“Love”, la sublime sitcom de Judd Apatow
SERIE – Qu’est ce que l’amour en 2016 ? Dans “Love”, Judd Apatow, connu pour ses nombreuses comédies, essaie d’y répondre avec tendresse.
Dans les années 1990, Seinfeld avait révolutionné les sitcoms et permis à Friends, How I Met Your Mother ou The Big Bang Theory de voir le jour. Le postulat de départ était toujours le même : une ville (New York/Los Angeles), des collocations et des groupes d’amis plus ou moins déjà créés. Nous pouvions passer du drame à la comédie, mais la mécanique et la narration étaient souvent analogues. Même si HIMYM est la sitcom à laquelle nous avons le plus accrochée ces dernières années, il manquait quelque chose : un sentiment de réalité. Nous ne nous identifions pas à 100% aux personnages.
Dans les années 2010, grâce à HBO et Netflix, le schéma des sitcoms a évolué. Bienvenue à Girls ou New Girl. Comme nous, elles ont su grandir et s’adapter à notre mode de vie de trentenaires. Le rire n’est plus suggéré par la série. La politique scénaristique se fonde sur la proximité avec la vie du téléspectateur. Et ce n’est pas Love, la nouvelle série de Judd Apatow, qui nous fera dire le contraire.
Après avoir binge-watché toute la première saison, je vais être honnête avec vous : il m’est difficile d’écrire sur Love tellement Mickey et Gus, les personnages principaux de la série, m’ont touché et ému. Pour être concis, Love est la rencontre parfaite entre 500 Days of Summer, New Girl, Girls et notre quotidien. Dès le premier épisode, les choses sont claires : l’Amour c’est peut-être mieux à deux, mais… c’est souvent la lose !
Gus et Mickey, c’est moi, c’est toi, c’est nous. Tout juste la trentaine, ces deux paumés vont s’attacher, se fuir, se construire une relation, mais surtout se détruire jour après jour.
Fraîchement plaqué par sa copine qui l’a trompé, Gus, c’est le mec genre pseudo-intello, le boulet par excellence qui jamais ne se tait, mais surtout, celui qui est sans cesse trop gentil avec tout le monde. Sa relation l’a détruit et son job de prof particulier pour enfant-acteur ne lui redonne pas le sourire.
Pour Mickey, c’est elle qui détruit (sans forcément le vouloir) ses proches. Accro à l’alcool, à la drogue et au sexe, elle vient de rompre avec Éric, un beauf toxico qui préfère habiter chez sa mère plutôt que de satisfaire sexuellement sa “partenaire”. À l’instar d’un Jack Bauer, tout ce qu’elle touche, elle le détruit malgré elle. Alors, ne comptez pas le nombre de beaufs qu’elle a pu détruire. Et, ne comptez pas ses jours où la déprime prend le pas sur ses addictions, un peu à la Carrie Mathison (Homeland).
C’est dans cette chute amoureuse infernale que Mickey et Gus vont faire connaissance. Certes, l’intrigue de départ est basique, mais Judd Apatow a cette magie, qui transforme le banal en génie. Son analyse des relations amoureuses en 2016 est admirable, mais tout aussi effrayante quand on y réfléchit, car terriblement réaliste.
- Qui n’est jamais tombé amoureux au premier coup d’œil et a su dès le départ que la réciprocité n’était pas vraie ?
- Qui n’a jamais voulu tout tenter, afin de s’attacher le cœur de l’autre, même si une barrière était présente ?
- Qui n’a jamais envoyé un SMS, un e-mail et attendu des heures pour simplement avoir une réponse, même un “Hey” ?
- Qui n’a jamais mangé un pot entier de crème glacée lors d’une soirée déprime, ou s’est enfui seul sous son lit pour retrouver le sourire ?
- Qui n’a jamais reçu une invitation à une soirée et lors de celle-ci, s’est senti tellement mal à l’aise, qu’il ne savait pas ce qu’il y faisait ?
