On a vu : “Roberto Zucco” de B.-M. Koltès, mis en scène par R. Brunel
En 1988, Bernard-Marie Koltès achève sa pièce Roberto Zucco. Censurée à Chambéry peu de temps après sa première présentation, la pièce fait rapidement polémique. En cause : un sujet sensible, Roberto Zucco (inspiré du réel Roberto Succo) est le meurtrier de ses deux parents et d’un inspecteur de police. Interné, échappé, il récidive sans vergogne. Tueur amoral, il dénonce la sauvagerie latente en chacun des êtres humains.
Regardez tous ces fous. Regardez comme ils ont l’air méchant. Ce sont des tueurs. Je n’ai jamais vu autant de tueurs en même temps. Au moindre signal dans leur tête, ils se mettraient à se tuer entre eux. Je me demande pourquoi le signal ne se déclenche pas, là, maintenant dans leur tête.
Résumé – Après le meurtre de son père, Roberto Zucco est enfermé. La pièce s’ouvre sur son évasion. Il retourne chez sa mère endeuillée, récupère son treillis militaire, tue sa mère et s’enfuit à nouveau. Il croise ensuite la route d’une gamine qui tombe amoureuse, d’un inspecteur de police, d’une mère et de son enfant, de prostitués… jusqu’à ce qu’il soit arrêté, trois meurtres supplémentaires sur le dos.
Roberto Zucco c’est l’histoire d’un homme qui inquiète. Impulsif et pris de folie il tient cependant un discours lucide et perspicace. Il inquiète parce qu’il perçoit le pire dans l’humanité : autour de lui les personnages sont mesquins, vicieux, possessifs, traîtres, et voyeurs. Ils se repaissent des faits divers, de la violence et de leurs propres lâchetés. Un portrait peu reluisant de la société donc.
Comédiens – Remarquablement interprété par Pio Marmaï, qui n’hésite pas à se mettre à nu (littéralement), le personnage Roberto Zucco fascine. Parfois doux, parfois extrêmement violent, toujours surprenant et captivant, le comédien se déchaîne empruntant une large palette d’expressions corporelles. Il est entouré de 13 autres comédiens talentueux, donnant au texte de Koltès des accents comiques, ironiques et toujours pertinents.
Mise en scène – On rit devant l’absurdité des situations et des réactions des personnages. On est choqué par la violence des propos et des actes. On est ébloui par la mise en scène spectaculaire mais sobre. La scénographie de Anouk Dell’Aiera s’insère à merveille dans le théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. Le jeu des lumières, en clair-obscur ou carrément aveuglantes, embrasse les matériaux bruts présents sur scène. La scène dans son ensemble est prise d’assaut par les éléments manipulables du décor : un escalier amovible, des cloisons légèrement transparentes, une passerelle immense… La scène bouge, à l’instar des comédiens sautant de matelas en balançoire surgissante.
Le problème avec la bière, c’est qu’on ne l’achète pas on ne fait que la louer, faut que j’aille pisser
Le spectacle joue avec les nerfs des spectateurs, la tension est palpable, les rires se font parfois nerveux. On est pris au piège par la dualité de Roberto Zucco, espérant sans cesse qu’il va reprendre ses esprits et prendre conscience de l’horreur de ses actes. Jusqu’à la fin, où, en pleine tentative de fuite, il est interviewé par les témoins curieux, Roberto Zucco éclaire de son insensée et clairvoyante poésie un monde cruel et corrompu.
Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Richard Brunel, avec Pio Marmaï.
Du lundi au samedi, jusqu’au 20 février 2016 à 20h au théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez