Lescop : “La musique est aussi addictive que la drogue mais les cures de désintox coutent moins cher”
Avec un EP, Lescop a retourné le cœur la scène musicale française. Avec sa voix profonde, sa pop-sombre mi-punk mi-électro, et ses textes forts signés en français, il séduit. Échappé d’Asyl, Matthieu navigue en solo sous la bannière Casablanca Records/Mercury qui l’a signé au printemps dernier. Son album sort le 1er octobre. En attendant on se déhanche au rythme du tubesque “La Forêt” et du très sexy “Tokyo, la nuit“. Rencontre avec cet artiste ténébreux.
Peux-tu nous parler de ta vie avant « Lescop » ?
J’avais un groupe qui appelait Asyl. On était quatre garçons d’une petite ville de province avec des rêves dans la tête. On a essayé de les emmener le plus loin possible. On a réussi un moment, puis on s’est mis en stand-by. J’ai dû faire quelques boulots alimentaires pour pouvoir bosser sur mon projet à côté.
Comment est-il né, ce projet ?
J’ai commencé à travailler en parallèle d’Asyl avant de me consacrer entièrement à Lescop. A un moment, ça devenait trop schizophrénique d’écrire pour les deux. Le stand-by est arrivé au bon moment car je pouvais bosser que pour moi. C’est passé par des moments où je m’enfermais tout seul chez moi pour écrire, regarder des films, écouter de la musique. Au fur et à mesure la matière s’est crée. Et une fois que tu l’as, tu peux aller en studio faire un disque. Petit à Petit.
Lescop est aussi le fruit d’une rencontre avec John & Jehn, peux-tu nous en parler ?
Oui, cela fait parti du processus. C’était des personnes avec qui j’avais envie de travailler depuis longtemps, que j’apprécie. Je savais que lui comprendrait très bien où j’avais envie d’aller, et j’avais le sentiment qu’il pourrait même m’emmener plus loin que ce que moi j’anticipais. Sans eux, il y aurait le même fond mais pas la même forme, puisque j’aurais travaillé avec d’autres personnes. La forme se crée à plusieurs.
Comment cette forme s’est façonnée ?
On travaille toujours en partant de mes textes. Soit j’écrivais un texte et lui avait une instrumentale qui allait dessus, soit je posais mes textes sur une instru qui existait déjà. Ou alors avec Gaël, mon guitariste on essayait de trouver des trucs tous les deux. Il n’y a pas une méthode fixe, il y en a plusieurs. Mais tout part du texte, c’est ce que je travaille en premier, parce que c’est que j’ai envie de défendre le plus, et j’ai envie que l’esthétique générale d’une chanson s’aligne sur l’esthétique des textes. Et pas l’inverse.
Et toujours en français ?
Oui, je n’ai pas assez de vocabulaire en anglais, et puis j’ai cette envie de revendiquer ce que je suis, c’est-à-dire un Français. C’est la langue dans laquelle je pense, c’est la langue dans laquelle je m’énerve, c’est la langue dans laquelle je tombe amoureux.
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La Femme, Juveniles, Breton, Yan Wagner…on assiste à une sorte de “revival new-wave”, comment tu l’expliquerais ?
La musique est cyclique. Les styles reviennent constamment. C’est comme quand tu vas chez les marchands de meubles, à un moment les gens vont beaucoup chercher des trucs art-déco, puis années 50, après il y aura la mode du formica. C’est la même chose en musique. Le temps permet de redécouvrir certains trucs, et forcément à force de découvrir tu t’en empreignes. Ce que t’écoute à une influence sur ce que tu fais. Je citerais cette phrase de La Rochelle qui disait « A notre époque composite, les modes continuent d’exister et vivent entasser les unes sur les autres ». On parle d’un renouveau new-wave, et ce qu’on dit pour La Femme, mais dans ce groupe oui il y a un peu de new-wave mais il y a aussi des influences très années 50, autant dans les guitares un peu surf et un peu d’années 60 pour leur univers un peu science-fiction. Pour Lescop, il y a un côté new-wave, mais aussi un peu de punk 70’s et rock’n’roll des 50’s. Moi je suis un gros fan de John Coltrane, de Buddy Holly et il y a donc un peu de tout ça. Mais, c’est ce revival qui fait qu’on extrait et qu’on remarque le new-wave.
Tu as dit un jour, pour que aimer un disque, il faut qu’il change ta vie. Est-ce qu’il y a des albums qui t’ont marqué ?
