Orē : “Je veux qu’on s’enjaille sur la langue française”
INTERVIEW – Deux clips, un EP qui s’apprête à sortir et une release party annoncée le 13 mars, tout semble rouler pour Orē. Retour sur les débuts du projet.
Depuis la sortie de son premier clip, “Agence matrimoniale”, en février 2018, Orē a fait son petit bonhomme de chemin, écumant les salles françaises, s’illustrant avec brio sur les tremplins musicaux, et préparant la sortie de son premier EP. Aujourd’hui, un an plus tard, un deuxième clip tout aussi remarquable et remarqué à son actif, la jeune femme s’apprête à monter sur la scène du Pop-Up du Label pour la release party de son EP (attendu pour le 22 mars). Cette courbe “exponentielle”, comme elle la définira, est aussi le résultat d’un temps long de réflexion et d’apprentissage sur le tas. C’est ce qu’elle nous confie lorsque nous nous retrouvons au bar, le 100 kilos.
Rocknfool : La première fois que j’ai entendu parler d’Orē, c’était il y a un an, pour la sortie de ton clip “Agence matrimoniale”. J’avais adoré, le clip et surtout la musique. T’en étais où, toi, dans ta vie à ce moment-là ?
Orē : À cette époque je n’avais aucune crédibilité en tant qu’artiste, ça faisait un an que je jouais un peu dans des bars. Quand on a tourné le clip, en octobre, on était un peu sur un entre-deux. Une fois le clip tourné, avant de le diffuser, on l’a envoyé à des médias, des tourneurs et à des tremplins comme les iNOUïS du Printemps de Bourges. “Agence matrimoniale” a été une grosse transition, ma porte d’entrée dans ce monde. Ça m’a permis de jouer pour les iNOUïS à la Maroquinerie, ce qui m’a ouvert plein de portes.
Tu es passée par d’autres formules avant de t’associer à Bozeck et de faire ce mélange rap-électro ?
J’ai fait un peu de musique dans un groupe à Toulouse, dont je ne dirai jamais le nom, où je chantais faux et mal (rires). C’était du jazz-musette.
En arrivant à Paris, comme j’avais une formation en son, j’ai rapidement commencé à composer sur Ableton Live. Avec mes études, j’avais un certain bagage en informatique musical. J’avais fait un peu de conservatoire en piano et du ukulele, mais en dilettante. Et quand j’étais petite, j’aimais bien écrire des poèmes. Un beau jour j’ai tout rassemblé ! Orē c’est un fourre-tout de tout ce que j’aimais faire.
“On apprend en avançant.”
Et donc un an s’est écoulé, tu as enchaîné les concerts, fait partie de la sélection des iNOUïS, trouvé un label ? Tu te sens comment aujourd’hui ?
Je me sens trop bien. On a bien évolué. C’est aussi ce qui explique qu’on a mis du temps à sortir le 2e clip. Au début, on voulait sortir l’EP très rapidement. Mais il y a eu les iNOUïS, ce qui nous a offert une certaine visibilité auprès des pros. On a commencé à travaillé avec un tourneur, on s’est dit qu’on signerait peut-être en label. Grâce au tourneur on a fait nos premières dates hors de Paris. Ensuite on a eu le Parcours du Centre FGO Barbara, le Zebrock et j’ai fait mes premières expériences d’interviews. De fil en aiguilles, j’ai rencontré le label Elektra. Et à la rentrée, j’ai appris que j’avais le Fair. Ça donne une exponentielle assez cool pour moi tout ça.
En ce moment tu travailles sur ton premier EP ?
Oui, toujours le même (rires). Quand tu tombes sur des articles – le tout premier c’était fin 2017 – je disais déjà que mon EP allait sortir. En fait, je suis arrivée dans un milieu que je ne connaissais pas du tout. Donc on a fait les choses progressivement, on apprend en avançant. Cet EP on est en train de le reprendre et on va le sortir courant mars.
Tu me donnes rendez-vous au 100 Kilos, c’est un chouette clin d’œil à ton dernier clip, “1000G”, sorti début janvier. Comment est né ce titre ?
J’étais en train de créer des morceaux dans mon appart. Parfois, ça ne marche pas et t’es déprimée. Parfois, ça marche et t’es trop trop contente. Je suis allée dans ma salle de bain, je me suis regardée dans le miroir et j’ai fait (elle chante) : “aujourd’hui, je suis trop effi-efficace”. Et je l’ai enregistré. J’avais vu un documentaire sur l’expérience de Milgram, j’avais aussi lu Une histoire populaire des États-Unis à cette époque, une réflexion sur le capitalisme. Tout ça m’a donné envie d’écrire sur le sujet. Il y a aussi l’idée que, en tant que consommateur, tu as un pouvoir, celui d’acheter ou non les produits en fonction de tes valeurs. Mais il y a aussi un pouvoir en tant que travailleur. Quand tu travailles, tu offres ton temps pour une cause. Ça m’intéressait de bosser ça, du point de vue du travailleur. Pour ce titre j’ai vraiment fait des recherches, j’ai essayé de reprendre des mots qui étaient utilisés dans l’expérience. Mais ce n’est pas le cas de tous mes morceaux, j’ai aussi parfois simplement envie de parler de l’amour (rires).
Et le clip, comment est-il né ?
