Spring King : “On sera toujours un groupe DIY”
INTERVIEW – On a rencontré Spring King, le jeune groupe de rock garage anglais qui déboîte, encensé par les médias outre-Manche. Leur premier album est enfin sorti en version physique, et on a eu l’aubaine de les rencontrer quelques heures avant leur concert à Paris.
J’avais été intriguée par “la relève brit rock”, cette expression qui entamait le communiqué de presse annonçant le passage de Spring King à Paris. Et puis j’avais déjà écouté plusieurs fois Tell Me If You Like To leur premier album, créé de A à Z dans le studio cuisine du chanteur-batteur Tarek Musa : riff addictifs, guitares folles, basse et batterie puissantes… Ensuite, Tarek, Peter (guitare), Andrew (guitare) et James (basse) ont vendu leur album à Island Records, rien de moins.
C’est en début ce soirée que je rencontre les garçons, fort polis, puis fort bavards, attablés dans un coin de terrasse du Point Éphémère où ils finissent leur tournée européenne. Je vous l’avoue, c’était un “real delight” de discuter avec les Spring King, aux accents chantants comme j’aime, et sache-le, ils reviendront à Paris, après tout ce n’est qu’à 12h de van, me confirmera Tarek en fin d’interview.
Ça fait un petit bout de temps que vous êtes sur la route pour votre premier album. Comment est-ce que le public a réagit jusqu’à présent ?
Tarek : Super positivement ! On s’en rend bien compte quand on fait les concerts, on voit les publics qui grandissent avec nous. De plus en plus de personnes viennent nous voir aussi, ils chantent les paroles… Surtout, le public interagit beaucoup plus avec nous, on a l’impression qu’ils sont là pour se laisser aller et devenir sauvages ! Alors qu’avant les gens se tenaient bien droits, et avaient l’air de ne pas apprécier plus que ça. Je crois que l’album a vraiment aidé à nous bâtir une identité plus solide, qui aide à mieux nous cerner. Car cet album est vraiment tout un voyage et on peut découvrir Spring King à travers douze chansons, et non plus seulement un single ou un EP. On a reçu plein de messages sur les réseaux sociaux de gens nous disant qu’ils adoraient l’album… on n’a peut-être eu… une mauvaise critique ?! Je crois que c’était de mon père ! Non je rigole.
Si tu n’as pas de mauvaise critique en général c’est bizarre, il y a quelque chose qui ne va pas…
James : Quelqu’un a payé cette personne… (sourire)
Tarek : D’une manière générale on a eu de bons retours !
J’ai trouvé intéressant le fait que vous ayez fait vous-mêmes cet album, quasiment du début à la fin. C’est plutôt rare actuellement ! Est-ce que vous pouvez me parler de ce choix artistique ?
James : Techniquement à la base c’était le projet solo de Tarek. Il jouait tous les instruments, chantait et produisait tout, tout seul dans sa chambre. Le son du groupe s’est donc toujours inspiré des mixs de Tarek à ce moment là. Ça nous paraissait normal de conserver cette singularité : car enregistrer à l’aide d’un producteur extérieur n’aurait pas donné la même saveur, c’est si différent ! Et je trouve qu’on s’est plutôt vachement bien débrouillé, la qualité de production et de mixage est incroyable !
Tarek : Merci ! (rires)
Andy : C’est vrai qu’on l’a toujours fait de cette façon là, ça aurait été bizarre de ne pas continuer ainsi. Et pour cet album, on n’avait pas beaucoup d’argent : on a reçu une bourse d’une association caritative. Donc poursuivre comme on l’avait toujours fait était la suite logique ! Notamment le faire de la manière la plus économique et honnête possible : on n’avait pas besoin de rentrées d’argent d’un label ou de gadgets. On a signé après avoir enregistré notre album (chez Island ndlr). En plus James et Pete travaillaient à côté, donc on voulait juste s’en sortir et le faire proprement. Ce premier album est une captation d’un moment de notre vie, à une époque donnée. Quand je l’écoute, ça me fait repenser à ce qu’étaient nos vies à ce moment là…
Est-ce que vous avez arrêté de travailler les gars du coup ?
Pete : On travaille toujours… Ah !? Des vrais jobs tu veux dire ? (ils rient). Je travaillais dans une boulangerie, et j’ai arrêté à peu près au début de l’enregistrement de notre album.
James : J’ai travaillé un an et demi dans une compagnie d’assurances à Manchester. J’allais au studio pendant quatre jours, puis le reste de la semaine j’étais au bureau, et après l’enregistrement de notre album, on avait deux mois de tournée prévus, ça ne se conciliait pas.
Tarek : Ça fait quasiment un an jour pour jour qu’on a enregistré notre album.
James: Même après notre signature, je ne pense qu’aucun de nous ne pourrait travailler parallèlement. Logistiquement avec les plannings qu’on a, c’est impossible. C’est un luxe de dire que faire de la musique, c’est notre travail.
