Safia Nolin : “Faire du folk dans le bois c’est fini !”

INTERVIEW – On l’avait ratée lors de ses courts passages à Paris. Au Québec, Safia Nolin fait fureur, son nom est partout, tout le monde se l’arrache. La jeune femme, originaire de Limoilou (un quartier de la ville de Québec) a commencé sa carrière en chantant des reprises. Puis, elle s’est mise à écrire ses propres chansons, et à faire les premières parties de Yann Perreau, des soeurs Boulay, de Groenland, de Louis-Jean Cormier… Lors de sa participation au Festival international de la chanson de Granby en 2012, elle est approchée par Philippe Brault, producteur d’un certain Pierre Lapointe.

Limoilou son premier album de ballades déchirantes sort fin 2015 (Bonsound) et la jeune femme reçoit alors un flot de critiques unanimes et dithyrambiques. On a profité de notre passage au Festival d’été de Québec pour rencontrer Safia, peu de temps avant ses balances, pour son deuxième concert de la quinzaine à quelques pas du Parlement, le lendemain de sa première partie pour The Tallest Man On Earth. Rien que ça.

Tu t’es remise de tes émotions après ton concert d’hier ? Comment as-tu vécu ton retour à Québec ?
Safia : C’est drôle là ! Ça faisait longtemps que je n’étais pas revenue ici, une couple de mois, et tu as le fun de revenir, j’aime ça, j’suis attachée quand même…

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Tu disais avoir été très stressée à l’idée de sortir ton premier album Limoilou et aussi à l’idée de partir en tournée, notamment en France [en premier partie de Lou Doillon ndlr.] Est-ce que l’accueil que tu as reçu a été à la hauteur de tes attentes ?
J’avais pas d’attentes en fait, c’est juste que j’avais peur que ça soit négatif et puis tout. Je suis vraiment satisfaite là, je pouvais pas être plus contente je pense. Mais j’avais pas d’attentes, c’est ça la clé je crois !

As-tu pu prendre assez du recul via-à-vis Limoilou, ton premier album depuis sa sortie ? [en septembre 2015]
Ça fait pas assez longtemps là… Lentement… Ça a beaucoup changé en un an… Car ça va faire bientôt un an qu’il est sorti, et beaucoup de choses ont changé, comme le show, mes tounes ont changé, moi j’ai changé… Mais ça m’a tellement aidé, il est encore beaucoup proche de moi tu sais.

Qu’est-ce qui a changé dans tes chansons justement ?
C’est juste que maintenant tout se fait à deux, je suis en duo… Une fois on a eu un empêchement, et Joseph [son guitariste ndlr] n’a pas pu être là, j’ai fait un show toute seule, et mes tounes n’étaient plus pareilles… Pas que c’est meilleur maintenant – moi je trouve que oui là – mais j’ai évolué…

Ton album est terriblement beau. Le côté dépressif c’est assumé ?
Ouais là ! (rires) Vraiment, comme je suis pas timide, j’ai eu des moments très dark et j’écris de la musique dans ce but là, c’est vraiment la seule raison. Et c’est full assumé, et j’aime ça ! J’aime ça les trucs dark, tristes et mélancoliques, et c’est drette ce que j’ai fait.

Ça me fait penser à Pierre Lapointe avec son album Paris Tristesse, lui il informait son public dès le début de son concert que ça allait être triste du début à la fin !
Il fait plein de tounes tristes Pierre…

C’est tellement beau, et tout le monde aime ça…
Pfff, c’est fou ce qu’il fait lui… (sourire)

Il me semble qu’il avait dit de jolies choses sur toi non ?
Oh (rires) il m’a super gros aidée, vraiment appuyée.

Vous surfez sur la même vague un peu… La chanson triste assumée. Est-ce que toi tu crois que pour écrire des chansons tristes, il faut être quelqu’un de naturellement triste ?
Nan, mais il faut que la tristesse ça prenne… quand je suis triste je suis vraiment triste, ça me prend là… Je pense qu’il faut que tu sois un peu drivée par tes émotions, moi c’est ça ma vie tu sais, je vis des émotions positives et négatives mais c’est comme ça que j’écris ma musique.

Du coup tu as rassemblé tous tes problèmes, tous tes déboires dans un disque. Tu as aussi dit que tu trouvais ça super plat les moments joyeux…
Je haïs ça !

