Emilie Plaitin : “Sur scène je suis quelqu’un que je ne peux pas être ailleurs”
INTERVIEW – L’énigmatique Emilie Plaitin, fascinée par l’imagerie Kennedy et Monroe, nous dévoile certains de ses secrets de conception. Pour cette interview, elle nous invite à l’hôtel, qui est aussi le titre de son dernier clip.
Emilie Plaitin est mystérieuse. Seuls quelques titres ont été dévoilés jusqu’à présent, “La Famille Kennedy”, il y a quelques temps, puis, plus récemment, “À l’hôtel” et “Palimpseste”. Une voix grave, presque parlée, raconte les grands mythes de l’Amérique des années 1950-1960. Naviguant entre le cinéma et la musique, elle présente sur scène un spectacle entier où ses histoires et sa musique rencontrent grand écran et jeux de lumières. On l’a rencontrée au printemps pour discuter de la construction de ce projet musico-historique.
Rocknfool : Ton dernier clip s’appelle “À l’hôtel”, et tu me donnes rendez-vous à l’Hôtel Grand Amour. Coïncidence ?
Emilie Plaitin : Je suis vraiment fascinée par les hôtels, depuis longtemps. Ce sont des lieux très cinématographiques. On peut y inventer mille histoires. Ce qui me plaît surtout c’est l’idée un peu tordue que, à partir du moment où l’on entre dans un hôtel, on peut être qui on veut. Si je te dis “je m’appelle Simone, je suis avocate”. Tu ne peux pas savoir que c’est faux.
Tu l’as déjà fait, inventer de fausses identités ?
Oui, mais pas en tant que Simone. Depuis toute petite j’adore raconter des histoires. Je me faisais un peu engueuler par mes parents parce que je mentais pas mal. Au début, ici, je voulais louer une chambre et t’y faire monter. Je l’ai déjà fait pour de la promo. J’ai fait faire des clés chez un vrai fabricant de clés d’hôtel. Il y avait un numéro sur une face et de l’autre côté, une adresse internet pour télécharger la bio, etc.
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Il y a eu un long moment d’attente entre “La famille Kennedy” et les deux derniers titres sortis au printemps, “À l’hôtel” et “Palimpseste”. Comment as-tu occupé ton temps ?
On m’avait contactée pour signer pour un album, et finalement ça ne s’est pas fait. J’ai investi beaucoup de temps pour pas grand-chose, le label a fait faillite. Ensuite j’ai tout repris toute seule, en auto-prod. La musique ça prend un temps de fou.
Sur scène ou dans l’écriture, je suis vraiment ce que je suis mais dans son expression la plus sensible.
Il a fallu réécrire, c’est d’ailleurs le principe du palimpseste (autre titre dévoilé au printemps), réécrire du neuf sur de l’ancien ?
On ne recommence jamais rien depuis le début, on ne fait que perfectionner, pour soi-même ou pour la musique c’est pareil. J’ai du mal à laisser des choses pas finies. Il y a un épisode de The Big Bang Theory où Sheldon se rend compte qu’il ne peut pas ne pas terminer les choses. Je suis un peu comme ça. J’ai voulu prendre le temps de faire deux titres dont je suis vraiment contente.
Tu disais que tu aimais raconter des histoires et prendre de fausses identités. Est-ce que Emilie Plaitin est un personnage ?
Un personnage non. En revanche, sur scène je suis quelqu’un que je ne peux pas être ailleurs que sur scène. J’ai l’impression que “personnage” a un côté faux. Sur scène ou dans l’écriture, je suis vraiment ce que je suis mais dans son expression la plus sensible.
Si on pousse ta personnalité dans ses extrêmes, qu’est-ce que ça donne ?
Je suis assez excessive. J’essaie de me soigner, je fais beaucoup de yoga. Je suis très contradictoire aussi. J’ai un côté à la fois très fragile et très fort. C’est ce que je tente de faire ressortir.