- Qui n’a jamais passé des heures entières sur un profil Instagram, Facebook ou Twitter afin d’avoir des nouvelles de son coup de foudre ?
- Qui n’a jamais eu cet ami que nous avons souvent envoyé bouler, mais que nous n’aurions finalement pas dû, car il était peut-être la seule personne à nous comprendre ?
- Qui n’a jamais vécu une histoire d’amour à sens unique, une histoire d’amour qui nous à détruit, une histoire d’amour inexistante, une histoire de désamour ?
- Qui n’a jamais commencé une histoire, mais de peur de trop s’engager, à laisser fuir l’autre ?
Tout ce que Mickey et Gus vivent au quotidien, je l’ai, tu l’as, nous l’avons vécu au moins une fois. On pleure et on souffre avec eux. On a la boule au ventre. On tombe amoureux d’eux, mais on les déteste aussi. On a vraiment envie que tout fonctionne, alors que tout tourne à l’envers. Quand l’un va, l’autre pète un câble. Et puis, soudain, je me souviens des Poupées Russes de Cédric Klapish. En fait, l’amour c’est dans ce film qu’il est le mieux oralisé :
“C’est quoi ce bordel avec l’amour là ? Comment ça se fait qu’on devient dingue à ce point ? T’imagine le temps qu’on passe à s’prendre la tête là-dessus ? Quand t’es seul tu te plains : est-ce que je vais trouver quelqu’un ? Quand t’as quelqu’un : est-ce que c’est la bonne ? Est-ce que je l’aime vraiment et est-ce qu’elle m’aime autant que moi je l’aime ? Est-ce qu’on peut aimer plusieurs personnes dans sa vie ? Pourquoi on se sépare ? Est-ce qu’on peut réparer les chose quand ça part en couille ? Toutes ces questions à la con qu’on se pose tout le temps !… Pourtant on peut pas dire qu’on y connaît rien ! On est préparé putain : quand on est petit on lit des livres d’amours, on lit des contes, on voit des films d’amour ! L’amour, l’amour, l’amour !”
Putain d’amour ! Pourquoi tout est aussi compliqué et pourquoi on se sent comme une merde ? Pourquoi Mickey ne peut pas tout simplement être avec Gus ? Pourquoi je ne peux pas tout simplement être avec cette personne ? Bordel !
Outre la déprime amoureuse, Love n’en reste pas moins une sitcom comique. Et, on le sait, l’humour de Judd Apatow n’est pas tendre. L’incompétence de Mickey, ses trips sous drogue, sa coloc, la maladresse de Gus, l’élève de Gus (jouée par la fille de Judd Apatow), la caricature des plateaux de soap-opéra, la critique des séries actuelles et leur cynisme, tout y passe. Mais la scène la plus drôle, celle qui vous arrachera un fou rire d’humour noir, se trouve dans l’épisode 10, lorsque Gus répond sèchement à son élève : “I’m not Woody Allen, all right? I’m not this kind of people who hang out with people who are one-sixteenth my age”.
Autre scène marquante, dans l’épisode 7 (réalisé par Steve Buscemi) : la danse de Mickey et Gus, avec un piano magique jouant le magique Blister in the Sun des Violent Femmes. Et cette chanson marque l’esprit de la série, qui musicalement est une pointure. On y retrouve entre autres Wilco, Karen O, Survivor, Fool’s Gold, ou le rap des Beastie Boy et surtout de Biz Markle et son énorme Just a Friend.
Love est probablement la sitcom la plus réussie de ces dernières années. Les protagonistes sont détruits, nuls, ratés, mais qui sait, un jour, ils seront peut-être doués en amour. Vivement la saison 2 pour le savoir ! Et à ce moment, je pourrais alors vous parler plus amplement des fringues de Mickey, de mon amour pour cette fille dingue mais attachante, des conneries quotidiennes de Gus, etc. Là, je pars visionner, une nouvelle fois, tous les épisodes !
Love, disponible depuis le 19 Février sur Netflix.
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