On y était : Feu! Chatterton au Trianon
Feu! Chatterton. C’est peu dire qu’on les attend au tournant, eux dont l’album a été quasi unanimement salué, eux qui sont censés réunir dans un même élan Léo Ferré, Lautréamont, Bashung et Radiohead, eux qui incarnent le renouveau toujours éternel ou l’éternel toujours renouveau, on ne sait plus, du rock français, eux dont le nom s’est échangé depuis plus de deux ans comme un sésame parmi un public averti et lettré et a conquis par cercles concentriques des amateurs de plus en plus nombreux. C’est peu dire aussi qu’un concert dans une salle parisienne en cette fin d’année – le Trianon, un vendredi 11 décembre – n’a rien de léger, rien d’évident, que les regards échangés dans la fosse portent en creux l’inquiétude et une forme de reconnaissance tacite et chaleureuse – tu es là, je suis là, nous aurions pu, mais non, vivons et aimons-nous.
Alors, ils commencent sur la pointe des pieds, comme un peu dépassés par la salle, par la ferveur présente. Le chanteur, terriblement habité, jette des regards anxieux et a la voix fragile et le rire nerveux. « Ça fait du bien de revenir à Paris, chez nous », dit-il en substance, et on sent que ce bien-là doit se gagner durement. Ophélie puis Fou à lier. On craint presque d’être déçus par le début de la prestation qui reprend les premières chansons de l’album de manière un peu trop fidèle. L’album est excellent, mais le spectateur de concert est exigeant et en demande toujours un peu plus. Et ça vient, oh oui, ça vient. Le déclic. Le moment où tout s’emballe. La mécanique bien huilée, la peur, l’ennui… balayés ! Il y a eu cette longue réminiscence de l’adolescence, À l’aube, qui a le goût des lendemains de soirée et des premiers bilans, incantatoire et vibrante. Les guitares se sont lâchées. Les musiciens se sont mis à bondir. Les gestes spasmodiques du chanteur – maigre hidalgo en complet veston, fine moustache de crooner de pacotille désuet et magnifique – ont attiré le regard, magnétisé la foule. Et le tube – car oui, dans cet album, il peut aussi être question de tubes – a suivi. Côte Concorde qui a fait tanguer le sol du Trianon, sans aller jusqu’à sombrer. La mort dans la Pinède. Puis l’incroyable Bic Médium, longue plage de ferveur amoureuse, véritable moment de grâce de la soirée.
On ne glosera pas sur le sens des morceaux, les paroles. Il y est beaucoup question de femmes, de lieux, de jeunesse, de poésie, dans une langue remarquablement taillée, qui ne s’offre pas aux interprétations faciles. Le chanteur nous invite donc à le suivre, les yeux bandés, à lui faire confiance, de destination en destination, avec toujours cet air faussement naïf, cette manière de dialoguer qui paraît parfois si intime (la salle devenant amante d’un soir ou de plus longtemps, qui sait). Et il y a un plaisir évident à être là. Une sensualité innocente et fraîche. Le premier rappel vient, conclu par La Malinche. Dans la lumière écarlate, les déhanchements n’ont plus rien eu de furtifs et c’est une salle debout, trépignante, hurlante « Et je reste à Paname ! oh oui ! oh oui ! » qui a exulté. C’était beau, tout simplement beau, de hurler ces mots en regardant ses voisins, complices. « Oh oui ! », « oh oui ! », explosion d’amour, de défi, pleine adhésion au monde et à l’instant.
Ils sont partis, souriants et en nage, laissant un public conquis, excité, tendu dans l’attente d’un retour. Et comme ces messieurs ont une élégance extrême et une délicatesse de jeunes filles, ils nous ont raccompagnés tout doucement dans la nuit parisienne. Une reprise épurée de Polyphonic Size, sur les traces de Dominique A, (Je t’ai toujours aimée) et une promenade mezzo voce dans Harlem, prière du soir.
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Caroline Pichon