Comment ça se passe sur scène ? J’ai vu une vidéo où tu jouais devant des écrans, une vidéo est projetée et on ne te voit quasiment pas.
C’était pour les Muzik’Elles de Meaux, c’était un concert qui avait été fait dans un cinéma. Autant en profiter pour projeter des images. J’ai fait des projections autour de Marilyn Monroe, pas que sur elle mais sur l’Amérique en général. Donc là, forcément on ne me voyait pas tellement puisque c’était l’écran qu’il fallait regarder. J’aime bien les questions d’éclairage, quand je peux je fais avec, mais les salles ne le permettent pas toujours.
Tu as d’ailleurs d’abord été formée aux métiers du cinéma. Où en es-tu maintenant de ce côté-là ?
Ce qui me plaît le plus c’est de créer. Pour le moment, tout ce qui est audio-visuel me rapporte plus d’argent que la musique. J’adorerais par exemple faire un court-métrage pour lequel je composerais aussi la musique. Ou une comédie musicale, mais pas à la Notre-Dame de Paris. J’aime beaucoup Michel Legrand et les films de Jacques Demy. Je fais de la danse aussi et j’aimerais imaginer quelque chose qui mélangerait tout ça.
La création t’intéresse plus que la performance ?
Non je crois que c’est un tout.
Dans les deux clips dévoilés, tu as un débit de parole très parlé. Est-ce que le but c’est de raconter des histoires ?
Je n’ai pas pensé à ça. Au départ j’ai pris une boîte à rythme et quand je trouvais un son qui me plaisait j’essayais de mettre mon texte par-dessus. Mais comme ce sont des textes, toutes proportions gardées, avec beaucoup d’images plutôt poétiques, ça a tout de suite fait un truc un peu bizarre. Mais oui, j’aime bien raconter des histoires.
Tu as dit aimer Marilyn Monroe, Marguerite Duras et Pina Bausch parce qu’ « elles ont la capacité à exprimer leurs désirs ». Est-ce que c’est aussi ce que tu cherches à faire à travers la musique ?
J’imagine que la musique, quand elle est bien faite et avec sensibilité, c’est à ça qu’elle sert. La question du désir des femmes a mis plus de temps pour se retrouver au milieu des arts et des médias. Mais j’ai l’impression que depuis quelques années ça change. Avant, il y a eu toute une génération de filles qui chantaient des chansons écrites par des hommes. Marilyn a aussi quand même été sacrément victime de l’industrie dirigée par les hommes, notamment d’Hollywood, et du regard des hommes en général.
On ne devrait plus avoir à devoir être féministe.
Est-ce qu’en étant une femme artiste, tu ressens l’obligation, l’envie ou le besoin d’incarner une figure féministe ?
Je ne comprends même pas qu’on en soit encore là. Lana Del Rey a dit quelque chose de très intelligent. Elle a dit qu’elle n’était pas féministe, car elle était déjà ailleurs. On ne devrait plus avoir à devoir être féministe. Mais aujourd’hui il reste encore de nombreuses et concrètes inégalités.
Avant d’écrire tes textes tu fais des recherches ? “La famille Kennedy” semblait presque être un documentaire historique.
Et bien oui. J’ai été vraiment très inspirée par un documentaire : Marilyn, dernières séances (Patrick Jeudy, 2008), sur ses dernières années psychanalystes et un deuxième sur la famille Kennedy (Jacky Kennedy: What Jacky knew, Patrick Jeudy, 2003). J’ai lu aussi des bouquins sur le thème. Moi je ne suis pas vraiment musicienne ou instrumentiste de formation, donc je passe d’abord par les mots plutôt que par les notes.
Qu’est-ce qu’il va se passer dans les mois à venir ?
J’aimerais bien préparer quelque chose d’un peu plus électro pour la scène, une version plus minimaliste. J’aimerais aussi produire quelques titres en attendant l’album.
Propos recueillis par Jeanne Cochin en avril 2017, à l’Hôtel Grand Amour, Paris.
Merci à Maxime Pascal.