Larry, de La Sale Affaire, a donné l’idée des yakuza. Et puis on a trouvé le Makido, le fast-food japonais. C’est super bon en plus ! C’est un peu référencé Kill Bill. Au lieu d’illustrer l’expérience de Milgram, on a décidé de mettre le monde du travail en avant, mais pas tout à fait celui décrit dans le morceau. On voulait garder une distance.
Tu aimes jouer avec les mots et leurs sons, t’es plutôt voyelle ou consonne ?
Quand j’ai commencé à écrire je faisais plus attention aux consonnes, mais maintenant, j’essaie aussi de me concentrer sur les voyelles, d’aller plus loin dans les rimes. Quand on a repris l’EP, il y a aussi eu un travail de réécriture des textes.
“L’avantage du live c’est que tu peux le transformer.”
Tu as un débit très rapide et une prononciation très distincte. Tu as bossé ça comment ?
La prononciation, c’est venu à force de faire des concerts. Sur les premières maquettes j’enregistrais et droppais les passages au fur et à mesure. Je ne me demandais pas si j’allais pouvoir respirer ou pas. Le jour où je suis passée sur scène je me suis rendue compte que je n’avais pas prévu de respiration et, là, c’était vraiment la grosse galère (rires). J’ai pris des cours de chant et à force de faire des concerts, j’ai appris à respirer. Pour l’écriture, j’ai toujours tenu un journal intime, et petite j’écrivais des poèmes. Je me suis remise aux rimes quand j’ai voulu écrire des morceaux. Maintenant, j’écoute les morceaux des autres différemment. Je me concentre plus sur l’analyse des textes, avant je me laisser enjailler par la musique.
Tu lis des poèmes ?
J’essaie d’en lire oui. Les poèmes de Jacques Prévert, c’est typiquement le style que je voulais exploiter pour son côté naïf et très poétique dans la forme mais aussi cru, triste et très dur dans ce qui est raconté. J’aime les choses poétiques, comme les films du style Big Fish, les Miyazaki, ça m’a toujours fascinée. On te parle de la vie de manière générale mais c’est toujours fantaisiste, magique, enfantin. À 20 ans j’ai compris que lire ça me faisait du bien. Ça donne confiance en soi, pas dans le fait d’avoir de la culture, mais dans le fait de se reconnaître dans les personnages, et d’y trouver des manières de réagir, des gens qui pensent comme toi.
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Peux-tu me parler du passage du studio à la scène ?
Ça a été un grand questionnement. Au début, j’étais seule sur scène. J’avais préparé plein de boucles à envoyer une à une, mais en fait c’était compliqué, je risquais de ne pas être dans les temps. Finalement Bozeck est arrivé pour faire le beat en live, ce qui ajoute vraiment de la vie. J’aimerais bien avoir des musiciens, faire des percus en direct.
Quand tu écris, tu penses déjà à la scène ?
Pour la plupart des morceaux que je joue aujourd’hui, au moment où je les ai écrits, je n’avais encore jamais fait de scène. Mais on a rajouté quelques éléments spécialement ça. À force de jouer en live on s’est dit tiens, ce morceau là il marche bien en live, on va le rallonger un peu. L’avantage du live c’est que tu peux le transformer. On commence avec ce qu’on a, et progressivement, on le transforme.
En ce moment, on vit un renouveau de la chanson en français, plutôt électronique. Si tu avais vécu à une autre époque, qu’est-ce que tu aurais fait ?
Avant les années 1990, je n’aurais certainement pas fait du rap, mais j’aurais quand même chanté en français. Quand j’écoutais la radio, je me rendais compte que les morceaux en français je ne les aimais vraiment pas. C’était souvent trop gnangnan – bien sûr quand c’est du Nougaro ou du Brassens j’adore. En revanche quand c’était de la chanson anglophone c’était hyper produit, dansant. Jusqu’à l’arrivée de Stromae. Ça c’était fort, il a intégré la musique électronique à la chanson française. Moi je veux qu’on s’enjaille sur la langue française.
Tu fais ta release party le 13 mars au Pop-Up du Label, les préparations avancent bien ?
On va bosser la scéno et la lumière avec La Sale Affaire. Il y aura sûrement des potes à nous. On va essayer de faire un DJ set pour faire la fête. Et pour le live, on va jouer les morceaux de l’EP. Il y a un morceau qu’on a joué que 2 ou 3 fois, donc ce sera un peu tout neuf.
Un dernier mot ?
Je me suis fait choper dans le train sans ticket, et j’ai payé 50 euros d’amende, mais je ne suis pas sûre que ce soit très intéressant.
Si au contraire, tu vas pouvoir me raconter pourquoi on trouve plein de tickets de métro avec ton nom tagué dessus !
À l’époque, quand tu tapais Orē sur internet c’était impossible de nous trouver. Il y avait Orelsan, les Oreo avant nous. Il fallait que les gens puissent nous retrouver parce que à la fin des concerts, même dans les bars, les gens venaient nous voir pour nous demander comment avoir des infos. Je leur disais, bah bon courage (rires). Alors j’ai voulu faire des cartes de visite, mais ça coûte un peu cher et ça fait très commercial. J’avais plein de tickets de métro dans les poches. Le logo rentrait parfaitement dessus alors on les a tagués et ce sont devenus nos cartes de visite.
► Orē sera en concert le mercredi 13 mars au Pop-Up du Label pour la release party de son premier EP (sortie prévue le 22 mars chez Elektra/Warner Musique).
Propos recueillis le 6 février 2019 par Jeanne Cochin.
Merci à François, Paul et Morgane pour leur chaleureux accueil.