… donc quand ça ira bien dans ta vie, est-ce que tu continueras à écrire ?
Là ça va ! Oui, je continuerai, mais pour d’autres affaires. Il y a cette partie de ma vie qui était comme intense et pas belle : elle est finie. Mais il y en a d’autres… Il y a d’autres choses qui me dérangent et qui me rendent triste là… vraiment beaucoup (rires).

Donc ça va continuer à être triste ?
Il n’est pas question que je fasse de la musique pas triste !

Safia Nolin
Safia Nolin, place de l’Assemblée nationale du Québec (c) Emma Shindo

Cet album c’était un besoin pour toi de te livrer, de mettre ça à plat ?
C’est juste sorti tout seul, je ne me suis même pas rendue compte à quel point l’album il était deep. Genre pendant qu’on recordait c’était super intense et je me suis dit “oh fuck man, c’est vraiment intense”. Puis j’ai écouté l’album et j’ai fait : “shit !”. J’ai pas réalisé je pense et en même temps je suis contente que ça soit arrivé. Mais je me rends compte que le monde est comme ça, vraiment deep (rires).

La musique est-elle justement pour toi un moyen de guérison, quelque chose de thérapeutique ?
Straight up là ! Toutes les sortes de musiques ! Écrire et écouter de la musique c’est ça, c’est full thérapeutique.

Parce que justement certains artistes disent qu’à devoir chanter plusieurs fois par semaine la même chanson, finalement tu revis le moment douloureux dont tu parles à chaque soir, et que ça ne fait pas autant de bien que ça.
Moi admettons que j’écrive une chanson pour cette situation X, je la retranspose, comme je pense à autre chose qui me fait vraiment du bien. Je m’entends jouer, et je repense à ce que je dis, et je suis comme “et là ça fait tellement de sens maintenant dans une autre affaire”, christ ‘stie ça me fait du bien pareil ! Ma première toune, je l’ai écrite en 2012, et je l’ai jouée tellement souvent, mais je ne suis jamais écœurée. C’est sûr que le thrill n’est pas le même qu’au début, je ne suis pas comme “oh j’ai une vieille chanson que j’aimerais vous présenter”, ça fait quand même trois ans que je roule mon Limoilou shit (sourire), mais ça me fait toujours autant de bien, pour vrai.

Et tu penses que les gens qui t’écoutent parviennent à se retrouver quand même dans tes chansons qui sont très personnelles ?
Je pense que oui… Je pense que tu n’es pas obligé d’écouter que le texte, et tu n’es pas obligé d’écouter juste la musique non plus… Il y a du monde qui m’écrit des fois pour me parler des chansons, et j’ai vraiment aimé ça, ça m’a super fait du bien, c’est le truc qui me touche le plus.

Je trouvais qu’il y avait une sorte de décalage entre la Safia chanteuse, et la Safia femme dans la vraie vie. Sur scène ou quand on te parle, tu as l’air de quelqu’un de très assuré, alors que lorsque tu discutes au public pendant tes spectacles tu expliques que tu es morte de peur.
Ça vient avec le fait que j’ai décidé que je n’allais pas avoir de fun, et ne pas avoir de fun ça veut dire dire la vérité, et dire la vérité c’est que je suis akward et stressée… Des fois je repense à moi à Granby et c’est fou, je ne m’habillais pas comme ça là, je ne voulais pas… maintenant je m’en câlisse, je m’en fous en christ en fait ! Tu sais, j’en reçois des messages de gens qui me critiquent, je m’en tabernacle ! Et si moi j’ai envie de m’habiller de même ?! Genre j’ai envie, ça me fait du bien… des fois je suis gênée, des fois je ne suis pas gênée du tout…

Pour quelqu’un de stressé, monter sur scène c’est une épreuve affreuse non ?
Non c’est ça l’affaire, car c’est aussi la place où je me sens le mieux… Hier c’était fou. Avant-hier c’était fou, j’étais à Sherbooke… mais ça [elle me montre la scène du Cœur du FEQ, en plein air et gratuite ndlr] c’est tough. Jouer là-dessus c’est fucking tough et stressant, parce que je vois les gens, je vois s’ils n’aiment pas ça, c’est fou ! Sur une scène de même, mon stress est vraiment intense, hier [à l’Impérial en 1re partie de The Tallest Man On Earth ndlr] j’étais stressée mais c’était autre chose. C’était plus : “oh shit ça va être malade !” ou “oh shit ça va être de la merde” mais tu sais que ça va être intense tout de suite, c’est jamais plat !

