Mistress America, le portrait d’une jeunesse trop vieille pour être insouciante et trop jeune pour les désillusions
CHRONIQUE – Quelques mois après moi après “While We’re Young”, Noah Baumbach signe “Miss America”, chronique sur la vie de ses trentenaires new-yorkais perdus entre désirs et réalité.
Un bon personnage de cinéma, c’est un personnage auquel on peut complètement s’identifier. Un personnage qui, à chaque scène, te fais dire “mais merde, c’est ma vie là”. Si tu es une trentenaire hyper-sous-active qui fait tout et rien en même temps. Qui passe son temps à faire des projets et ne pas aller au bout et qui s’auto-convainc que “non tu ne regrettes rien”, alors tu es sans doute un peu comme Mistress America. Brooke, dans le film. Une jolie blonde jouée par la géniale Greta Gerwig, si drôle et si pathétique en même temps.
L’histoire du nouveau film de Noah Baumbach (Frances Ha, While We’re Young), c’est celle de Tracy, une adolescente de 18 ans qui quitte son New Jersey pour étudier à New York. Choc des cultures. Elle entre en contact avec Brooke, sa future demi-soeur. Cette dernière s’improvise mentor pour la jeune fille et lui fait découvrir la vie de bohème de ces New-Yorkais qu’elle n’arrive pas à comprendre, ni à cerner.
L’insouciance perdue
Tracy est passionnée et intriguée par cette trentenaire faussement pleine d’assurance qui estime qu’il ne faut pas avoir peur, qui a des millions d’idées (une série, un show-télé, une ligne de fringue) mais qui ne les concrétise pas. Une fille géniale et nulle en même temps. Une fille overbookée, un peu artiste dans l’âme qui se voit un peu plus douée que ce qu’elle n’est vraiment. Bref, Brooke c’est toi, c’est moi, c’est un peu toutes ces trentenaires freelance en recherche permanente de soi-même et d’un but à sa vie.
Brooke vit dans un local, à l’origine commercial, qu’elle squatte, a un mec et ensemble, ils envisagent d’ouvrir un restau-salon-de-coiffure-salon-de-thé-garderie : le concept-store bobo typique qui ne peut naître que de l’esprit de ces hippies d’un nouveau temps. Le rêve de Brooke se brise quand le gars découvre, sur Instagram, qu’elle est un peu volage et qu’elle a roulé une pelle à un mec en soirée. Bref, totalement la connerie que toi tu aurais aussi pu faire, sur un malentendu, avec quelques verres de vin de trop dans le pif. Tout s’écroule pour la jeune femme, sous le regard fasciné de la demi-soeur, un peu écrivain dans l’âme (à 18 ans, on est tous un peu écrivain), qui décide de raconter ce naufrage. On n’ira pas pu loin dans le déroulé de l’intrigue, histoire de ne pas trop spoiler.
À travers Brooke, Noah Baumbach et Greta Gerwig ont parfaitement personnifié les errances d’une jeunesse qui ne s’engage pas, ou lorsqu’elle le fait, se prend douloureusement des portes en pleine gueule. Le futur, l’argent, l’amour, l’engagement : autant de thèmes qui effraient cette jeunesse trop vieille pour être insouciante et trop jeune pour les désillusions.
30 ans, c’est celui-là, le véritable âge ingrat. Mais Mistress America est loin d’être un film dramatique, au contraire. C’est avec humour, cynisme, douceur et second degré que les problèmes de cette jeunesse sans ligne directrice sont abordés. Avec humour, sur un style aussi rapide que la vie des New-Yorkais. Le film ne dure même pas une heure et demi et file à une vitesse effrénée, avec un piquant qui rappelle le style de Woody Allen. D’ailleurs, on compare souvent le jeune homme à son contemporain. Noah Baumbach mélange les styles, passant du film de campus au huis clos, au drame et à la comédie. Le tout, vu à travers les yeux d’une adolescente de 18 ans. Et, on n’est pas sérieux à 18 ans.
Mistress America, le 6 janvier au cinéma. Avec Greta Gerwig, Lola Kerwig, Michael Chernus, Cindy Cheung, Heather Lind.