Lettre à Sufjan Stevens…
Cher Sufjan,
Je t’écris cette lettre depuis mon lit, il est à peu près deux heures du matin, ton album tourne en boucle depuis déjà bientôt un mois. Il t’a fallu trois ans pour accoucher de Carrie and Lowell, il m’a fallu trois semaines pour écrire cette chronique. Trois semaines difficiles je dois t’avouer. Je pense qu’il n’existe pas dans le dico de mots assez forts pour exprimer le poids de cet album. Je peux te dire une chose, en tout cas : il fait mal. Très mal.
Parce qu’il parle d’un sujet devant lequel on ne peut rester insensible, même en étant la pire des brutes au cœur gelé : la mort, et plus particulièrement, la mort d’un parent, en l’occurrence la mère. Je ne veux pas imaginer la douleur que c’est. Ton enfance n’a pas du être très rose. C’est ce que tu racontes dans ton album, véritable journal intime où tu te livres de manière entière, avec cette voix enfantine et ces mélodies d’une pureté religieuse (parfois je pense à Elliott Smith, on a déjà dû te le dire). Cet album parle de toi, de ta maman, dépressive, dépressive et alcoolique. Tu racontes qu’elle t’a abandonné, qu’elle t’a fait souffrir, qu’elle est partie et revenue, qu’elle était constamment sous traitement médicamenteux et qu’elle a fini par s’éteindre un 4 juillet. Le jour de l’indépendance américaine, la fin du trépas pour Carrie et le titre de ta plus belle chanson jamais écrite, Sufjan.
Cet album est à des années lumières du précédent, Age of Adz, il ressemble aux premiers, mais diffère en tout. Certes, il y a ce retour aux sources folk. Dieu merci, tu as abandonné les expérimentations baroques. Sans doute que le folk est la musique qu’il convient le mieux à l’introspection, au sentiment, à la sincérité, à la douleur. Je devine que c’est dans le sang des plaies béantes que tu as trouvé l’encre pour écrire cet album. Chaque titre évoque un moment de ta vie avec ta maman, et ton beau-père Lowell. Ce sont eux que l’on voit d’ailleurs sur la pochette de l’album. Ils sont beaux. Sans doute est-ce la haine et la douleur et la tristesse qui ont nourri tes mots, voire maux. C’est drôle que la phonétique de ces deux palabres soient similaires. Ta maman a forgé ta sensibilité en même temps qu’elle te détruisait. J’imagine que la relation a dû être difficile, douloureuse mais on sait combien le lien mère/fils est indestructible. Je comprends qu’il t’ait fallu du temps pour coucher sur le papier ta douleur, qu’il t’ait fallu du temps pour choisir les bons mots, les bonnes notes. Ce n’est jamais facile de s’adresser à sa maman, parce que, c’est ça, pas vrai ? C’est à elle que tu t’adresses en réalité. Dans cet album, tu lui parles, tu t’excuses et tu pardonnes. Et le plus difficile dans tout ça, c’est que cette conversation d’un fils avec sa mère, elle n’est pas privée. On l’écoute sans dire un mot. On pleure, on partage, on se sent un peu en trop, mais on ne peut s’empêcher de relancer l’album, une fois, deux fois, trois fois. À l’infini. Certaines personnes disent que ton album est overrated. Eux, sans doute ont-ils un cœur de pierre.
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