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Est-ce que justement tu as des petites manies pour te préparer avant de monter sur scène ?
Pas assez ! (rires) Moi et Joseph on est sur le backstage et on est comme “ça va être le fun”, c’est un stand by 5, ça me fait chier car je hais ça attendre avant d’aller jouer car je fais des crises de panique. Je me souviens en France chaque fois ils venaient me chercher et me disaient : “c’est à toi dans 2 minutes”, c’était comme “tu vas tu faire une crise de panique ?” (rires).

Peux-tu me parler de ton artwork : ta pochette de disque est superbe, tout en délicatesse, et tes photos de promo à côté sont carrément décalées. C’est toi qui a monté tout ça ?
On a fait ça en équipe. Les photos de presse avec le doigt dans le nez, j’ai juste crissé mon doigt dans le nez au moment de la photo… Et j’aime ça ! Je suis écœurée en tabernacle de la personne qui fait du folk et qui est dans la forêt avec sa guitare. Moi je ne vais pas me trimbaler en forêt pour jouer de la guitare. Je mange de la poutine, je regarde des films, je chill avec mes amis, on ne va pas dans le bois là, c’est pas vrai ! Faire du folk dans le bois c’est fini ! Mais c’est ok le bois, j’adore la nature. En vrai je suis tannée, mais je vais aller en contre-sens, comme Miley Cyrus : je trouve que sa musique c’est vraiment pas bon, mais elle, elle est fucking nice, genre j’adore son marketing, pas qu’il ne soit pas réfléchi, mais il est comme le mien : whatever, soyez outrés ! Récemment j’ai reçu un message – parce que j’ai gagné le Prix Félix Leclerc : “Félix Leclerc aurait honte, pourquoi se mettre le doigt dans le nez ?”… Je suis comme : “sais-tu que Félix Leclerc est mort tabernacle ! Et pour vrai il n’en a rien à chier !” C’est fou…

Tu reçois quand même des compliments à côté de ça non ? Ta pochette avec ton petit orque est vraiment chouette. Pourquoi d’ailleurs avoir choisi cet animal ?
C’est juste mon animal préféré ever ! Je suis fascinée par ces animaux, c’est tellement intelligent ! Ça ressemble tellement aux humains, vraiment beaucoup, c’est la même affaire je te jure ! Je sais que c’est weird ce que je dis mais tu checkeras : étrangement il y en a partout sur la Terre, ils ne peuvent pas communiquer entre eux-autres s’ils ne viennent pas dans le même endroit, ils se ressentent, y’en a des plus jaunes, des plus blancs… pour vrai ça ressemble vraiment à nous-autres (rires) ! [on continue à parler de Blackfish, le documentaire sur les parcs SeaWorld ndlr]

Quelle serait ta collaboration de rêve, à part Drake !?
Drake ça aurait été fou ! Bon Iver ou Sufjan [Stevens]. Mais Bon Iver c’est dans mes rêves ! Hier dans le band de The Tallest Man il y a du monde qui joue avec Bon Iver, et j’étais comme pétrifiée de jouer devant eux-autres. Ils sont fucking bons ! Et à la fin ils regardaient notre show sur le côté de la scène, j’étais comme “woh-woh”, car jouer devant du monde que tu admires…

Une chanson que tu chantes tout le temps sous la douche ?
“Where Does My Heart Beat Now” de Céline (sourire). J’adore Céline, c’est des ostie de bonnes tounes ! J’ai fait une émission de télé et ils m’ont donné des billets pour aller voir son show en août, ostie que je capotais ! Je me sentais comme dans Oprah Winfrey, et ils ont commencé la phrase comme : “Céline, son équipe, sa gérance, t’offrent des billets”, et moi j’ai juste entendu “Céline t’offre des billets” (rires). [on continue à parler de la tournée mondiale de Céline et de la mort de René avec Safia et Geneviève, l’attachée de presse du festival, ce qui s’est dit dans cette discussion restera entre nous ndlr]

Est-ce que tu as une rumeur préférée sur toi ?
Sur moi ? Je ne sais pas du tout s’il y a des rumeurs sur moi… mais s’il y en a, elles sont toutes vraies (rires)… C’est une joke ! J’en n’ai jamais entendues, mais j’aurais aimé ça, crotte !

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Propos recueillis par Emma Shindo (Festival d’été de Québec, 10 juillet 2016).

Merci à Safia et à Geneviève R.