On a écouté : “ANTI” de Rihanna
J’écris ? J’écris pas ? Je ne sais pas, ça craint de faire une chronique sur Rihanna, non ? Ils vont dire quoi les gens qui lisent ? Probablement se moquer. Oui, bon enfin, c’est Internet, il y en a forcément deux, trois, voire plus qui vont rouler des yeux et peut-être dire que tu as pété un câble et que la folie s’est emparée de ta tête. Ou peut-être pas.
Le fait est que j’avais terriblement envie d’écrire sur ANTI. La vérité même, c’est que j’aime beaucoup cet album. Merde, jamais de ma vie j’aurais pensé dire ça un jour de la musique de Rihanna. Rihanna, quoi ? De la musique outrageusement commerciale, tapageuse, faite pour s’insinuer dans tes oreilles quand tu n’en veux pas, souvent quand tu es dans ta voiture et que ta main a rippé sur NRJ, ou au supermarché quand la seule chose que tu voulais c’était acheter un paquet de céréales. Rihanna et sa voix trafiquée, ses beats insupportables, ses provocations à deux balles. En vrai, elle est tout ce que je déteste dans la musique. Mais avec ANTI, elle m’a prise au dépourvu.
Ce huitième album c’est l’antithèse de ce qu’elle a proposé les sept premières fois. C’est l’antipop dégueulasse de NRJ. D’abord, on se surprend à ne trouver aucun tube putassier ; Il n’y a pas non plus les trois singles sortis en 2014 : “FourFiveSeconds”, “American Oxygen” et “Bitch Better Have My Money” ont tous été des one-shots offerts entre deux albums pour faire patienter la fanbase. Une fanbase échauffée par tant d’attente (quatre ans, quand d’ordinaire la star sort un album chaque année) et par l’accouchement dans la douleur de cet album par Rihanna. Elle voulait frapper un grand coup. Pour ne pas souffrir de la concurrence avec la grande prêtresse des charts, Adele, elle a même différé la sortie d‘ANTI. Elle voulait sortir l’album dans la surprise, un jour de janvier, un peu comme Beyoncé, il y a deux ans. Tout était prêt. Elle avait même fait un selfie pour le montrer.
Et puis, tout s’est détraqué. Une brêle de Tidal avait mis en ligne l’album sans le vouloir. Le leak s’est retrouvé sur tous les sites de téléchargement illégal comme une traînée de poudre. Pour colmater la fuite, pas d’autre solution que de l’offrir gratuitement. Sur Tidal exclusivement pendant une journée. Un million d’heureux. Ou pas. En tout cas, une grande partie est décontenancée par ce qu’elle écoute. Rihanna a fait du nettoyage dans sa musique, qui se fait plus downtempo, plus urbain voir énervé (“Desperado”) moins trap, moins tapageur. Les touches électroniques ont été nuancées, la guitare électrique vrombit (“Kiss It Better) par moment, les influence reggae se font plus sentir (“Work”). Et Mazette, elle chante. Parfois elle crie à s’en péter la voix (“Higher”), mais on avait oublié qu’elle pouvait pousser la voix et assurer de longues notes comme pourrait le faire les chanteuses de r’n’b type Beyoncé. D’ailleurs on pense à elle sur “Close to You”, chanson d’amour tout miel tout sucre post-rupture.
Elle joue avec ses influences, se montre plus vulnérable (“Woo” en feat avec Travis Scott), tente même un très joli slow qui trouve sa source dans la musique des années 1950 (“Love on the Brain”) et s’aventure littéralement sur le terrain de Tame Impala en reprenant un des titres du groupe. À l’identique. C’est bizarre de voire “New Person”, “Same Old Mistake”s. Entre les Australiens et la Barbadienne, il y a deux mondes de différence… Ceci dit il n’est pas rare que des groupes indés se lancent dans des reprises de chanteurs/chanteuses mainstream alors pourquoi devrait-on empêcher ces derniers d’emprunter le pont qui les sépare ?
À vrai dire, il est très bon cet album mais il semblerait que les ventes soient désastreuses. Selon le NME, elle n’aurait vendu que 460 exemplaires de cette galette la première semaine et ne devrait sans doute pas dépasser les 130 000 ventes à la fin de la deuxième semaine d’exploitation… La faute à la gratuité proposée dès la première journée. Cependant, cela me fait penser que Jay-Z ne pleurera pas cet échec là, car le manque à gagner à déjà été comblé par un très juteux contrat scellé des semaines auparavant avec Samsung. En gros, l’album n’était peut-être qu’un leurre, un beau coup de pub pour sa plateforme qui ne décolle pas depuis son lancement en 2015. Avec l’exclu, les abonnements à Tidal ont explosé. Mais pas sûr que tous resteront. L’album étant alors pour du beurre, Rihanna a pu faire ce qu’elle voulait. Elle a écrit d’abord. Pour la première fois, elle est créditée sur toutes les chansons sauf la reprise de Tame Impala, logique. Du coup, elle en a profité pour règler ses comptes avec “Consideration”, qui débute sur un joli sample de Common (“Be, intro”) : “Will you ever respect me ? Why you ain’t never let me grow?” Moins de merde donc, elle laisse même son charmant accent de la Barbade chanter, celui qu’elle masque en général pour faire plus américain.
Cet album me fait alors penser à Miley Cyrus. Fin 2015, elle avait offert elle aussi son album underground gratuitement. Un album réalisé, écrit, produit toute seule dans son garage à elle, sans que son label n’en sache quelque chose. Pour lui prêter main-forte, elle s’est associée à The Flaming Lips et accouché d’un album aux expérimentations psyché plus que séduisantes. Sans doute pour ces popstars que les maisons de disques manipulent comme des poupées, le salut de leur musique et de leur conscience artistique passe par d’autres chemins moins traditionnels, plus tortueux. Des albums qu’elles savent destinés à faire des flops si jamais elles les commercialisent tant ils sont éloignés de la merde qu’elles ont l’habitude de proposer mais, qui ont le mérite de montrer qu’elles aussi, peuvent faire de bons titres pop sans que cela soit putassiers.