Her, chronique d’un premier et dernier album
CHRONIQUE – Cet album, Her le devait à Simon Carpentier, décédé l’été dernier. Le groupe a finalement sorti son premier album éponyme. Le premier, et sûrement le dernier témoignage de cette formation.
Souvent, je commence à écrire mes chroniques d’album dans le métro. Le côté cloisonné peut-être, ou le fait que je ne puisse rien faire à part attendre ma station en observant les allées et venues des autres passagers. En tout cas, en réfléchissant à la façon de débuter cette chronique, j’ai butté sur quelques détails. Devrais-je écrire “le premier album de Her”, sachant qu’il n’y en aura sûrement pas d’autre ? Car je ne pense pas qu’il puisse y en avoir un second sous cette étiquette. Est-il préférable que j’utilise le passé ou le présent pour parler du groupe ? Car Her c’est Victor Solf et Simon Carpentier, et trois musiciens géniaux. Avec le décès de Simon des suites d’un cancer en août 2017 et le départ d’une partie des musiciens pour la future tournée, que reste-t-il de Her ?
“Ma responsabilité vis-à-vis de Simon était immense pour faire vivre notre musique et sortir absolument notre premier album.” – Victor Solf
En tout cas, ce que je peux écrire sans douter, c’est que cet album-là, j’ai eu l’impression de l’avoir toujours connu. Comme lorsque tu rentres chez toi et que tu reconnais une odeur qui t’est chère, une odeur qui fait soudainement jaillir en toi un feu d’artifices de souvenirs plus ou moins joyeux. Un peu comme une madeleine de Proust mais une madeleine impalpable, une madeleine faite de sensations qui t’électrisent autant que le gâteau au chocolat de ta maman (ou de ton papa, ne faisons pas de discrimination).
Oldies but goodies
La moitié de cet album est constituée de chansons présentes sur les deux EPs du groupe. On retrouve leurs hits “Five Minutes”, “Quite Like”, “Blossom Roses”, “Swim” mais aussi certaines chansons qu’ils interprètent depuis un certain temps en live : “We Choose” ou “Neighborhood”. Ce sont des titres marquants et forts de l’identité de Her, ceux qui ont participé à bâtir cette notoriété qu’on leur connaît maintenant. Il y a une certaine logique à les retrouver sur leur premier disque.
Bien sûr, il y a aussi des nouveautés, sous toutes les formes. Des courts morceaux d’à peine une minute : “For Him” chantée par Simon, et “Trying” visiblement tirée d’une session en studio. Des parenthèses, des souvenirs dont nous n’avons pas les clés. Il y a aussi des titres qu’on n’a jamais entendus. Des compositions que les garçons gardaient précieusement sous le coude pour cet album. La funky “Wanna Be You”, son synthé entêtant et ce dialogue entre Victor et Simon. Leur gros featuring “On & On” en compagnie de Henning May (du groupe allemand AnnenMayKantereit avec qui Her a tourné) et de Roméo Elvis, deux timbres de voix bien uniques qui posent leurs timbres sur une instru bien Her-esque : claps de doigts, guitare déchirante et basse sexy. La thématique abordée est celle de notre assujettissement aux réseaux sociaux, pourquoi pas.
Cela dit, le plus intéressant dans cet album et le plus touchant, ce sont les chansons comme “Good Night”, le dernier titre de l’album. “Clôturer notre disque par ‘Good Night’ était tout aussi naturel que d’ouvrir avec ‘We Choose’, puisque ce morceau parle de la maladie, de la vie, mais surtout pas de la mort” explique Victor. Une ballade de 6 minutes, avec des incursions plaintives de saxophone très sensuel. Un kick, un synthé planant, un chant de guitare subtile et ce leitmotiv de paroles “Don’t lose hope” sur un chœur très “Retrograde” style. Les garçons n’ont jamais caché leur amour pour James Blake. Ce titre en est une flagrante illustration.
L’ombre de Simon
“Icarus” est un autre des titres importants de l’album, dans ses paroles principalement. Victor l’a écrit pour Simon : “l’unique titre de l’album que j’ai terminé sans qu’il puisse y travailler”. “You’re still a part of me / You made your path to sea but I’m on the other side / You feel so far away, how can I keep you here?” chante Victor, seul avec une basse bien lourde et une guitare torturée. Simon est bien au centre de l’album, il en est le cœur vibrant, l’ombre imposante qui flotte sur chaque composition.
L’album se finit avec deux bonus tracks, “Shuggie” et “Together”. “Shuggie” me plonge dans l’âme des premiers concerts de Her auxquels j’ai assisté. Une chanson voluptueuse au low tempo qui renvoie à Shuggie Otis, l’une de leurs grandes influences. C’est aussi l’une de mes chansons préférées de l’album, l’une des plus franches à mon goût. Enfin, la véritable conclusion de l’album, c’est la rétro “Together”, ses nappes électroniques planantes et ses paroles qui en disent long : “We’ve got to keep moving on / We can’t be grieving / Better healing now / We’ve got to be living”.
Ce premier, (et dernier ?) album de Her est pour moi un disque éclaté, un vestige d’une époque révolue. Un condensé créatif électrisant qui repose désormais sur de frêles fondations, irrémédiablement fissurées avec le décès de Simon. Her doit désormais panser sa plaie béante, essayer de poursuivre sa route (ou prendre un chemin différent), malgré le chagrin. Her doit renaître de ses cendres.
Her (album éponyme) – Barclay
En concert : 07/04 au Festival Chorus, 14/04 à l’Espace Django Reinhart, 25/04 à l’Olympia, 19/05 au Festival Santa Teresa, le 20/05 à l’AntiBar.