Chronique nocturne : le “Mont-Royal” de Neeskens, rage de dent et délire psychotique
Avant-propos : cette chronique a été écrite il y a plus d’un an, elle est restée en stand-by en attendant que le premier album de Neeskens sorte enfin…
23/02/2014 // 3h08
Il est trois heures du matin. Moi et moi sommes en plein brainstorming, sirotant une tisane bio à la camomille, la tête entre les mains et l’album Mont-Royal dans le casque. Il pleut très fort, ma concentration est sur le fil. Aucun mot intelligent ne sort du clavier. Et, les médicaments pour soigner ma rage de dent me font vaguement délirer, ce qui ne m’aide en rien. Est-ce que je viens réellement d’entendre mon voisin hurler “Reach out and touch Faith” ? Je divague. Ou peut-être pas. Ou je ne sais plus. Mais la vraie question, celle qui transforme mon cerveau en cocotte-minute sur le point d’exploser est : comment parler de l’album de Neeskens ? Le ferai-je dans un style Inrocks ? Vous parlerai-je dans ce français hyperbolé pour évoquer le LP d’un hobo sédentarisé et rêveur qui creuse et arpente les routes du folk satiné d’americana blablabla pour vous décrocher un bomalocervo ? Devrai-je débuter avec le même constat (niais) que le Figaro : “prendre corps avec son environnement est une demande de plus en plus fréquente parmi la caste des songwriters”. CQFD.
Non.
La vérité, c’est que j’en sais rien. Mon cerveau frôle la surchauffe à force de tourner à vide. Ce n’est pas que je ne sais pas quoi dire sur Mont-Royal. Je pense que cet album prouve, encore une fois, qu’en France on possède des pépites brutes. Des diamants. Mais malheureusement, les costards-cravates des labels s’en foutent parce que le songwriting sur fond de pop-folk ce n’est pas vendeur et sexy (pourtant, le garçon est agréable à regarder autant qu’à écouter), parce qu’il n’y a pas de synthé partout (il en faut. Jurisprudence Phoenix) et que les paroles sont intelligentes (là, il ne s’agit pas de traduire des textes français en anglais pour en cacher la pauvreté intersidérale.
3h29. J’ai vidé ma tisane. Je n’entends plus mon voisin chanter Depêche Mode (j’ai dû rêver trop fort, ce soir-là, j’ai raté leur concert à Bercy). La pluie a cessé de taper contre mes carreaux. Le silence est installé, je n’ai plus le choix. Je me lance.Je confesse, j’avais peur d’écouter l’album de Neeskens. Souvent dans le passé, j’ai détesté les albums de songwriters que j’avais écouté et aimé écouter en guitare-voix. L’unplugged, mon ami, j’ai ça en adoration. C’est la formation musicale brute que j’affectionne le plus. C’est pure, c’est direct. C’est brute. Sans artifice. J’avais peur que les arrangements soient trop lourds et à côté de la plaque. Tu sais, qu’une batterie écrase la délicatesse des arpèges. Des cordes qui s’invitent à la fête. Et mais pourquoi d’un coup il y a du synthé en plein milieu de la chanson ? C’est quoi ce bruit de scie sauteuse ? Non. Rien de tout ça. Tout n’est que douceur, calme et volupté dans l’album de Neeskens. Son auteur n’a pas cédé aux sirènes pop et n’a pas essayé de s’enfermer dans un style qui n’est pas le sien, ni sacrifié son intégrité sur l’autel du succès. Merci. En fait, Mont-Royal est un album intemporel. Le genre d’album qui aurait pu sortir vingt ans auparavant et qui pourrait sortir dans quinze ans plus tard, car les chansons qu’il renferme non pas d’âges. Hors du temps. Elles ont le charme des rengaines d’hiver qu’on aime écouter sans se lasser, celle qui accompagne les trajets matinaux en voiture, l’été.
Dans cet album, on retrouve de vieilles connaissances. “Lucy”, “Groenlo”, “Jesus is a Horse”, “Volunteers”. La nature, l’environnement : deux thèmes omniprésents dans l’album… Oui le Figaro, tu enfonces une porte ouverte en disant qu’un folkeux parle de nature. Les clichés ont la peau dure. Compassion. La suite. On retrouve des nouveautés inédites aussi : “Mont-Royal” et “Back Into The Light” amples et magistraux. “Sunset Walker”, le bijou aux accents “boniverien” de cet album. “Mckinley”, le coup de cœur absolu. “Hollywood” et ce doux “let it go”, qu’on se répète inlassablement comme un mantra. Vas-y ouai, ça ira, laisse filer. Si l’ambiance générale baigne dans une douce mélancolie, certaines chansons se démarquent par leurs dynamiques plus enlevées : “Goodbye” et follement folk-blues. L’histoire d’un mec aux deux visages. Docteur Jekyll et Mister Hyde. Il y a enfin ce “Old Brother” à la rythmique chevauchante.
4h01. L’album s’est fait désirer. Longtemps. Finalement, l’attente n’était pas vaine. L’album rassure autant qu’il déprime. On est heureux de savoir qu’en France, on puisse entendre de si beaux textes et de jolies chansons. On est triste car la soucoupe volante de songwriter débarqué de la même planète que Ben Howard et James Vincent McMorrow a atterri en France… et en France, on a la fâcheuse tendance de passer à côté des belles choses, mais passer à côté de Neeskens, ce serait vraiment trop bête.
1/06/2015 // 22h20
En relisant la chronique, je constate, qu’un an plus tard, je n’ai rien à ajouter. Si ce n’est que je suis ravie que The Voice ait donné un joli coup de projecteur sur le jeune homme qui peut désormais faire écouter sa musique à une plus grande audience. Merci Shine.