On y était : Le 42e Festival de la Bande-Dessinée d’Angoulême
Une ambiance particulière régnait dans les rues d’Angoulême cette année. Un festival forcément endeuillé par les meurtres des dessinateurs de Charlie Hebdo, habituellement présents lors de ce grand rendez-vous international de la bande-dessinée. Un nouveau Prix Charlie Hebdo de la Liberté d’Expression créé, le Grand Prix Spécial remis à Charlie Hebdo, une place renommée, une exposition dédiée, une BD spéciale Charlie multi-éditeurs épuisée après 2 jours, une affiche placardée sur la Mairie… Impossible d’oublier. Impensable surtout. Parallèlement le Festival avait comme chaque année mis le paquet sur les animations : venue du grand sensei Jirô Taniguchi, exposition Calvin & Hobbes avec des dizaines de planches inédites, spectacles, rencontres, concerts etc. Il n’y avait pas de quoi s’ennuyer, d’autant plus que le temps fort capricieux invitait sincèrement à venir se réfugier sous les différentes bulles (bars) installées dans le centre-ville.
Autant vous le dire maintenant, mais je n’ai pas franchement eu le temps de profiter du Festival comme un festivalier lambda. C’est la dure loi quand tu es stagiaire sur le plus gros stand du Festival. Mais tu peux profiter d’autres choses agréables, comme voir passer et parler avec des auteurs/dessinateurs que tu admires, juste comme ça. C’est surtout l’occasion d’être littéralement plongé dans l’ébullition (je suis une professionnelle des jeux de mots pourris) de cet événement rassemblant des milliers de passionnés (parfois trop exaltés).
Dans le plus total des désordres, je vais vous parler de 5 choses marquantes.
1. Le triomphe de Wilfrid Lupano.
Si tu ne connais pas Lupano, c’est le moment de t’y mettre. Lupano c’est LE scénariste de la mort qui tue : Ma Révérence, Les Vieux Fourneaux, Le Singe de Hartlepool, Un Océan d’Amour, Alim le Tanneur, L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu… tout ça c’est lui. Et surtout tout ça, c’est top. Tous ses ouvrages sont originaux, sincères et poignants. Et pour les enchaîner comme ça, aussi facilement, nous on est juste babas. Logiquement, il a remporté encore un prix cette année, avec Cauuet, grâce au 1er tome des Vieux Fourneaux (éd. Dargaud) qui comme le titre pourrait l’indiquer, raconte l’histoire d’amitié de trois vieux papis. Le vieux est tendance, comme la grosse bretonne qui fait des galettes à son mari biglouche (quand on vous dit qu’il est génial, ce n’est pas une blague). A noter, le succès d’Un Océan d’amour, en rupture de stock sur le stand Delcourt au bout de 3 jours à la surprise de son dessinateur ne retrouvant pas ses ouvrages dans la bibliothèque des sélections officielles. Largement mérité.
2. La bande-dessinée jeunesse en grande forme.
Même si j’avais secrètement espéré que le fantasticonirique Hilda et le Chien noir (éd. Casterman) remporte le Prix Jeunesse, on peut quand même se réjouir du choix de jury de couronner Les Royaumes du Nord t. 1 (éd. Gallimard Jeunesse), dans cette retranscription de la géniale trilogie de Philip Pullman. Même si forcément, en une centaine de pages de dessins tu ne peux pas traiter entièrement les 350 et quelques pages du grand format. On espère aussi que la série Quatre Sœurs d’après Malika Ferdjoukh (éd. Rue de Sèvres) remportera une récompense dans les années à venir (rappelle toi ce roman jeunesse chez l’Ecole des Loisirs qu’on avait tous dévoré !). Morale de l’histoire, les transcriptions graphiques ont le vent en poupe ! (Appel : Dupuis, tu seras gentil de revenir à Angoulême un de ces quatres).
3. Le livre-papier est loin d’être mort…
Autre constat en bossant sur ce festival : la foule. Passionnés, amateurs, professionnels ou juste curieux, le public était au rendez-vous, en témoignent les allées noires de monde le vendredi et samedi sous le Monde des Bulles 1 (qu’on devrait renommer black saturday). Les Français de toutes les générations achètent des livres, et ça fait plaisir. Quand tu vois des (tarés) collectionneurs faire la queue dès 7h30 pour l’ouverture à 10h, et attendre facilement 4h pour la dédicace d’un auteur, tu te dis juste ah ouais, quand même !. Sans parler de ceux qui en viennent carrément aux mains pour des questions de place dans une file de dédicace. Humhum.
4. …Ce qui n’est pas le cas des auteurs.
Samedi vers 14h30, les stands de dédicaces se sont vidés, laissant place à l’incompréhension des visiteurs attendant sagement leur tour dans les files. Et oui, ils n’ont pas 10000 occasions de le faire, et de le faire publiquement : des centaines d’auteurs ont manifesté samedi dernier dans les rues d’Angoulême suite à une future réforme touchant à leur régime de retraite. Il faut rappeler que très peu d’auteurs (de bds et autres) vivent véritablement de leur art. Malgré les piédestaux sur lesquels on imaginent nos auteurs préférés, il est quasiment impossible de devenir millionnaire en dessinant. Rappelons qu’un auteur ne touche à peine qu’un ou deux euros (grand grand max’ !) sur la vente d’un ouvrage à 20€. Un peu précaire comme métier.
5. Des bulles plein les yeux.
En guise de conclusion, juste vous dire combien ce Festival me paraît essentiel dans un pays qui a de plus en plus tendance à mettre la culture de côté. La bande-dessinée française ne se résume pas à Spirou et Astérix & Obélix. IL y a toute une tripotée de nouveaux auteurs incroyablement doués qui n’ont pas tous la chance de trouver des éditeurs. Pour ceux qui y parviennent il est ensuite assez difficile de réussir à percer et en vivre confortablement. Cela-dit ce festival apporte une visibilité internationale à cet art souvent trop mal considéré et permet de découvrir des tas de supers auteurs. Il donne surtout envie de tout acheter et de tout lire. Pour ma part je vous conseille bien sur de plonger dans la lecture du drôle et biographique Fauve d’Or L’Arabe du Futur t.1 (éd. Allary), même si j’aurais beaucoup aimé voir Un Océan d’Amour (éd. Delcourt) couronné. Pour les fans de séries : si vous êtes plus comics se ruer sur Last Man (éd. Casterman), ou plus Québéc powa Magasin Général (éd. Casterman). Pour ceux qui préfèrent les bds plus noires, plus crues, Little Tulip (éd. Le Lombard) et Hommes à la Mer (éd. Soleil). Sans oublier chez Delcourt Ce n’est pas toi que j’attendais, sincère témoignage d’un père qui apprend à vivre avec sa fille trisomique, le 3e tordant tome du Guide du Mauvais Père, et Max Winson pour les fans (et non-fans) de tennis. Etc. Etc. Etc.
Rendez-vous l’année prochaine ! Et à tantôt pour de nouvelles chroniques. Bisous de moi.