Little Green Cars : “Si tu fais de la musique pour avoir du succès, tu chuteras forcément”
J’ai longtemps considéré les premières parties de concert comme une pure perte de temps. En bien bonne inculte que j’étais. Et puis j’ai commencé à traîner plus régulièrement dans les salles parisiennes (à me faire traîner surtout), à accrocher avec quelques groupes par-ci par-là, et à apprécier découvrir des jeunes artistes, futurs talents de demain (ou non). En novembre 2013, c’est avec une excitation non-feinte qu’on rejoignait le Trianon pour un énième concert de Half Moon Run. En première partie : Little Green Cars. Un coup de foudre, vraiment. Une musicalité incroyable, du folk, du rock, des histoires, des harmonies à tomber… Tu sais, comme quand on te rabâches le cerveau avec la fameuse “quand tu tomberas sur la femme/l’homme de ta vie, tu le sauras immédiatement” ? J’ai pour ma part, immédiatement su que Little Green Cars ferait partie de mes groupes fétiches, ceux dont les chansons me font dresser les poils sur les mêmes cadences, ceux dont j’achète les albums physiques le jour de leur sortie, ceux dont je guette l’actualité avec assiduité… Little Green Cars et moi sommes compatible, ils représentent tout ce que j’aime dans le musique, ils personnifient ma perfection musicale.
Bref, autant te dire que quand j’ai reçu une réponse positive à ma demande d’interview, je n’en menais pas large. Ils ont beau être plus jeunes que moi, quand tu rencontres des personnes que tu affectionnes, tu as les chocottes et tu perds (très) facilement tes moyens. C’est au Pop-Up du Label pour leur première date parisienne après la sortie de leur deuxième album Ephemera que j’ai fait la connaissance de Stevie et Faye, à peine sortis de leurs balances. Ils sont d’abord très courtois, très pro’ bien que visiblement assez fatigués, puis carrément adorables, alors que leurs trois camarades patientent gaiement derrière nous, n’ayant pas à se plier à la contrainte de l’interview.
Rocknfool : Il vous a fallu 3 ans après Absolute Zero, votre premier album, pour sortir Ephemera, votre dernier album qui est rempli de doutes et de remises en question. Vous avez aussi déclaré qu’Ephemera parlait d’aller vers l’avant, de changer et grandir, c’est un peu une rupture marquée avec vos anciens vous non ? Est-ce une part de vous que vous souhaitez oublier ?
Faye : Je crois que c’est juste quelque chose qui s’est fait naturellement, car on continue de grandir continuellement…
Stevie : Je ne sais pas si c’est pour oublier, mais plus pour regarder les choses en face, comme une sorte de prise de conscience. Au lieu d’oublier, ça serait plutôt comment trouver le moyen de s’en sortir… Tellement de choses ont changé, tellement de choses sont arrivées à leur terme… et c’est tout ça qui figure dans cet album.
J’ai toujours adoré l’alternance entre vos deux voix, en plus de l’effet voix féminine-voix masculine et de toutes ces superbes harmonies en prime. Est-ce qu’on peut dire que cette singularité et signature vocale est la plus grande qualité, le gros point fort de Little Green Cars ? Ou est-ce que vous pourriez-vous vous en débarrasser avec le temps ?
Stevie : Sur cet album il n’y a pas autant d’harmonies qu’avant, car c’était juste quelque chose qu’on faisait quand on a commencé comme groupe, on était si jeunes et on avait toujours chanté ensemble. Ça n’a jamais été un gimmick…
Faye : Le truc c’est de bien cerner où en mettre, et où ne pas en mettre, pour ne pas saturer la musique avec des harmonies, car naturellement, nous on aime beaucoup chanter tous ensemble. J’aime aussi beaucoup cette alternance homme-femme, c’est cool car ça permet sans doute d’offrir de nouvelles perspectives comme groupe, de ne pas présenter qu’une seule proposition et ça, c’est intéressant. Donc oui, absolument, on va continuer. (sourire)
À LIRE AUSSI >> La (belle) session acoustique du samedi #6 : Little Green Cars
Little Green Cars c’est une entité de 5 personnes, mais vos textes sont toujours très personnels et racontent l’histoire d’une seule personne, souvent l’un d’entre vous. Ce n’est pas trop difficile de jouer, d’interpréter et de vivre l’expérience d’un autre ?
