Pourquoi la série Unbelievable de Netflix est d’intérêt général
SÉRIE – La nouvelle série américaine, “Unbelievable” est la dernière pépite en date de Netflix. Des viols, une enquête et un vrai fond.
C’est un peu le vide sur Netflix en ce moment. J’ai fini de regarder une pénultième fois Friends, déprimé devant 13 Reasons Why, pour finir par recommencer Glee et Gilmore Girls… Rien ne me faisait de l’œil. Jusqu’à voir apparaître récemment la bande-annonce de Unbelievable (ou Incroyable en vf).
Le laïus de Netflix annonçait de façon assez neutre qu’il allait s’agir d’une série de true-crime, inspirée d’un article paru dans le magazine d’investigation ProPublica en collaboration avec l’association The Marshall Project spécialisée dans l’analyse des failles du système judiciaire américain. L’article remportait en 2016 le Prix Pulitzer en journalisme d’enquête.
Cet article traitait d’une série de viols ayant eu lieu entre 2008 et 2011, du Colorado à l’État de Washington. La première victime de ce violeur en série (Marie Adler) avait été accusée de fausse-déclaration puis mise en examen par le bureau de police auprès duquel elle était allée déclarée ce qui lui était arrivé. Car elle leur aurait fait perdre du temps, et de l’argent. Une pure injustice comme les sociétés occidentales sont friandes.
En plus de la traditionnelle traque et enquête menée en collaboration par deux détectives femmes (Toni Collette et Merritt Wever), la série s’intéresse à parts égales au cas de Marie Adler (Kaitlyn Dever) à coup de flashbacks saisissants, eux-mêmes enrichit des souvenirs très perturbants du viol du point de vue de la victime.
Exit le manichéisme
L’un des points forts d’Unbelievable est sans aucun doute le travail fait autour du caractère des personnages principaux. Il n’a pas été jugé utile d’en faire des personnes clivantes. Par exemple, s’il est sous-entendu que les détectives chargés de recueillir la plainte de Marie se sont montrés apathiques et en aucun cas formés à gérer des plaintes pour viol, ils ne sont pas non plus diabolisés. Car faute de preuves matérielles (le violeur effaçant ses traces ADN), de confiance, et de cohérence du discours tenu par Marie, très perturbée, les policiers chargés de l’enquête parviennent à semer le doute jusque dans l’esprit de la victime. A-t-elle été violée ou non, peut-elle répondre simplement à cette question ?
On est loin des good cop bad cop, ou du cliché du détective alcoolique et supérieur qui n’a aucun remord et manque cruellement de professionnalisme. En les dotant d’une humanité, somme toute discutable dans les premiers épisodes, les scénaristes nous offrent une réflexion sur l’importance de l’adaptation des institutions et la formation des forces de police au traitement des courageuses victimes de viols qui doivent passer par de multiples dégradantes étapes pour constituer leur dossier de plainte. La série montre d’ailleurs à quel point victimes doivent raconter leur viol à de (trop) nombreux interlocuteurs et revivre ainsi leur viol encore et encore. La route est longue.
Pour rappel : “C’est 93 000 femmes qui ont été violées en 2018 (en France).” Parmi elles “10% seulement portent plainte” et “seulement 10% aboutissent en cour d’assises.” selon Muriel Salmona, psychiatre citée par Libération.
Un triumvirat de girl power tout en sobriété
Trois femmes (voire quatre si l’on ajouter l’impeccable et touchante Danielle Macdonald dans le rôle de l’une des victimes) brûlent l’écran. Toni Collette joue une détective respectée et droite dans ses bottes. Merritt Wever (détective Duvall) est, elle, une détective mère de famille, rigoureuse et calme avec un peu moins de bouteilles mais tout autant de détermination. Grace à un coup de chance, elles se rendent rapidement compte qu’elles pourraient avoir affaire au même homme.
Leur relation n’a rien de l’amitié fusionnelle ni d’un duo de cowboys je t’aime moi non plus. Elles savent toutes les deux qu’elles ont de perturbantes concordances dans leurs dossiers, et que leur collaboration permettra de retrouver le violeur le plus vite possible avant qu’il ne récidive et finisse par tuer ses victimes. En travaillant ensemble et en s’adaptant l’une à l’autre, elles savent qu’elles ont bien plus de chance d’y arriver. L’union fait la force. La sagesse féminine.
Par ailleurs, précisons que toutes les deux ont des compagnons de longue date, l’un travaillant au bureau du procureur et l’autre étant également dans les forces de police que l’on aperçoit à plusieurs reprises. Ni l’une, ni l’autre ne se définit à travers son compagnon, et ni l’un ni l’autre de leurs compagnons n’est en position de supériorité. Un cas assez rare dans les séries criminelles pour être mentionné. Pas besoin de tomber dans les clichés du flic divorcé qui broie du noir.
Finissions sur le cas Marie Adler, interprétée avec fausse candeur et frappante intensité par Kaitlyn Dever. Probablement maltraitée en famille d’accueil, la jeune femme fait preuve d’un courage dépassant le dicible. Alors que ses quelques proches commencent à lui tourner le dos un par un (parce qu’elle leur a menti ou pour ne pas nuire à leur réputation), le traumatisme du viol allié aux mauvais traitements infligés suite à sa plainte lui font vivre et traverser plusieurs phases extrêmement douloureuse.
Autour d’elle, le monde impitoyable continue de tourner, comme si de rien n’était. Elle essaie tant bien que mal de poursuivre sa vie comme avant. Seul son ex-petit ami parvient un temps à la soutenir, avant que son état psychologique et sa fureur ne fassent vriller leur amitié. Elle se retrouve complètement seule, accablée par son traumatisme et sa rage, abandonnée par ses éducateurs, par ses parents d’accueil, ses amis, et par les autorités. Son désarroi, sa descente aux enfers et ses tentatives pour s’en sortir seule contre tous sont désarmants et inspirent beaucoup de respect.
Déranger pour mieux sensibiliser
Unbelievable est d’intérêt général : la série choque, dérange, émeut, bouleverse, sensibilise et nous accroche. Elle est porteuse d’espoir aussi dans toute cette violence du quotidien. Mince certes, mais tout n’est pas entièrement noir. Et elle interroge, ouvre le débat.
Pourquoi personne n’a vu que Marie avait effectivement été violée ? Dans quelle mesure n’a-t-elle pas été mieux entourée ? Pourquoi le viol n’est pas pris au sérieux ? Comment se remettre d’un tel traumatisme ? Peut-on vraiment se remettre d’un tel traumatisme ? Comment aider ces victimes, quel est le comportement approprié ? Peut-on compter sur la police ? N’y a-t-il pas d’autres protocoles à établir pour aider les victimes lors de leur cheminement ? etc.
Tant de questions traversent l’esprit alors que le dénouement nous laisse sur notre faim (pas de happy ending, pas de grosses déceptions, life goes on). Pas de saison 2 de prévue pour le moment, l’histoire est close selon les showrunners pour qui toutes les ficelles de ce fait divers ont été exploitées.
En huit épisodes, Unbelievable parvient à apporter plus que le simple divertissement d’une série policière. Ancrée dans une réalité proche et ouvertement féministe, cette série internationale envoie un message fort à la face du monde : non, ce n’est pas normal et non, vous ne gagnerez pas. Il ne tient qu’à nous pour œuvrer dans la même direction.