C’est un luxe de dire que faire de la musique, c’est notre travail.
Qu’est-ce que vous diriez que vous avez appris en réalisant cet album du début à la fin ? Vous avez du vous confronter à des aspects inattendus…
Tarek : Pour moi, la difficulté venait de toutes les tâches que je devais accomplir : j’étais musicien, mais je devais y penser du point de vue d’un ingénieur, d’un producteur et d’un mixeur. C’était un peu déroutant parfois. Mais sinon c’était plus facile que ce que j’imaginais finalement. Je ne sais pas ce que vous en avez pensé les gars ?
Pete : C’était un vrai challenge pour toi en terme de masse de travail je trouve. Mais c’était aussi une période très inspirante : certains moments se sont révélés très créatifs, et c’était plutôt inattendu. Bien sûr il y a eu des challenges à relever, mais ce que je garde à l’esprit en priorité c’est qu’on a réussi à le faire, et que par extension, on est capables de le faire à nouveau. Même si on changerait quelques trucs maintenant… on prendrait plus notre temps, on se mettrait moins de pression, on ne partirait pas directement en tournée après… On ne préparerait mieux en quelque sorte.
Votre album c’est 35 minutes d’intensité en apnée. De quelle façon vous parvenez à conserver cette force et cette énergie sur scène, tout en proposant des versions revisitées de vos titres pour le public ?
Andy : On trouve que les versions live doivent être différentes de celles de l’album. Ça doit être une expérience entièrement différente : le live doit être aussi intense que possible, et fun, alors que l’album permet de montrer un peu plus de musicalité. Le live c’est être le plus sincères possibles et se faire plaisir, je crois…
Pete : L’album c’est un petit peu plus contrôlé, alors que le live c’est sporadique dans les émotions…
James : Comme si tout pouvait s’effondrer à chaque instant… (ils confirment tous).
Tarek : Je suis d’accord, l’album a un son plus contrôlé. Il conserve de l’énergie, mais quand on est sur scène, notre son prend de l’envergure… On est tous K.O quand on finit un concert, on sue, on saigne…
Jouer en live c’est comme si tout pouvait s’effondrer à chaque instant.
Vous saignez ?!
Tarek : Oui, je me coupe toujours les mains… ! Toutes ces cicatrices sur mes doigts… (il me montre) James a toujours de bleus bizarres sur ses bras… Si le public est demandeur, on se donne encore plus. Et si le public en redemande, on continue à monter en intensité. Jusqu’au stade où on est physiquement mal en point… Mais c’est fun, et c’est ça le jeu ! C’est un entraînement complet. Quant à transformer tout ça pour le live, on n’y pense pas vraiment. L’album c’est l’album, et le live c’est une toute autre expérience. Parfois les gens essayent de reproduire leur album en live, que tout soit parfaitement calé et on se demande s’ils en profitent ou est-ce qu’ils ne font que reproduire leur album en karaoké… Il faut en faire quelque chose de distinct !
Je me demandais si vous vous considériez encore comme un groupe de rock indé ou est-ce que vous avez vendu votre âme au diable pour avoir une chance de grandir et de vous exporter ?
Tous : (rires)
Tarek : On sera toujours un groupe DIY (Do It Yourself ndlr) dans la mesure où même si l’on a signé sur un gros label, nous avons toujours le dernier mot. Tout notre artwork, nos clips, notre graphisme, nos photos de promo sont réalisés par les amis ou la famille. On a vraiment besoin de s’en occuper, de tout voir, et de vérifier que c’est exactement ce qu’on veut. Si ce n’est pas le cas, on le refait. Et on a fait notre album en entier avant de signer notre contrat, donc le label n’avait plus qu’à l’imprimer et le faire graver tel quel. Bien sûr ils ont une certaine expérience et expertise mais on continue à faire quasiment tout ce que l’on faisait l’année dernière : ils nous permettent surtout de toucher le plus de personnes possibles.
James : Je me permets d’ajouter qu’on n’avait jamais songé qu’on atterrirait chez une grosse major de disques. On a toujours gardé en tête notre côté DIY. Mais Island nous a quand même offert de belles opportunités, tout en nous soutenant énormément. Ça a changé ma perception de la relation artiste-major, c’est une relation qui est en mouvement permanent. Car la major est là pour te faciliter le travail, et on est franchement très reconnaissants de ce qu’ils ont fait pour nous.
Tarek : PJ Harvey ou War On Drugs sont signés sur des majors, et pourtant ils continuent de faire ce qu’ils veulent. Je ne pense pas que quelqu’un dise à PJ Harvey ce qu’elle doit faire ! On a juste profité de l’occasion qui se présentait à nous.
Pensez-vous que vous seriez où vous en êtes maintenant sans l’aide du groupe PRS For Music qui vous a beaucoup soutenus ?