Faye : Bien que nos textes soient très personnels, ils peuvent s’appliquer et parler à toutes sortes de personnes, que ce soit l’un d’entre nous, ou les personnes qui nous écoutent. On souhaite vraiment que les gens s’y retrouvent également, on veut vraiment éviter que ça soit trop ego-centré. Tu sais on a tous grandi ensemble et on se connaît vraiment bien, suffisamment bien pour chanter les uns à propos des autres. Qu’est-ce que c’était la question déjà ? (rires)
Si ce n’est pas trop dur de chanter la vie d’un proche ?… Mais si c’est trop ennuyeux comme question, on passe, ne vous inquiétez pas…
Stevie : (silence) Non non ce n’est pas ennuyeux, c’est intéressant… Ce qui est le plus dur quand on écrit une chanson c’est de parvenir à le faire de la bonne façon, pour que les gens puissent s’y retrouver, comme s’ils en étaient l’auteur. C’est toujours quelque chose que j’ai aimé entendre les “je comprends ce qu’il raconte” et “j’aurais tellement pu écrire cette chanson”. (sourire) C’est pour cette raison que j’écris…
Faye : Par exemple, je chante un texte très personnel pour Adam, qui parle du décès de son père [Brother ndlr] et de la façon dont il a essayé de gérer ça avec son frère… c’était étrange au début, mais je l’ai pris comme un témoignage de confiance. Je suis vraiment honorée de pouvoir raconter son histoire, ses émotions… et je pense que les gens peuvent aussi se retrouver dans son histoire.
À LIRE AUSSI >> On y était : Little Green Cars au Pop-Up du Label
Dans une interview vous avez dit que vous vouliez “faire en sorte de rendre les émotions présentables au monde”… Il me semble que c’est de toi Stevie. Comment est-ce réalisable ? J’aimerais beaucoup savoir…
Faye : Je crois que tu en a parlé de manière générale, à propos du groupe, des émotions et du son, non ?… (sourire)
Stevie : Oui, les sentiments et les émotions sont les rois du monde en fin de compte… et tu ne veux pas faire de chanson moche. Mais parallèlement tu veux être le plus sincère possible vis-à-vis des paroles. Donc quand on compose, on réfléchit énormément aux textes puis à la musique, car les paroles définissent vraiment l’identité de la chanson, elles définissent toute la suite, et elles permettent de proposer ou non quelque chose de présentable.
Votre chanson « Clair de Lune » parle bien de la pièce pour piano de Debussy ? (ils confirment). Êtes-vous des amateurs de musique classique ?
Stevie : Mon père était pianiste professionnel… (sourire) il me disait toujours d’écouter “Clair de Lune” si je ne me sentais pas bien…
C’est une chanson très ironique n’est-ce pas ? Donc je me demandais quelles étaient les choses simples qui vous, vous rendent vraiment heureux.
Faye : Les chats ! (rires)
Stevie : Une bonne tasse de café ça me rend heureux.
Ok, ça c’est plus facile à trouver en tournée !
Faye : C’est juste que la dernière fois un chat est rentré dans notre chambre d’hôtel, il est resté avec nous et s’est endormi… Sinon oui, une bonne tasse de thé, que tu te fais toi même.
De nombreux groupes folk-rock s’éloignent à un moment ou un autre dans leur carrière, de leur ligne directrice. Quelle est votre remède pour poursuivre votre chemin sans céder à l’appel du mainstream ?
Faye : Je pense qu’il faut juste que tu continues à écrire et à arranger la musique comme tu le souhaites, il ne faut pas tenir compte de ce que te disent les gens autour de toi, tu vois ce que je veux dire ? Suivre les tendances musicales du moment pour avoir du succès… Je crois qu’il faut juste garder en tête ce pourquoi tu fais de la musique, ton identité… Il ne faut pas non plus prendre pour soi les critiques, et de la même façon ne pas prendre la grosse tête avec les compliments, tu fais de la musique d’abord pour toi. Si tu fais de la musique pour avoir du succès, tu chuteras forcément.
Donc, ne pas lire les critiques ?
Faye : Bon…tu peux les lire bien sûr ! (sourire) C’est toujours agréable d’avoir une bonne critique !
Stevie : Il faut que tu te souviennes pourquoi tu as commencé à faire de la musique au départ… c’est parfois facile d’oublier quand tu lis plein de belles choses sur toi. Il faut juste garder en tête les raisons qui t’ont poussé à démarrer ta carrière.
Vous avez une longue histoire avec les tournées, vous avez commencé très jeunes, et vous aviez dit que vous n’aviez pas la chance de choisir vos destinations. Quelle est votre relation avec les tournées, est-ce que c’est du travail avant tout ?
Faye : C’est vraiment une grande partie de notre travail en tant que groupe, d’autant plus qu’on adore vraiment le live et que les concerts c’est vraiment notre truc ! On ne choisit pas nos destinations car on ne connaît pas les salles ni l’organisation que cela induit (rires).
Avez-vous réussi à faire plus de pauses pour votre remettre d’aplomb ?
Faye : Oui souvent on a 2-3 jours entre chaque tournée, donc ça va. On rentre chez nous la semaine prochaine !
Stevie : Mais dès qu’on est chez nous, on veut repartir en tournée…
Faye : Ça nous démange !
Vous avez suffisamment de temps pour travailler sur de nouvelles choses quand vous êtes en tournée ?