Il y en a plein. Le premier album des Doors, Nevermind the Bollock des Sex Pistols, Nevermind de Nirvana comme tous les adolescents de ma génération. Sérieusement cet album était une bonne clé d’ouverture sur plein de chose. Dans ses interviews, Kurt Cobain parlait beaucoup de ses influences à lui aussi, et c’est comme ça qu’on a découvert Bowie… Ziggy Stardust, la première fois que j’écoute ça, je fonds en larme. Sinon, Electric Warrior de T-Rex… [Silence] J’aimerais te citer un truc français aussi… L’EP Chercher le garçon de Taxi Girl, Macadam Massacre de Bérurier Noir. Ces albums-là changent ta vie, tu ne peux pas les écouter et en sortir indemne. C’est ça qui est beau. C’est ça, faire de l’art. C’est comme quand tu regardes un tableau de Jerome Bosch en vrai, ça change ta vie, tu ne vois plus la peinture de la même façon après.
J’ai l’impression que ton rapport à la musique est très fusionnel, passionnel, c’est rare aujourd’hui à l’air de la musique « jetable après consommation ».
C’est parce que je suis un vieux ! Quand j’étais gamin, il n’y avait pas internet. Je suis très fan des disques. J’ai le même rapport avec les films, la peinture, la photographie. L’important c’est de tomber amoureux d’une personne, d’une situation, d’un film. Ça me fait penser à ce film « Petit-déjeuner chez Tiffany’s », la nana demande ce que ça fait de tomber amoureux, on lui répond « c’est comme si tu avais des petits poissons qui parcourent tes veines ». Quand tu ressens ça pour une personne ou une œuvre d’art, tu sais que tu es dans le vrai. C’est quelque chose d’essentiel et il faut le garder.
Il y a un schéma qui circule sur internet faisant un état des lieux de la musique en France. On te situe dans le sillage de Jacno et Étienne Daho, qu’en penses-tu ?
On m’a souvent comparé à Étienne Daho…j’avoue que je ne sais plus quoi en penser. J’imagine que tout ce dont je parle, Étienne Daho le ressent aussi. Je ne le connais pas, je l’ai croisé une fois, et de ce que j’ai perçu de lui, ça à l’air d’un type bien. Et puis, comme on est français tout les deux, qu’on fait une musique qui est un peu accrocheuse et un peu la même façon de faire et de penser. Il y a très peu de chanteurs français qui chantent en français, aussi on a vite fait de les comparer. Tu vois, c’est comme quand Thom Yorke est arrivé, on disait de lui qu’il chantait comme Jeff Buckley. Au final aujourd’hui ça fait quinze ans qu’on connaît Radiohead, et on fait très bien la différence entre Radiohead et Jeff Buckley. A l’époque, il n’y avait pas de chanteurs qui chantaient de cette façon-là, un peu haut-perché. Après ce sont le mec de Muse qu’on a comparé à Thom Yorke. Avec le temps, les différences sont plus évidente. Mais me comparer avec Étienne Daho, c’est flatteur.
Ton EP et ton univers en général sont assez dark, est-ce que ta façon d’exprimer une facette sombre de ta personnalité ?
En vrai je suis quelqu’un de très enthousiaste, mais ma musique est une sorte d’exutoire. Je pense que je serais déprimé sur je ne faisais pas de chanson. J’expulse tout ça. J’ai eu une vie qui aurait pu basculer à un moment dans quelque chose de plus mélancolique. J’ai été comme tous les adolescents qui ont découvert le rock et le punk et qui se sont réfugiés dedans pour rendre la vie moins dure. C’est comme, les toxs qui se réfugient dans les drogues pour rendre leur vie plus supportable… La musique est tout aussi addictive que la drogue…Seulement la cure de désintox coutent moins cher !
Et cet EP, je crois, n’a reçu que des critiques positives…
C’est vrai… Je m’y attendais un peu. [rires] Non mais c’est vrai ! Quand tu sors un disque c’est parce que tu penses qu’il est bon. Quand on l’a fait on n’avait pas de pression de la part de maison de disque. On l’a fait en indé total. On ne l’aurait pas sorti si on pensait qu’il n’était pas bien. Forcément, tu te demandes si les gens vont l’aimer. Je suis fier de ce disque, je crois qu’il y a de bonnes chansons. Sinon, je l’aurais pas sorti ! Et après, il se trouve que les gens ont été d’accord avec moi. Donc, tant mieux !
Et l’album…tu ressens une pression ?
Non, parce que je sais que l’album est très bon aussi ! [rires] On retrouvera des titres de l’EP. Il y aura 11 chansons en tout. Toute dans la même veine. Je suis plutôt confiant. Je sais que c’est l’album que je voulais faire. Quand t’es ok avec ça…ça me fait penser à cette fois où je me suis embrouillé avec des mecs de la sécu. Je savais que j’avais raison, mais je continuais à m’embrouiller tout en me disant “Matthieu tu vas te faire casser la gueule“. Mais il y a des moments où t’es ok avec le fait que tu te vas te faire casser la gueule parce que tu sais que t’as raison et t’as pas envie de t’écraser. Bon, au final je me suis pas fait casser la gueule !