Philémon Cimon : “La musique permet de canaliser ses pulsions”
INTERVIEW – Signé sur le label Audiogram, Philémon Cimon fait partie de cette scène québécoise qui célèbre le français dans ses chansons. Un univers pop, rock parfois, qui place les mots, les jolis mots au premier plan.
VRAI OU FAUX : les artistes québécois sont moins complexés pour chanter en français que les chanteurs français ?
Je ne connais pas vraiment bien la scène française, mais c’est ce qu’on dit. Je ne me pose pas vraiment la question, dans le sens où j’essaie de mettre sur papier mon expérience personnelle et ce que j’essaie d’apporter à l’humanité comme on dit (rires). C’est ma langue plus émotive. Mais oui, on est plus nombreux à chanter en français au Québec. Mais je ne sais pas c’est quoi l’affaire.
VRAI OU FAUX : c’est plus facile de chanter en anglais ?
C’est comme deux instruments différents, chanter en français ou en anglais. L’anglais a plein d’accents toniques, du coup c’est plus rythmé. Ce qui est beau quand tu chantes c’est de faire en sorte que ça soit naturel. En français, il faut inventer un peu plus. Ce sont deux matériaux différents et ça reste de la création. Pour moi, c’est plus facile en français même si je parle très bien anglais, je pourrais moins m’amuser avec la langue. Je ne me suis pas posé la question de chanter en anglais ou en français. Mais plus jeune, j’étais un nationaliste. Je le suis encore d’ailleurs… Mais si je fais ça, c’est parce que je trouve ça beau et qu’il y a de l’espace. Tout n’a pas été fait en français. Je ne sais pas pourquoi en France ou en Belgique, on se cache derrière l’anglais. Après, c’est vrai que lorsque tu fais un genre de musique, très précis, parfois le français ça ne marche pas. Au Québec, il y a des chanteurs comme Jean Leloup qui ont adapté le français à toute sorte de style qui peut être typiquement anglais. J’essaie de prendre le même chemin.
VRAI OU FAUX : Céline Dion est le modèle de tous les artistes québécois ?
Je pense que c’est faux. Céline Dion c’est une grand divertissement. Elle fait bien son affaire mais j’ai l’impression de faire quelque chose de différent. Les buts ne sont pas les mêmes. J’essaie de créer une expression personnelle, je ne peux pas faire un si grand déploiement. Pour moi, c’est plus niché, plus précis. Quand tu veux chercher beaucoup de monde, tu dois polisser ta musique. Quand j’écoute Céline Dion, tout est poli, tout est bien fait, très carré, c’est admirable mais c’est plus proche d’un athlète olympique qui va chercher la performance. J’aime bien ce qui ne fonctionne pas. J’aime bien quand c’est sur le point de s’effondrer et le sentiment que tout ne tient qu’à un fil. C’est quelque chose qui peut être fascinant et c’est plus proche de la vie que j’ai envie de mener. Ce n’est pas une vie où tout est contrôlé, tout est connu d’avance. Je m’emmerde là dedans. Ma vision de la vie est faite d’imprévus. Comme pour mon premier album. C’était un hasard que je me retrouve à Cuba, c’est la vie qui m’a offert ça.
Tu ne te vois pas chanter à Las Vegas ?
(rires). C’est un business, il y a du monde derrière. Il y a des canons dans la chanson. Plus jeune j’avais plein d’ambition mais ce sont deux choses différentes : le succès commercial et la quête de l’artistique. Je n’ai pas envie de me rendre à tel ou tel endroit parce que ce serait bien pour ma carrière. Je ne recherche pas ça. Mais j’ai envie de chanter au plus de monde possible. J’essaie d’être courageux, de mettre des mots sur ce que je ne comprends pas. On est toujours devant des points d’interrogation, et je me sers de ça pour avancer.
“J’ai trouvé mon chemin dans la musique”
VRAI OU FAUX : tous les chanteurs sont narcissiques ?
Tous je ne sais pas. Mais la musique encourage au narcissisme. Et à la base, c’est un besoin de s’exprimer, et tu n’as pas trouvé ta voie dans la vie pour le faire. Plus jeune, j’avais du mal à m’exprimer, à faire sortir mes émotions et j’ai trouvé mon chemin dans la musique. C’est un peu étourdissant, ça rend malheureux le narcissisme, tu t’enfermes sur toi-même et l’inspiration ne vient plus. Il faut s’assumer dans la vie, de faire sa place et la musique permet de faire ça. Il faut un amour de soi qui permet de donner de l’amour aux autres.
VRAI OU FAUX : c’est plus facile d’écrire sur soi ?
Je me suis rendu compte que oui. Je parle toujours de moi mais ça n’a pas besoin d’être direct. Cela peut-être la description d’un moment de ma vie, d’une expérience. Et puis quand j’écris pour les autres, je demande qu’elles sont leurs préoccupations et j’écris à propos de ça mais selon ma vision des choses. J’estime que lorsque tu vas au plus profond de toi, pour parler de toi, tu finis par parler de tout le monde. C’est ma façon de voir les choses. Montaigne parlait de l’infiniment loin et de l’infiniment petit.
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VRAI OU FAUX : voyager aide pour écrire et composer ?
C’est vrai pour moi. Ça fait longtemps que je n’ai pas voyagé. Ça permet de prendre les choses avec du recul. Ce que j’apprends le plus sur moi c’est quand je sors des sentiers battus. Tu réagis différemment, tu es confronté à toutes sortes de situation. Et être confronté à l’autre, ça aide beaucoup pour la composition. Pour tout un tas de raison je voyage moins, mais je lis plus. Et j’ai l’impression que ça fait un peu le même effet, avec la barrière de la langue en moins. Apprendre une langue différente apprend aussi beaucoup sur soi, rien que de savoir quels sont les premiers mots dont tu as besoin pour t’en sortir dans un pays étranger.
VRAI OU FAUX : la musique sert de thérapie ?
Oui en masse. Mais si on veut une vraie, mieux vaut une grosse thérapie. Un show c’est une manière de canaliser toutes sortes d’énergie, les belles comme les pas belles. On peut les expulser. Il y a beaucoup d’amour mais beaucoup de violence aussi. Tout le monde a de la violence en soi et si j’avais pas la musique, je pourrait la retourner contre moi, contre les gens que j’aime. J’aime pouvoir avoir la musique pour canaliser toutes ces pulsions.
VRAI OU FAUX : les chanteurs sont des personnes sombres ?
On parle de choses qu’on n’est pas capable de faire. J’aime beaucoup John Lennon, il parle beaucoup de paix, c’est drôle parce que c’était quelqu’un d’assez violent et pas vraiment agréable. Mais il essayait de combattre ce démon-là. J’ai l’impression de combattre mes propres démons avec la musique. C’est comme une rivière avec un barrage, la création permet de surmonter le barrage.
Propos recueillis par Sabine Swann Bouchoul et Emma Shindo (21 juin 2016, Paris).
Photos : Emma Shindo