On a vu : “Brooklyn” de John Crowley

Ça faisait longtemps qu’on n’était pas sortis d’une séance de cinéma aussi enchantés par ce qu’on venait d’y voir. Dans “Brooklyn”, le dernier film du réalisateur irlandais John Crowley, tout est parfaitement équilibré, à sa place et très joliment exécuté. Le film a même valu à Saoirse Ronan une nomination aux Oscars pour son intelligente interprétation du rôle principal.

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Dans les années 1940-1950, l’Irlande n’a pas grand-chose à offrir à sa jeunesse : les emplois se font rares, les possibilités de voyager sont minces, les nouvelles rencontres difficiles sur cette terre insulaire. Dès que l’occasion se présente, Eilis Lacey, jeune fille pleine d’ambition, saisit sans hésiter l’opportunité de s’installer à New York. On lui trouve un travail dans un grand magasin de luxe et une chambre dans une pension de femmes. Elle quitte, non sans quelque émotion, sa mère et sa sœur chéries pour la grande aventure. Le choc culturel lui promet beaucoup de surprises et de bouleversements.

Un drame romantique
“Brooklyn” n’est pas un drame, ce n’est pas non plus une comédie romantique, le film se situe entre les deux. L’intrigue repose sur une déchirure : l’émigration de la jeune Eilis qui implique une perte de repères, elle dira elle-même que son chez-elle n’est ni en Irlande ni aux Etats-Unis, mais quelque part au milieu de l’Atlantique. On y trouve juste ce qu’il faut de rire et de larmes sans tomber dans la lourdeur ou la niaiserie. Les scènes de dîner à la pension, où les cinq jeunes femmes se taquinent sous les yeux amusés de la maîtresse de maison, sont hilarantes et très fines. Le chant traditionnel qu’entonne en toute simplicité un pauvre irlandais pendant le repas de noël est sincèrement émouvant. On verse pas mal de larmes, mais on rit aussi (et on peut aussi pleurer en riant, parce que c’est si beau qu’on est envahit de larmes de bonheur, hé ouais).

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Le témoignage d’une époque
Derrière l’histoire d’amour, derrière les péripéties du déracinement, le film révèle la réalité d’une époque en mutation. Les années 1940-1950 sont marquées en Irlande par le manque de travail et la nécessité de quitter l’île pour de nombreux jeunes. New York connaît quant à elle une forte immigration italienne et irlandaise. Des deux côtés de l’Atlantique la progressive prise d’indépendance des femmes s’entame. Le décalage sur ce sujet, entre la petite ville d’Enniscorthy en Irlande et la bouillonnante New York, est clairement visible lorsque Eilis revient un moment au pays natal. Déjà lors de sa première traversée un rite initiatique de transformation avait été effectué : montrer son assurance, jouer de la coquetterie, fumer des cigarettes. L’émancipation de la femme américaine, d’abord très éloignée du quotidien de la jeune irlandaise, est très rapidement assimilée et propagée. Eilis apprend peu à peu à décider elle-même de sa vie, pas toujours facile quand le cœur balance entre deux pays, deux carrières, deux hommes…

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De la beauté partout
Ce qui est marquant avec “Brooklyn” c’est la beauté de tout : les personnages, rôles et costumes, les plans, les paysages et même le déroulement de l’intrigue brillent par leur beauté. Les personnages sont purs, seules quelques hésitations viennent asseoir leur crédibilité et leur intégrité.
L’image est ensoleillée, lisse, élégante. Le style des années 1950, couleurs pastel et look soigné, s’accordent à merveille avec le soleil de Coney Island, les larges plages irlandaises ou les rues colorées et mouvementées de New York (il semblerait néanmoins que le film ait été tourné en majorité à Montréal !). Quant au scénario subtile, on n’a rien à y redire. La progression est parfaite : une touche de surprise, une pincée de suspens, et un dénouement rassurant. Bref, on tourne autour du pot, mais la seule chose à retenir c’est : allez voir Brooklyn !

“Brooklyn”, de John Crowley, écrit par Nick Hornby d’après le roman de Colm Tóibín ; avec Saoirse Ronan, Emory Cohen, Domhnall Gleeson, et Julie Walters ; en salle en France depuis le 9 mars.