peut plaire à tous les âges. À mettre entre les mains des amoureux du monde équestre, mais aussi celles de ceux qui aiment les histoires tragiques dans lesquelles l’être humain déploie des forces insoupçonnées pour combattre les situations injustes.
► Tempête au haras, scénario par Chris Donner et dessin de Jérémie Moreau, éditions Rue de Sèvres, octobre 2015, 14 euros
Émilie Boujon