Stevie : On essaye oui, mais c’est vraiment difficile de le faire en tournée… parfois on a quelques minutes sur scène avant les concerts mais bon…
Ça doit être contraignant de devoir écrire continuellement…
Stevie : On adore écrire, donc dès qu’on rentre chez nous, on se retrouve pour répéter, travailler et écrire de nouvelles choses…
Faye : Dès qu’on peut, on part à la campagne tous les cinq pendant quelques semaines pour composer.
À LIRE AUSSI >> On y était : Little Green Cars + John Mark Nelson au Cobalt
J’ai aussi préparé des questions moins sérieuses pour vous, des questions éphémères pour rendre hommage à votre album. La première est : si vous pouviez retourner dans le temps, quel concert voudriez-vous refaire, revivre ?
Faye : Hier soir, on a absolument adoré jouer à Cologne en Allemagne, c’est encore frais dans mes souvenirs. On ne savait vraiment pas à quoi s’attendre car on n’avait jamais joué dans cette ville, c’était complètement nouveau, inattendu, et complet ! On n’avait aucune idée de ce qui pourrait se passer… on a fait un bis, puis un deuxième bis, on a ressenti une vraie connexion avec le public, c’était super.
Stevie : J’approuve, c’était vraiment bien.
Si vous pouviez voler les super-pouvoirs d’un super-héros de votre choix, juste pour une journée…
Stevie : Seulement pour une journée ? Je crois que j’aimerais pouvoir respirer sous l’eau.
Faye : Ne pas faire les queues, genre j’aimerais n’en faire aucune. Ça, ça serait mon super-pouvoir pour toute la vie, sinon j’aimerais aussi pouvoir respirer sous l’eau, ça serait plutôt badass ! Quoi que je serais curieuse de pouvoir lire dans la tête des gens, mais c’est le genre de chose où tu ne peux plus faire marche arrière…
Stevie : C’est dangereux ! (rires)
Faye : C’est vrai que ça serait plutôt risqué de savoir ce qu’ils pensent véritablement de moi…
Si vous pouviez faire un featuring avec l’artiste de votre choix, vivant ou mort…
Stevie : Probablement Elliot Smith.
Faye : Elliot Smith également.
Si le Dieu de la bonne musique vous avez confié le pouvoir d’effacer de l’histoire la carrière de trois groupes ou artistes…
Stevie : Je ne pourrais pas… J’adore la musique, et j’adore les gens qui en font, même si je n’aime pas forcément leur musique. C’est génial de créer… Et je n’ai pas forcément à aimer toutes ces personnes, je les tolère oui (sourire). J’apprécie leur démarche et ce qu’ils essayent de faire…
Faye : Ok Justin Bieber, ok Miley Cyrus, et tous les “classiques” auxquels tu pourrais penser, c’est ok pour moi ! Je n’ai pas de… groove particulier pour One Direction par exemple, mais ils rendent des milliers de jeunes filles tellement heureuses ; personne ne voudrait leur ôter ce bonheur.
Stevie : Je me sentirais tellement mal de faire ça… (rires)
Faye : Je ne peux pas non plus !
Si on vous proposait de monter exceptionnellement la programmation d’un festival, comme un nouveau Woodstock, qui choisiriez-vous ?
Faye : Elliot Smith, Bowie… Qui d’autres ?
Stevie : Ça serait beaucoup d’hologrammes pour moi, un festival d’hologrammes !
Faye : Aussi A Tribe Called Quest… Ils ont cette chanson : Can I kick it? Can I kick it? Tu la connais forcément ! Il y a tellement d’artistes… Surtout dans notre groupe, on a tellement de références différentes de tous les genres, ça ferait un line-up vraiment étrange.
Si vous pouviez retourner dans le passé et vous donner un conseil…
Faye : Je me dirais juste “Relax ! Relax, tout va bien se passer !” (Stevie rigole)
Stevie : (silence) Oui, de ne pas trop s’inquiéter de ne pas rentrer dans les cases, ne pas trouver sa place tout de suite n’est pas important…
Si vous pouviez vous téléporter n’importe où, pour 1 heure à partir de maintenant…
Stevie : L’Alaska ! (rires) J’ai toujours voulu y aller !
Faye : Où est-ce que je pourrais aller ? Pour 1 heure j’irais en Chine je crois, je n’y suis jamais allée, j’explorerais brièvement.
S’il y avait une question que vous avez toujours rêvé qu’on vous pose, mais que personne ne vous a jamais posée…
Stevie : Est-ce que tout va bien ?
Est-ce que tout va bien ?
Les deux : (rires)
Faye : Personne ne m’a proposé de repasser mes vêtements (sourire).
Propos recueillis par Emma Shindo (25 mai 2016, Paris).
Merci à Kévin, Lisa et au Pop-Up du Label.