On a écouté : “Ici le jour (a tout enseveli)” de Feu! Chatterton
Pas facile d’écrire une chronique impartiale sur Feu! Chatterton. On tend très rapidement au dithyrambe, à l’excès de compliments, aux superlatifs à gogo. Beaucoup a déjà été dit, clamé haut, fort et fièrement sur ces nouveaux “dandys”, prodiges de la chanson française. Prodiges oui. Phénomènes oui. Virtuoses ? Les cinq parisiens ont fait salle comble sur salle comble, festivals, rassemblant le tout Paris, accumulant les oüi-dire emballés et enthousiastes, grâce à un seul EP. Fort !
EN UN COUP D’ŒUIL >> Feu! Chatterton, poésie, romantisme et Gainsbourg
Ils sont LE GROUPE dont il faut parler. Non pas car tous les gros médias s’y sont intéressés et ont eu leur mot à dire sur cette formation parisienne constituée au lycée, mais bel et bien parce qu’ils sont LE GROUPE qui nous fait croire à nouveau au pouvoir et à l’inestimable valeur de la chanson française.
Voilà donc le grâal, l’excellent album Ici le jour (a tout enseveli), et je sais toujours pas trouver les mots qui conviennent. Pourtant, cet album de 12 titres, je l’écoute depuis plusieurs semaines. À tout moment de la journée, espérant un éclair d’inspiration qui saura me faire trouver les mots justes. Des mots à la hauteur de la qualité des textes de Feu! Chatterton, scandant, susurrant, déclamant des vers passionnés et exaltés. On confondrait presque cette tiédeur, cette nonchalance, à la véritable ferveur qui habite la voix d’Arthur, le chanteur. Ce qui nous surprend de prime abord quand on les écoute, c’est que l’ennui est inenvisageable, impensable. Car on s’attache naturellement au timbre de voix voilé et profond d’Arthur, qui pourrait nous raconter n’importe quoi. Chaque mot semble avoir été travaillé : diction et sonorité d’une voix identifiable dès les premiers instants. Une singularité exceptionnelle qui nous ramène aux Gainbarre, Ferrat, Moustaki, Ferré, Bashung, Higelin, Dominique A… De parfaits inconnus n’est-ce pas.
Pas facile de slamer. Et pourtant, Arthur le fait à la perfection sur Harlem : il nous raconte l’histoire d’une visite dans une église protestante de New York, et du sermon du prêtre, alors que deux cellules éthérées de batterie-clavier-riff de basse tournent en fond. On est plongé avec eux dans ce lieu clos, où l’on entend résonner le discours proféré par cet homme, que chacun écoute religieusement. Ophélie la chanson d’ouverture est, elle, bien loin d’un huis-clos spirituel. On a plutôt le sentiment d’avoir ouvert un trailer de western spaghetti. Dans un autre style encore, Le Long du léthé, sa reverb de guitares, tantôt à l’octave tantôt se répondant, dans un tempo nonchalant, le slow de l’album. Bien loin de Boeing, et sa rythmique de piano et ligne de basse bien plus pop, presque groovy. On s’attendrait presque à entendre une boîte à rythme surgir inopinément. Il n’en est rien, bien heureusement. Au milieu de l’album, surprise, Vers le pays des palmes, petite parenthèse instrumentale, son intro en ternaire, avec des sonorités dignes de la belle époque de La Boum. Enfin, la lyrique Le Pont Marie, et la fiévreuse Les Camélias, où l’on retrouve le nom de l’album. On écoute toutes ces histoires patiemment, sans en lâcher une miette, envoûtés par l’accompagnement pop-rock. Maîtrise des mots, maîtrise des notes. Éclectisme, romantisme et élégance.
On retrouve aussi deux des quatre titres présents sur leur premier EP (les très bons Côte Concorde et La Malinche). L’heure dense et À l’aube ont disparu, cédant leur place à d’autres compositions, que l’on connaissait déjà bien pour certaines (La Mort dans la pinède). En guise de remplacement, on a Porte Z. Avant-dernière de l’album, 5 minutes et 22 secondes d’ascensions rock et de chutes abruptes, agencement progressif de couches électroniques venant tapisser le dialogue entamé par la guitare et la basse. La chanson la plus noire de l’album, un orage sur le point d’exploser, une gradation parfaitement maîtrisée, sans aucune déflagration finale.
Et le jour avait, une couleur d’été, de printemps. Des milliers d’avions éventraient le ciel mais nous n’avions… peur de rien.
Un album pépite, intense et majestueux. Point.
Ici le jour (a tout enseveli) disponible depuis le 16 octobre (Barclay). Feu! Chatterton sera en concert le 19/10 et le 11/12 au Trianon. Pour voir les autres dates cliquez par là.