On a vu : “La Danseuse” de Stéphanie Di Giusto
Un casting en symbiose, un sujet fascinant, une réalisation grandiose ; avec son premier long-métrage, Stéphanie Di Giusto frappe fort. Il lui aura fallu six ans pour sortir ce film, et le résultat prouve que ça valait le coup d’attendre : La Danseuse est passionnante et étourdissante.
La Danseuse, qui à Cannes a empoché la palme Un Certain Regard, raconte avec beaucoup de liberté la vie de Loïe Fuller. Jeune américaine marginale de la fin du XIXe-début XXe siècle, Loïe Fuller est une danseuse d’un nouveau genre : elle fait de larges mouvements sur scène, enroulée dans un voile blanc très fin, et éclairée par des projecteurs de couleur. Son succès est fulgurant, elle est mille fois imitée, et finit par être oubliée de tous. Mais après six années de travail passionné, Stéphanie Di Giusto rend à Loïe Fuller – cette femme précurseur de la danse moderne, qui aura bravé l’Atlantique, les critiques anti-modernes, et les douleurs physiques pour se produire sur scène – la gloire qu’elle mérite.
Le film relate la progression de la jeune Marie-Louise (Soko) qui prend rapidement le nom de scène Loïe, d’abord en Amérique où elle est fille de ferme, puis à Paris passant des Folies Bergères à l’Opéra. Soutenue par Louis (Gaspard Ulliel) et Gabrielle (Mélanie Thierry), son spectacle prend peu à peu forme : couverte d’une soie blanche, avec dans les mains de longs bâtons de bois, elle dessine dans l’air des formes oniriques. Son spectacle fascine le public parisien, elle est de plus en plus demandée jusqu’à décrocher une date au glorieux Opéra de Paris. Rien ne semble pouvoir l’arrêter dans son ascension artistique et mondaine. Et pourtant elle rencontre deux gros obstacles. Elle fait la rencontre de la très jeune Isadora Duncan (Lily-Rose Depp), danseuse prometteuse, qui après une complicité ambiguë devient une violente rivale. Et surtout, sa danse est extrêmement éprouvante pour son corps, mais comment se résoudre à arrêter ?
Un film pour les yeux
Grandioses, des paysages de campagne américaine (filmée dans le Vercors !) au château où Loïe s’installe, les images sont grandioses. Stéphanie Di Giusto, entourée de Carlos Conti (chef décorateur) et Benoît Debie (directeur de la photographie), fait de La Danseuse un tableau captivant. Dans des paysages réels, aucune reconstitution artificielle n’a été nécessaire, avec des lumières en clair-obscur, on a parfois l’impression d’être dans un tableau de la Renaissance. Et à ces décors et lumières de rêve s’ajoutent les mouvements de corps, les déplacements d’une pièce à l’autre, presque plus chorégraphiés que les scènes de danse elles-mêmes.
Les scènes de danse, d’ailleurs, sont fascinantes. Lorsque pour la première fois, Loïe danse, mise en couleur sur scène par de puissants projecteurs, on est pris de frissons. Féerique et très simplement filmée, la danse de Loïe Fuller fait le même effet sur le public des Folies Bergères de l’époque que sur nous, 100 ans plus tard. Stéphanie Di Giusto parvient parfaitement à rendre l’émotion et la fascination du moment. On salue l’effort de Soko qui fait elle-même toutes les chorégraphies éreintantes de la danseuse, sans trucage ou doublage.
Une danse pour la liberté
D’abord moquée puis plagiée aux États-Unis, Loïe traverse l’Atlantique. À Paris elle fait la rencontre de Marchand (à la tête de la programmation artistique des Folies Bergères) qui d’abord la refuse sur sa scène, mais soutenue – fidèlement et amoureusement – par Gabrielle, la jeune assistante, Loïe parvient peu à peu à atteindre les théâtres parisiens, de plus en plus grands, de plus en plus renommés. Le film montre bien la persévérance d’une jeune femme, malgré sa marginalité, malgré les échecs et les critiques. Loïe croit en son art, très osé et avant-gardiste pour l’époque, et parvient peu à peu à faire changer les mentalités. Elle prône sa propre liberté de danser, mais surtout celle des arts en général et de l’inventivité, et sur un autre registre celle des femmes également. Décidant de tout : costume, chorégraphie, éclairage, elle fait figure de femme forte, autant à l’aise sur le plan artistique que technique. Elle est d’ailleurs la première à installer des projecteurs électriques sur la scène d’un théâtre. Rapidement oubliée, Loïe Fuller est pourtant une figure de proue de la danse moderne.
L’arrivée d’Isadora Duncan, danseuse émérite, détruit à petit feu la célébrité de Loïe. Face à cette danseuse douée d’une technique de danse classique impressionnante, les machinations scéniques de Loïe la relèguent au plan de simple femme d’artifice. Cette concurrence entre deux femmes, de deux âges, de deux cultures et de deux arts différents favorisent là encore la liberté d’expression artistique, et signe la fin du règne de Loïe Fuller.
Avec La Danseuse Stéphanie Di Giusto réalise un film d’une élégance rare, avec des personnages qui semblent avoir été créés pour ce casting et un sujet émouvant et captivant. À voir absolument !
► La Danseuse, de Stéphanie Di Giusto (avec Soko, Gaspard Ulliel, Lily-Rose Depp, Mélanie Thierry, François Damiens), en salles en France le 28 septembre.