Ben Mazué – Paradis : c’est le cœur qui l’anime
CHRONIQUE – Ben Mazué revient avec un album cathartique. “Paradis” est un recueil de chansons qui panse les plaies. Les siennes, les nôtres. Un conseil : sors les mouchoirs.
Il est trois heures du matin. Depuis plusieurs mois déjà, j’ai du mal à dormir. J’ai toujours eu le sommeil léger. Mais là, je blâme le confinement, la crise sanitaire, le couvre-feu, l’agonie du monde du spectacle, l’état général du monde. Manque de distraction, de rapport humain, de convivialité, de rencontres, de musique en live. De vie quoi. Ces derniers mois, j’ai même perdu l’envie d’écrire. J’ai peu écrit. La motivation est là, quelque part. Mais, les mots ne viennent plus. Il a fallu un déclic.
Cela fait quelques semaines déjà que j’ai reçu dans ma boîte mail, un lien d’écoute du nouvel album de Ben Mazué. Il s’appelle Paradis. À la première écoute, j’ai été happée. Touchée. Pour tout te dire, j’ai versé des larmes, beaucoup de larmes en parcourant cet album. C’est comme ça que mon âme prend conscience qu’un album est spécial. Ses maux à lui ont débloqué mes mots à moi. Un flot, une rivière de choses à dire. Il est trois heures du matin et je suis en train de penser à cet album. D’ordinaire, mes insomnies me rendent folles. Je regarde l’horloge, les aiguilles qui tournent et le sommeil qui ne vient pas. Cette fois, les mots viennent tout seuls et je remercie cette insomnie qui me permet d’écrire.
Un endroit, un moment, un album
C’est quoi le Paradis ? Ce serait un verger entouré de murs, le jardin décrit dans la Genèse. Un monde imaginé et imaginaire. Une destination où iraient les humains récompensés pour leur bon comportement. “C’est un endroit, c’est un moment, c’est maintenant un album”, dit Ben Mazué. Et le paradis de Ben Mazué n’est pas un endroit idyllique, avec plage et cocotier, nuages, anges et archanges. Tout n’est pas blanc immaculé. Paradis, c’est une auto-analyse. C’est une invitation à entrer dans son quotidien.
Il parle des relations amoureuses (“Tu m’auras tellement pu”) et d’une rupture. Mais il aborde aussi la famille (“Mathis”), les angoisses qui nous pourrissent le cerveau, (“Quand je marche”), les colères qui grandissent dans un couple et qui mènent au point de non-retour (“Nulle part”). Ce qu’on se dit, ce qu’on aurait voulu dire, ce qu’on regrette d’avoir dit. On découvre alors la fin d’une histoire (“Providence”, “Le cœur nous anime”), la vie qu’il faut réinventer après une séparation (“Semaine A/Semaine B”), les regrets qu’on éprouve et ceux qu’on assume (“Quarantaine”), les nouvelles envies qui naissent (“Les jours heureux).
Presse ton âme de s’exprimer
Ben Mazué a une force, un talent incroyable. Il pioche dans sa vie personnelle pour écrire des chansons dans laquelle on se retrouve tous. Il y a plusieurs portes d’entrée dans Paradis. Et, une pièce nous happe et nous fait rester jusqu’au bout. Il y a ses mots d’une incroyable justesse, un verbe fort, des punchlines qui cognent le cœur, qui touchent l’âme mais qui finissent par panser les blessures. Les siennes peut-être, les nôtres, assurément. Les mélodies sont au service du texte. Le texte. “Le sort est un poème, le destin est un roman avec la mort comme emblème”, “presse ton âme de s’exprimer” : le titre “J’écris” est une déclaration de foi. Il explique à lui seul l’album. Pourquoi on écrit, pourquoi un musicien compose, pourquoi un poète couche des kilomètres de vers sur le papier. Écrire est thérapeutique. La musique aussi.
En attendant les jours heureux
Paradis n’est pas un album heureux, c’est un album cathartique, en douleur et en douceur. Les chants les plus douloureux sont les plus beaux, non ? Musset aurait pu écrire cette phrase pour qualifier cet album. Triste et beau. Réaliste. Profondément sincère. C’est un album de rupture. Un passage par lequel on passe tous (ou presque). Un moment difficile, chaotique, orageux, qui nous suit longtemps. Elle nous détruit de l’intérieur, mais une rupture permet de se reconstruire. Devenir meilleur, renaître.
Et comme une piqûre de rappel bienvenue, Ben Mazué nous rappelle qu’après l’orage vient les “Jours heureux”. On a tendance à l’oublier cette année. Il nous rappelle aussi que le paradis réside dans les moments heureux qu’on se crée. Seul ou à plusieurs. Ils sont peut-être éphémères, mais ils sont là. On a tous pu accéder, à un moment de nos vies, au paradis. Et c’est de ça qu’il faut finalement se réjouir.