Pete : PRS nous a énormément aidé à nous développer. Je ne sais pas si on serait ici sans leur aide. Ils nous ont permis d’aller jouer à New York, à SXSW qui était un grand événement à notre échelle, on a fait les premières parties de Courtney Barnett au Royaume-Uni grâce à eux, et c’était notre première “vraie” tournée, on n’en avait jamais fait auparavant. Sans leur aide financière, on n’aurait pas pu partir sur la route. Et surtout, notre album est financé par eux. On est très, très, très reconnaissants. On recommanderait à n’importe quel jeune groupe de leur envoyer un simple email pour leur demander de l’aide.
On est encore loin de la perfection ! On a encore tant à faire…
C’est de la chance ou du talent ?
Andy : Les deux !
Pete : C’est les deux, mais parallèlement tu dois aussi travailler, car les bonnes chansons ne tombent pas du ciel, tu ne restes pas allongé et une chanson apparaît comme par miracle dans ton esprit… Tu travailles toutes ta vie à développer cette capacité à créer : regarde Tarek il fait ça depuis ses 11 ans ! Ce n’est pas arrivé par magie.
Tarek : Et on est encore loin de la perfection ! On a encore tant à faire… On doit être à quoi… 55% peut-être ? Je crois que tous les groupes rêvent de l’album parfait. Je ne sais pas si c’est atteignable, mais bon… on a d’autres rêves, comme continuer à travailler et aller le plus loin possible. On adore ce qu’on fait, comme être loin de chez soi…
Vous aimez être loin de chez vous ?
James : Presque ! (rires)
Tarek : Je suis plus à l’aise sur la route…
Vous êtes les premières personnes à me dire ça !
Tarek : Tant que ma famille, ma copine et mes amis sont ok avec ça, alors tout va bien.
Andy : Ça devient une routine pour moi. Car après deux mois intenses de tournée, je ne pense qu’à mon lit, mais une fois que je suis dans mon lit, tout de suite je regrette de ne plus être en tournée.
Pete : Bien sûr il n’y a pas tout le confort qu’on peut avoir à la maison, mais on a la chance de découvrir plein de nouveaux endroits qu’on n’aurait jamais imaginé visiter dans notre vie : l’autre jour on a joué sur un bateau à Rotterdam, c’était incroyable, j’ai adoré cette ville. Bien sûr que ta famille te manque, mais en fin de compte, ça a toujours été notre but : être sur la route et voyager le plus possible.
Est-ce qu’on peut parler de votre clip de “Detroit” ? Qui a eu cette idée folle ?
Tous : (rires)
Tarek : Notre ami Jack Whiteley est réalisateur, il a fait plusieurs de nos clips déjà. On lui a juste envoyé la chanson en lui disant qu’on avait besoin d’une vidéo pour l’illustrer et c’est lui qui a eu l’idée. Les paroles parlent en fait de mon ex copine que j’ai rencontré en ligne, donc ça parle des étapes d’une romance. Sauf qu’on ne voulait pas le faire de manière classique, on voulait que ça soit drôle, un peu en mode old school. Jack a pensé à une émission de rencontres, et ça tombait pendant le Brexit, donc Pete joue le rôle d’une vieille Anglaise conservatrice, et tous les trois nous sommes des pays Européens. Je suis moitié Polonais, donc j’ai joué le personnage polonais, Andy faisait le Russe…
Andy : Le Russe qui fait peur… (rires)
Tarek : On s’est beaucoup amusé ! On a vraiment fait quelque chose de différent… Pete était fou…
Pete : J’y pense tous les jours… Ça me manque de ne pas porter de collants… (rires)
Est-ce que tout n’est pas rétro à notre époque ?
Il y a quelque chose de très rétro-vintage dans votre rock. Êtes-vous des musiciens nostalgiques ?
Tarek : Personnellement j’adore la musique des années 1950-1960 ! Les Beach Boys… c’est ma vie ! Donc j’adore utiliser de vieux appareils pour enregistrer en studio… c’est peut-être de là que le côté rétro de notre son provient… Mais on aime tous le jazz, on utilise des amplis Fender un peu datés… est-ce que tout n’est pas rétro à notre époque ? (les trois autres confirment)
James : On écoute tous du hardcore américain classique comme Black Flag, Minor Threat… et en musique anglo-saxonnne on adore forcément The Clash, toute les musique punk et cette mentalité des Sixties et Eighties, dont on s’inspire.
Pete : Tout en les produisant, les intégrant, et en les mixant de façon moderne, en conservant l’intensité.
Tarek : Il s’agit toujours de trouver le bon équilibre et la fraîcheur… Je ne veux pas sortir un simple album garage, car par exemple je sais que mon père n’écouterait pas du rock garage, donc il faut aussi qu’on se rende accessibles. Sonorement, j’aimerais que notre musique contienne toutes ces petites influences.
► Tell Me If You Like To, disponible en digital depuis le 10 juin (Barclay/Island Records)
Merci aux Sping King, à Clémence & Emilie.
Propos recueillis par Emma Shindo (Paris, 30th September 2016)